Deux films kurdes au Festival International du Film de Nancy
L’astronome kurde de Diyarbakir privé de son télescope
Il y a une mobilisation locale pour lui venir en aide…
ISTANBUL – La police turque a attaqué le 700e rassemblement des « Mères du samedi » : nombreuses arrestations
Idlib, Etats-unis : Le trafic entre Ankara & Moscou s’intensifie
L’ONU recueille des preuves du génocide yézidi commis par Daesh
Balance ton Turc
Le texte d’une jeune kurde qui fait le lien entre la réaction de certains « hommes » devant la libération de la parole chez les femmes suite au mouvement « #BalanceTonPorc » et des fachos turcs quand ils entendent une personne dire « Je suis kurde ».
« Une innommable douleur commence dans mon ventre et s’empare rapidement de tous mes organes. L’envie de vomir supplante la rage ou peut-être est-ce la rage qui me retourne l’estomac. Et puis merde, pourquoi je me sens si mal ? Pourquoi j’attache tant d’importance à des choses aussi extérieures ? L’extérieur. Le monde qui est en dehors de mon être mais qui m’entoure, parfois en me bousculant, souvent en me convaincant de la fatalité de ma condition, toujours en normalisant et banalisant cette fatalité. Finalement, l’extérieur ou en d’autres termes « la société » est un appareil de formatage des valeurs qu’on a appris à intérioriser depuis toujours. Et puis, ces valeurs, ces représentations, on finit par se les approprier comme s’il s’agissait de l’essence de nos êtres, comme si nos corps de chairs et d’os avaient pris forme à partir de ces abstractions. Elles ne sont pourtant rien d’autres que le produit complexe de la société, ce système de personnes et d’éléments sociaux qui en interagissant entre eux et avec le tout produit les normes sociales. De quoi nous faire relativiser. Il y a au-delà de moi, de toi, et de chaque individu, ce quelque chose d’impalpable dans lequel on baigne depuis toujours et qui nourrit nos identités. Quelque chose qui fait penser à l’habitus de Bourdieu ou encore plus spécifiquement à la notion de système qu’on aime tant utiliser dans le milieu féministe pour expliquer la société patriarcale et les rapports de pouvoir inégaux qui entretiennent le statut quo.
Oui, j’en arrive tout doucement à ce truc qui me donne envie de vomir depuis tantôt. Cette arrogance dénuée de la moindre once de gêne qu’ont les dominants lorsqu’ils utilisent en plus leur condition de privilégiés pour nier et minimiser les inégalités qu’ils causent et entretiennent. Au-delà même du refus de la remise en question, c’est cette attitude consciente d’user de son pouvoir pour humilier des personnes déjà en souffrance. #BalanceTaPouffe ou comment des hommes frustrés d’avoir essuyé des « non » placent leur problème d’égo au même titre que des violences systématiques. On parle de tendances générales lorsqu’empiriquement une série de fait sociaux révèlent les mêmes conclusions, et des expériences personnelles peuvent effectivement représentés des exemples qui illustrent ces tendances (puisque c’est la somme de ces expériences qui définissent la tendance, j’insiste). Cependant, un contre-exemple n’a pas la force de réfuter la tendance s’il est ponctuel.
Mais que fait-il qu’autant d’hommes vivent la libération des paroles de femmes comme une agression à leur moi profond ? Je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle avec la réaction de certains nationalistes turcs lorsque le simple fait de leur affirmer « je suis kurde » apparaît pour eux comme une insulte à leur identité, une menace à l’idée d’une nation turque homogène. Il y a peut-être un peu de ça, la peur de la remise en question d’un modèle dans lequel ils se sentent si bien. De quoi justifier de ne pas prendre en compte que d’autres s’y sentent si mal. Pourtant, on pourrait co-construire une société plus égalitaire où il serait inconcevable pour chacun.e d’envisager que son propre bien être doive reposer sur la négation des droits et libertés des autres. Même si c’est difficile de le réaliser pleinement sans confrontation à une situation concrète qui nous pousse à la remise en question, ces abstractions de valeurs qu’on pense déterminante de nos identités sont relatives à des éléments tellement externes et contextuels qu’on peut choisir de les mettre à l’épreuve pour déterminer ensemble des nouvelles valeurs. »
Bérivan Des Montagnes
Photo via G. L.
Les femmes contre les feux de forêt à Dersim
La Coordination de la société yézidie : l’espace aérien de Shengal doit être fermé
L’écrivaine kurde Roza Metina : Je continuerai à écrire sur les femmes
Roza Metina écrit sur les femmes kurdes, leurs peines et leurs joies, contribuant ainsi à l’aide pour la mémoire collective.
Les lauréats de la quatrième édition du prix de Nouvelles courtes et de poésie Deniz Fırat (journaliste kurde tuée lors d’un attaque de Daesh près du camp de Makhmour en 2014), organisée par l’Union des étudiants libres ont été remis cette année au camp de réfugiés de Makhmur. L’auteure et journaliste kurde Roza Metina a reçu le premier prix dans la catégorie Histoire kurde.
Dans une interview, Metina a déclaré qu’elle était très heureuse de ce prix ajoutant que les femmes kurdes sont les personnages de ses histoires avec leurs peines et leurs joies.
« Le prix Deniz Fırat est spécial et significatif pour moi. J’ai témoigné dans mon écriture de notre douleur. Je crois que si nous parvenons à écrire sur la douleur et la joie que nous vivons, alors nous recueillerons plus d’empathie« .
Que signifie pour vous le prix de « Nouvelles » Deniz Fırat ?
« Deniz Firat a joué un rôle important dans la lutte pour la liberté des Kurdes. Ce prix est très significatif pour moi. Deniz Firat est une femme, et les luttes des femmes sont très précieuses et inspirantes pour les Kurdes. Ayant une place importante dans la lutte pour la liberté des femmes, Deniz Firat a été une grande source d’inspiration. J’ai reçu un prix en langue kurde. C’est un détail important. Nous sommes tous aux prises avec notre langue. Il est très significatif d’obtenir un prix dans sa langue maternelle ».
Avez-vous déjà écrit et comment avez-vous décidé de participer à ce concours ?
« Mon écriture a commencé par la poésie. Quand je suis arrivée à Amed, à l’université, j’ai commencé à prendre des cours de kurde et à améliorer ma langue. J’ai commencé à écrire en kurde tout en lisant des écrivains kurdes. J’ai écrit ma première nouvelle pour enfants. J’ai ensuite écrit l’histoire de Cemile [une fillette kurde de 10 ans, tuée durant les attaques de l’armée turque dans la ville de Cizre en 2015 dont le cadavre a été gardé dans le congélateur par sa famille pendant plusieurs jour car l’Etat turc a interdit ses obsèques) et j’ai participé au concours de nouvelles du Rojava avec une histoire sur la Mère Taybet (Taybet Inan, une femme kurde de 53 ans, tuée par les forces armées turques devant sa maison, à Silopi en 2015. Son cadavre est resté dans la rue pendant 7 jours car les soldats turcs tiraient sur tous ceux qui essayaient de récupérer le corps). Cette année, j’ai travaillé sur l’histoire du sultan Irmak qui a été massacrée dans l’un des sous-sols de Cizre ».
Pourquoi préférez-vous raconter des histoires sur les femmes, en particulier les Kurdes ?
« Je n’ai pas pu retenir mes larmes quand je suis arrivée à la dernière phrase de l’histoire de la Mère Taybet. J’étais si triste, je n’arrêtais pas de penser à elle. Pendant des semaines, son corps a été laissé dans la rue. Malgré tout, les luttes des femmes, surtout dans ce système, sont très vivantes. J’écris sur les femmes. Je préfère écrire sur les femmes kurdes parce qu’elles ont une force d’autodéfense, en particulier un avenir de combat. Mes histoires futures aussi porteront sur les femmes ».
Roboski, Sur, Cizre, Halabja, autant d’événements et de massacres vécus par les Kurdes sur le chemin de la liberté. Quel est le rôle de l’écrivain pour vous, en tant que femme écrivaine ? L’écriture est-elle importante dans cette lutte ?
« Nous avons besoin d’écrire, de peindre, de faire des films, de raconter nos souffrances et nos joies avec notre stylo, notre appareil photo, nos chansons. Nous devons exprimer ce qui se passe. C’est une responsabilité d’exprimer et d’écrire sur ces événements dans le contexte de la conscience nationale.
Nous devons écrire, c’est notre devoir d’écrire pour que personne n’oublie.
Pourquoi ai-je écrit sur Mère Taybet, ou Cemile, ou Sultan ? Parce qu’ils ne peuvent être oubliés, ils font partie d’une mémoire et d’une conscience nationale. Je pourrais écrire sur d’autres sujets. Mais nous, les Kurdes, nous ne pouvons même pas aimer une fleur librement. J’ai vécu ces douleurs et je les ai écrites. Je crois que les histoires que je raconte affecteront les lecteurs lorsqu’ils les liront. Je veux raconter l’histoire des femmes, leur combat, qui va de pair avec le combat national ».
Vous êtes à la fois journaliste et écrivaine. En Turquie, les journalistes et écrivains kurdes sont systématiquement attaqués. Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’avoir cette identité et comment avez-vous synthétisé votre journalisme et votre écriture ?
« Il faut avoir la capacité d’écrire pour faire du journalisme. Je croyais que le journalisme et l’écriture de fiction étaient interconnectés et entrelacés. J’ai écrit de la fiction avant de faire du journalisme, et quand j’ai commencé à faire des reportages, j’ai remarqué que mon écriture[fiction] se reflétait dans mes nouvelles. Si vous êtes journaliste, vous voulez écrire en permanence et produire les faits les plus précis. Vous essayez de révéler la réalité.
Dans mes nouvelles, le travail est plus compliqué que dans mon journalisme. Mais je m’inspire du journalisme ».
https://anfenglishmobile.com/culture/an-interview-with-writer-roza-metina-28994