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KURDISTAN. Prix de l’égalité décerné à Choman Hardi, militante des droits des femmes ciblée par des milieux intégristes kurdes d’Irak

« Attiser la peur existentielle des Kurdes de l’anéantissement, de la présence d’un complot majeur pour nous détruire, est un jeu éhonté avec notre subconscient car depuis des décennies la peur de l’assimilation et de l’extinction entre les mains des États nationalistes et théocratiques qui nous entourent a été l’expérience kurde », Choman Hardi.

Cela fait un certain temps que l’universitaire kurde Choman Hardi qui défend les droits des femmes et dispense des cours au Centre d’études sur le genre et le développement au sein de l’Université américaine d’Irak, au Kurdistan irakien, subit des menaces venant des milieux conservatistes, sexistes et intégristes qui l’accusent de « corrompre la société kurde avec l’argent qu’elle reçoit de l’Occident ». Ces menaces se sont intensifiées en 2022 à tel point que trente-quatre organisations, groupes et institutions de la société civile kurdes se sont réunis pour créer le Prix de l’Égalité et ont désigné Choman Hardi leur première lauréate pour son travail en faveur de l’égalité dans la communauté kurde et sa persévérance face à ces attaques sexistes et misogynes qui veulent réduire à néant la lutte des femmes kurdes pour l’égalité. Ce prix deviendra une tradition annuelle pour les défenseurs de la justice et de l’égalité dans la région du Kurdistan d’Irak.

Lors de la remise du le Prix de l’égalité qui a eu lieu le 14 mars dernier, Choman Hardi a prononcé un discours dans lequel elle a insisté sur l’importance de la lutte pour l’égalité homme/femme et a mise en garde contre la menace que représente la culture d’insultes et de calomnies pour la coexistence et la sécurité de la société kurde.

Voici l’intégralité du discours de Choman Hardi:

« Chers amis, merci d’être venus ! Merci pour la reconnaissance et la confiance que vous m’avez accordées à cette occasion. Se battre pour la justice sociale ou politique n’a jamais été facile et en tout lieu, mais c’est la persévérance et la détermination de personnes comme vous face aux difficultés qui sont toujours encourageantes.

Chacun d’entre nous qui travaille dans ce domaine a, sans aucun doute, fait face à des accusations, des attaques et des menaces qui visent à nous diffamer, nous décourager et nous réduire au silence. Depuis des années, les défenseurs des droits des femmes vivent sous la menace de la déshumanisation et de la diabolisation. Les forces conservatrices et intégristes attaquent les militantes à chaque fois sous un prétexte différent de haine des hommes, de sape des valeurs religieuses, de destruction de la structure familiale et, plus récemment, de trahison nationale.

Et nous savons tous que la diabolisation et la création d’un ennemi imaginaire est la première étape pour les détruire symboliquement ou littéralement. Mais le monstre effrayant qu’ils ont créé, qui reçoit apparemment de l’argent de l’ouest pour travailler secrètement à la désintégration de la famille et à la destruction de sa propre communauté, n’a absolument aucun rapport avec qui nous sommes et ce que nous faisons.

Attiser la peur existentielle des Kurdes de l’anéantissement, de la présence d’un complot majeur pour nous détruire, est un jeu éhonté avec notre subconscient car depuis des décennies la peur de l’assimilation et de l’extinction entre les mains des États nationalistes et théocratiques qui nous entourent a été l’expérience kurde.

La phobie et la peur qui sont fabriquées autour des efforts des organisations travaillant pour les droits des femmes, les droits civils et l’égalité des sexes, n’ont aucun rapport avec la réalité. Le véritable objectif de ces vagues de mensonges, de fausses informations et de mutilation de la vérité est de saper la réussite et l’impact des personnes et des organisations qui luttent pour l’égalité et de les calomnier en public.

D’autre part, la crainte d’un complot occidental contre notre communauté et nos valeurs sociales et religieuses n’est pas fondée. Nous n’avons pas un État puissant, ni une armée puissante, nous ne sommes pas suffisamment développés technologiquement ou économiquement pour constituer une menace pour le système économique ou politique international pour qu’ils veuillent conspirer contre nous. En fait, au cours des dernières décennies, nous avons été des alliés des puissances occidentales et avons reçu un soutien technique et financier pour renverser le gouvernement de Saddam Hussein et vaincre l’EI.

Notre objectif en tant qu’activistes et universitaires dans le domaine de l’égalité des sexes est de sensibiliser et de créer une nouvelle compréhension de l’inégalité et de l’injustice. Nous essayons de changer le discours coincé et dépassé qui attribue l’inégalité des sexes à la nature et aux différences biologiques entre les hommes et les femmes, un discours qui ne veut pas accepter que c’est un contrat social qui a créé cette inégalité et nous pouvons avoir une meilleure contrat dans lequel les femmes ne sont pas marginalisées, réduites au silence et opprimées.

Je suis sûre que certains des jeunes qui tombent dans le piège de ce malentendu [découvriront] bientôt la vérité. Ce n’est pas le combat des femmes pour l’égalité des sexes, pour le pluralisme religieux, culturel et ethnique, pour la protection des droits et des dignités, pour l’amélioration des relations collégiales, amicales, fraternelles et amoureuses entre hommes et femmes qui menace nos valeurs. Ce qui constitue une menace pour nos valeurs, ce sont ces forces qui veulent remplacer la conversation et l’argumentation par la diffamation, les mensonges et les grossièretés et en faire la culture dominante de notre communauté.

Pendant des années, notre communauté a été confrontée à des menaces majeures telles que la corruption et la destruction de l’environnement, mais maintenant la culture des insultes et des calomnies est une menace majeure pour notre sécurité et notre coexistence.

Pour finir, je veux dire qu’affronter les vagues généralisées et organisées d’irrespect, de calomnies, de manipulations et de menaces est difficile ; il est difficile d’être victime d’une diffamation et d’être calomnié dans son travail ; mais l’importance de notre objectif commun et le soutien inconditionnel que j’ai reçu de la famille, des amis, des collègues et des gens comme vous sont devenus une source de force et de persévérance. Je tiens à vous remercier une fois de plus de m’avoir accordé votre confiance. Ce prix me donnera de l’énergie pour continuer. Continuons tous ensemble. Merci. »

Discours publié en anglais sur le site Gender, Justice and Security Hub: Surviving abuse, defamation and backlash (Survivre aux abus, à la diffamation et aux contrecoups)

Choman Hardi est autrice du recueil de poèmes « Considérer les femmes » publié en français en 2020 par la maison d’édition Kontr.