La déclaration publiée par la présidence syrienne en réponse aux résultats de la Conférence sur l’unité kurde, tenue à Qamishlo le 26 avril 2025, contenait de nombreuses faussetés, comme à l’accoutumée, sous couvert de slogans nationalistes et unitaires. L’objectif était de présenter cette déclaration aux Syriens et à l’opinion publique comme une défense de l’État contre les groupes qui cherchent à diviser et à séparer. Elle n’oubliait pas non plus de véhiculer des messages de menace et de recours à la force contre la deuxième plus grande composante ethnique du peuple syrien.
Dans le préambule, la présidence syrienne accuse directement les FDS de « renier » l’accord que le président (de transition) Ahmad al-Shara’a a conclu avec la direction des FDS (commandant des FDS Mazloum Abdi) le 10 mars 2025. Elle attribue cette accusation à ce qu’elle décrit comme « les récentes actions et déclarations émises par la direction des FDS, qui appellent au fédéralisme et établissent une réalité séparée sur le terrain. Celles-ci sont explicitement contraires au contenu de l’accord et menacent l’unité et l’intégrité territoriale du pays. » Le communiqué de la présidence syrienne n’a pas précisé la nature de ces « actions » et « déclarations », comment et quand elles ont eu lieu, ni ne fait référence aux déclarations des FDS sur « l’appel au fédéralisme ». Elle s’appuyait uniquement sur des affirmations vagues et non fondées, qui semblaient destinées uniquement à influencer le destinataire et à inculquer l’idée que l’État avait fait un pas positif vers la désescalade et l’ouverture à une solution nationale, mais que la direction des FDS avait contrecarré ces mesures en insistant sur des « mouvements » et des « déclarations » sur le fédéralisme qui perpétuent « la réalité de la séparation et de la fragmentation ».
Ici, la déclaration dépeint « l’État unitaire qui aspire au calme et à l’ouverture en vue d’une solution nationale » comme étant en opposition aux FDS. Selon la déclaration, les FDS se sont opposées à l’accord et cherchent, malgré la volonté et la patience de l’État, à « établir une réalité distincte sur le terrain qui menace l’unité et l’intégrité du pays ». Ainsi, l’État (représenté, bien sûr, par Hay’at Tahrir al-Sham, non élu, et son chef, tout aussi non élu, al-Sharaa) doit, en permanence, remplir son devoir de protéger la « terre » et la« souveraineté » du pays.
La déclaration s’intensifie ensuite et hausse le ton du rejet, rappelant à son destinataire qu’elle rejette non seulement le fédéralisme, réclamé selon elle par la direction des FDS, rompant ainsi son accord avec al-Sharaa/la présidence/l’État, mais aussi la formule d’autogestion. Cette formule est également classée dans la catégorie des « tentatives d’imposer une réalité de partition et des entités séparées ». La déclaration de la présidence syrienne considère le rejet absolu de la formule d’autogestion comme un moyen de préserver l’unité du territoire et du peuple syriens. Cette unité est considérée comme une ligne rouge par la déclaration, et toute transgression de cette unité (toutes les manifestations de l’autogestion, bien sûr) est à nouveau considérée comme « une rupture des rangs nationaux et une atteinte à l’identité collective de la Syrie ».
Après le préambule susmentionné, qui visait à préparer l’esprit du destinataire et à l’injecter dans ses pensées des accusations contre les FDS, les qualifiant d’évasives et de repliées, et de partisanes d’« entités séparées », la présidence a commencé à préparer le terrain pour sa propre rupture de l’accord du 10 mars. Elle y est parvenue en introduisant de nouveaux éléments inventés de toutes pièces, absents de l’accord précédent et non abordés auparavant. Ces éléments ont été présentés comme des « pratiques » imputées aux FDS, notamment des « changements démographiques » dans certaines régions, qui « menacent le tissu social syrien et affaiblissent les chances d’une solution nationale globale ». La présidence continue de s’écarter de l’accord en mettant en garde les FDS contre « toute perturbation du travail des institutions étatiques syriennes dans les zones qu’elles contrôlent, toute restriction de l’accès des citoyens à leurs services, toute monopolisation des ressources nationales et leur utilisation hors du cadre étatique, contribuant ainsi à approfondir la division et à menacer la souveraineté nationale ». Cette accusation fausse et malveillante est portée malgré la réalisation de nombreuses étapes dans le cadre de l’accord susmentionné, y compris les colonies et les accords dans les quartiers de Sheikh Maqsoud et d’Achrafieh à Alep, la cessation des hostilités au barrage de Tishreen, l’accord préalable sur le flux de pétrole du nord et de l’est de la Syrie vers l’intérieur syrien, ainsi qu’une réunion entre le commandant des FDS Mazloum Abdi le 12 avril 2025 et Hasan al-Salama, chef du comité du gouvernement syrien chargé de finaliser l’accord, à laquelle a également assisté le membre du comité Mohammad Qantari dans la ville de Hasakah.
La réunion a permis d’identifier les membres du comité qui représentera le nord-est de la Syrie dans le suivi de l’accord avec le gouvernement central de Damas : Fawza Yusuf, Abdul Hamid al-Mahbash, Ahmad Yusuf, Sanherib Barsoum et Suzdar Haji, ainsi que la nomination de deux porte-parole du comité, Mariam Ibrahim et Yasser Suleiman. Toutes ces mesures témoignent vraisemblablement du respect par les FDS de l’accord avec Damas et de leur volonté d’en mettre en œuvre toutes les dispositions grâce à la coopération entre les deux comités chargés du suivi de l’accord et de l’accompagnement de toutes les étapes de normalisation et de résolution, qui ont eu lieu à Achrafieh, à Cheikh Maqsoud et aux alentours du barrage de Tichrine. Ces efforts, ainsi que l’identité et l’orientation des membres du comité représentant le nord et l’est de la Syrie, contredisent le contenu de la déclaration présidentielle syrienne, qui continuait d’accuser les FDS de « monopoliser le pouvoir décisionnel dans la région du nord-est de la Syrie, où cohabitent des composantes authentiques telles que les Arabes, les Kurdes, les chrétiens et d’autres. Confisquer la décision d’une composante et monopoliser sa représentation est inacceptable, car il ne peut y avoir de stabilité ni d’avenir sans un véritable partenariat et une représentation équitable de toutes les parties. »
En réalité, c’est l’autorité de Damas (actuellement Hayat Tahrir al-Sham) qui veut confisquer la décision des composantes, et c’est elle qui se couvre du manteau du « patriotisme » et de l’« identité syrienne » afin de monopoliser la décision et de diriger le pays avec la mentalité d’une faction qui veut avaler l’État au nom de la centralisation sans « véritable partenariat et représentation équitable de toutes les parties », comme l’affirme le même communiqué ! Le communiqué de la présidence syrienne invente une nouvelle description en qualifiant les Kurdes, qui font partie du peuple syrien, de « frères kurdes », considérant l’autorité centrale comme « nous/les citoyens » et les « Kurdes » ici comme « eux/les frères », dans une étrange dichotomie que seule une autorité à la pensée déformée et aux orientations confuses ne pouvait créer, oscillant entre plusieurs agendas, certains profonds et cachés, d’autres clairs et déclarés.
L’accord conclu à Qamichli le 26 avril était un accord entre deux blocs politiques représentant exclusivement la composante kurde syrienne. L’accord conclu entre al-Sharaa et Abdi un mois et demi plus tôt était un accord entre les FDS et l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie, d’une part, et les autorités de Damas, d’autre part. Il s’agit d’un accord « géographique » entre le centre de l’État et l’une de ses composantes. Il s’agit d’un accord entre une force militaire représentant une réalité administrative d’une partie de la Syrie et l’autorité centrale de la capitale. Il s’agit d’un accord militaire, géographique et administratif dans lequel les Arabes, les Kurdes (musulmans et yézidis), les Syriaques, les Assyriens et les Arméniens sont représentés auprès du gouvernement central. Quant à la conférence sur l’« unité kurde », elle portait une étiquette ethnique et représentait exclusivement la composante kurde de Syrie, dont une grande partie vit hors des zones autonomes du nord et de l’est du pays, à Afrin, Alep, Damas, Hama, Idlib, Lattaquié, Homs, et même Deraa et Quneitra, ainsi que dans les zones occupées par l’État turc, notamment Tal Abyad et Ras al-Ayn. La confusion des autorités entre les deux sujets est vraisemblablement intentionnelle, d’autant plus que le commandant des FDS a souligné dans son discours d’ouverture que la conférence kurde ne contredit pas l’unité du territoire et du peuple syriens, mais la renforce au contraire.
Des signes de changement d’autorité apparaissent à Damas. Un renoncement à l’accord conclu avec les FDS est en cours. L’autorité cherche à échapper aux problèmes internes, à la tension et à la perte de contrôle sur les groupes armés qui poursuivent leurs violations sur la côte et à l’intérieur du pays contre la population civile et les citoyens syriens des communautés alaouite, chrétienne, druze, ismaélienne et Murshid, en créant une sorte de « menace », désormais kurde, et en exagérant cette menace pour mettre fin à la fragmentation sur le front intérieur et créer une sorte de cohésion sectaire et nationale contre les « séparatistes kurdes » qui « considèrent la nécessité d’une intervention et d’une tutelle étrangères », comme l’indique le communiqué. Il est clair que le pouvoir cherche à créer et à fabriquer une menace pour rassembler tous les Syriens derrière lui et l’affronter, échappant ainsi aux conséquences des massacres et des violations commis contre la composante alaouite syrienne au Sahel, ainsi qu’aux incitations, provocations et agitations actuelles à Damas, Homs et Idlib contre la composante druze syrienne. Il se présente également comme le garant de l’unité du pays et rejette toute intervention et toute tutelle étrangères, alors même qu’il est celui qui a fait venir des combattants et des dirigeants étrangers non syriens, les a naturalisés et leur a attribué des postes et des responsabilités. C’est également lui qui a légitimé l’intervention turque, qui se manifeste par des occupations et des bases militaires, et qui continue de rechercher une tutelle étrangère en prétendant accepter toutes les conditions occidentales, s’assurant ainsi une reconnaissance politique et diplomatique et recevant des milliards de dollars pour des projets de construction et de reconstruction.
Il est important que les autorités de Damas comprennent la réalité de la question kurde au Moyen-Orient, et que leurs partisans et leur entourage, composé de professionnels des médias et de journalistes, comprennent qui est le peuple kurde et quelle est sa patrie historique, le Kurdistan. Les autorités doivent pleinement en saisir la portée et tirer les leçons de l’expérience des pays voisins de la Syrie avec les Kurdes, ainsi que des désastres considérables causés par la lutte des régimes de ces pays contre le peuple kurde et le recours aux armes et à l’oppression pour satisfaire les revendications nationales et identitaires des Kurdes. Ce qui s’est passé en Irak peut être compris en suivant les événements depuis que le vice-président irakien Saddam Hussein a cédé le Chatt al-Arab au Shah d’Iran lors de l’accord d’Alger de 1975, en échange de l’arrêt du soutien iranien à la révolution kurde. Il a ensuite renié cet accord et s’est engagé dans une guerre dévastatrice contre le gouvernement de la Révolution islamique en Iran, guerre qui a duré huit ans, laissant son régime ruiné et endetté. Il s’est ensuite sorti de la crise en occupant le Koweït, amenant le monde à mobiliser une armée qui l’a expulsé du Koweït après avoir détruit l’Irak et décimé ses forces militaires. L’aventurisme de Saddam, né de son obstination à réprimer les revendications nationales kurdes par le fer et le feu, a plongé l’Irak dans des guerres qui ont coûté au peuple irakien des millions de vies et des centaines de milliards de dollars de richesse. Il en va de même en Turquie, qui a dépensé environ deux mille milliards de dollars dans la guerre contre le PKK depuis 1984, selon Numan Kurtulmuş, président du Parlement turc et dirigeant du Parti de la justice et du développement. Ces sommes astronomiques auraient suffi à transformer l’Irak et la Turquie en pays développés et prospères comparables aux pays occidentaux (ou à Singapour, pour ne pas dévier du cadre de l’Orient et de notre culture et identité islamiques !) si les régimes de Bagdad et d’Ankara avaient traité les demandes du peuple kurde des deux pays avec un esprit ouvert et démocratique, au lieu de parier de manière désastreuse sur des plans de guerre et des politiques de décision militaire.
La Syrie, sortant d’une guerre civile dévastatrice où l’ancien régime a corrompu tout ce qui ne l’était pas encore, ne peut être gérée avec une mentalité factionnelle ou un esprit centralisé, totalitaire et autoritaire. Ce qui s’est passé avec la Conférence de dialogue national, la déclaration constitutionnelle et le gouvernement de transition ne peut être qualifié de développement et de progrès démocratiques impliquant toutes les composantes. Il s’agit d’un faux processus de quotas impliquant la nomination de personnes ne représentant ni leurs composantes ni aucune force politique. Il s’agit d’un processus de manipulation et de falsification symboliques flagrant. La Syrie doit être administrée de manière décentralisée, par le biais d’administrations géographiques auxquelles participent toutes les composantes. Toute association forcée et toute tentative de briser la volonté par la force, par le recours à la mobilisation générale et aux appels claniques, entraîneront division, fragmentation, retranchement et retour à la guerre civile. L’autorité/faction, soutenue par ses cadres étrangers et s’appuyant sur ses alliés étrangers, en sera seule responsable.
Par Tariq Hemo, chercheur associé au Kurdish Center for Studies (Centre d’études kurdes).
Titulaire d’un doctorat en sciences politiques, il se spécialise dans la recherche sur les Frères musulmans égyptiens et l’islam politique. Il est co-auteur avec le Salah Nayouf d’un ouvrage intitulé « Freedom and Democracy in the Discourse of Political Islam After the Recent Transformations in the Arab World ». Il est actuellement maître de conférences au département de sciences politiques de l’Académie arabe du Danemark.
Article d’origine à lire (en anglais) sur le site de Kurdish Center for Studies New Syria and the Kurds: A National Solution or a Repeat of Iraq and Turkey’s Experiences?