LIVRES. Les femmes kurdes refont parler d’elles grâce à Mylène Sauloy – réalisatrice des documentaires « Kurdistan, la guerre des filles », « La révolution par les femmes » – qui a publié un roman-graphique coréalisé avec Clément Baloup.
Sorti en août dernier, Les filles du Kurdistan, une révolution féministe – inspirée du documentaire « Kurdistan, la guerre des filles » (2016) est un nouvel hommage de Mylène Sauloy aux femmes combattantes des YPJ au Rojava, aux anciennes esclaves yézidies qui ont pris les armes contre DAECH qui les vendaient sur les marchés aux esclaves mais aussi aux combattantes du PKK qu’elle a rencontrées à Qandil, à l’époque de la Guerre du Golfe…
Mylène Sauloy s’est rendue au Kurdistan – hormis la partie occupée par l’Iran qu’on appelle « Rojilat » (l’Est en kurde) – à de nombreuses reprises. Ces voyages lui ont permis de connaître de près les femmes kurdes qui prennent les armes contre les colonisateurs du Kurdistan mais aussi contre la société patriarcale kurde ! Mais le monde ne s’intéressait pas vraiment aux Kurdes vivant sous la domination de 4 États sanguinaires qui agissaient de concert pour les assimiler de forces ou les exterminer sur leurs terres.
Il a fallut attendre la bataille épique de la ville kurde de Kobanê où les femmes et hommes armés de kalachnikovs résistaient aux terroristes islamistes du groupe État Islamique (EI ou DAECH) qui avait envahi plusieurs régions d’Irak et de Syrie, avec ses deux « capitales » Mossoul et Raqqa. Le monde entier a découvert, ébahi, ses guerriers, surtout les femmes qu’on a surnommées les Amazones des temps moderne, terrasser le monstre islamiste qui avait semé la terreur parmi les peuples des deux pays où il avait réduit en esclavage des milliers de femmes yézidies de Shengal mais aussi celles des minorités chrétienne, etc. Alors, presque toutes les grandes chaînes du monde ont parlé des femmes kurdes, loué leur courage, avec pas mal de clichés au passage…
On a aussi eu droit à des documentaires sérieux, comme ceux réalisés par Mylène Sauloy: « Kurdistan, la guerre des filles » (2016), « La révolution par les femmes » (2018). Dans ces documentaires, on voit comment les femmes kurdes se sont organisées depuis 40 ans, d’abord au sein du PKK, mais ensuite au sein des YPJ au Rojava quand la guerre civiles syrienne a éclaté en 2011. La place centrale qu’elles ont occupé lors de la Révolution féministe du Rojava et leur implication à tous les niveaux de l’administration autonome de la Syrie du Nord et de l’Est…
Avant la sortie de ce roman-graphique, on avait interviewé Mylène Sauloy sur son livre. On le repartage avec vous, si vous ne l’avez pas encore lu.
D’où vous est venu l’idée de faire un roman-graphique inspiré de votre documentaire « La guerre des filles » qui a eu beaucoup de succès et primé de nombreuses fois?
C’est un producteur, ancien reporter, qui a eu l’idée de lancer une collection de romans graphiques écrits par des grands reporters. Il avait vu la Guerre des Filles et m’a proposé d’en faire une BD. Avec un.e dessinateur.rice bien sûr. J’ai trouvé magique l’idée que l’épopée de ces femmes libres puisse s’installer dans l’intimité des gens, être feuilletée au gré de l’humeur, persister.. parce qu’un film, on le voit, et il disparait, il n’a pas de matière. Un livre, c’est un compagnon de route, une source d’inspiration sur laquelle on revient quand on veut.. Et puis on peut y donner un visage à toutes les femmes qui, pour des raisons de sécurité, ne peuvent être filmées. C’était une manière de rendre hommage à nouveau à cette épopée. et sans doute de toucher un autre public.
Cela fait de nombreuses années que vous travaillez sur la lutte du peuple kurde en général et celle des femmes kurdes en particulier. Vous vous êtes rendue dans de nombreuses régions kurdes (Bakur, Sinjar, Bashur, Rojava). Vos derniers voyages avaient pour destination le Rojava où les femmes ont joué un rôle central dans la lutte contre DAECH mais également pour la mise en place de la révolution du Rojava. Selon vous, la place des femmes du Rojava, dans le nord de la Syrie, est-elle différente de celle des femmes dans les autres régions du Kurdistan? Si oui, à quoi cela est-il dû d’après vous?
Oui bien sûr. Mais surtout à cause de la répression et du patriarcat rance et violent qui règnent ailleurs. Le régime turc a lancé une campagne de diffamation et de répression sans précédent contre toutes les organisations kurdes. Il ne peut supporter l’idée même de démocratie et encore moins la parité dans les institutions et l’émancipation des femmes. Au nom d’un fatras dogmatique pseudo-religieux, il rêve de réduire les femmes à leur capacité de procréation. Au Bashur, elles sont soumises à un système tribal au nord et un peu moins sauvage au sud, mais les crimes d’honneur continuent, et la situation n’est pas brillante. Hero Talabani a sans doute aidé à changer l’image des femmes. Ca n’a pas suffi… Elles continuent pourtant à se battre pour leurs droits au Bakur comme à Bashur.
La plus grande différence avec le Rojava, c’est que depuis le Contrat social de 2014 et la constitution de 2016, les droits des femmes y sont inscrits dans la loi. Et que la participation massive des femmes dans la lutte contre Daesh a changé leur image dans la société. Comme partout ailleurs, le contrat implicite entre hommes et femmes, c’est l’homme protège, la femme sert. Or si elle se défend toute seule, le contrat doit changer ! Même si le patriarcat y coule encore de beaux jours, même si on ne change pas les mentalités à coup de lois, on sent bien que les nouvelles générations grandissent dans un environnement plus respectueux des femmes, et sous une administration largement influencée par une avant-garde féminine. Il faut parier sur un changement profond des mœurs et des mentalités pour la génération à venir !
Vous aviez une fois déclaré être surprise d’entendre des femmes kurdes, lors d’un de vos voyages au Rojava, vous dire qu’elles plaignaient la condition féminine en France. Pouvez-vous nous raconter de nouveau cette anecdote ?
Ah mais ça je l’ai entendu de nombreuses fois. D’abord au Qandil, en 2003, par un jeune passé par l’ « Académie de rééducation des hommes » ! Il mettait le doigt sur la subtilité de l’oppression des femmes dans les démocraties occidentales, et sur la difficulté à s’en défaire. Puis par une femme âgée de la Malajin (Maison des femmes) de Qamishlo, qui se disait prête à venir donner des leçons d’émancipation aux femmes européennes. Puis par une internationaliste allemande, médecin, qui combat de longue date aux côtés des Kurdes et me disait recevoir plein de demandes de conseils de la part de femmes en Allemagne ! Ou encore par une amie dans un séminaire de Jineologî qui ironisait : « En Europe, les femmes se croient libres. Ici, au moins, elles se savent opprimées ! »
Vous nous avez déclaré récemment que, dès que les conditions sanitaires dues au coronavirus vous le permettront, vous partirez pour le Rojava. Pouvez-vous nous parler de votre nouveau projet au Rojava?
C’est un projet de film participatif, mêlant tournage réel et animation, sur la construction de la démocratie. A travers des ateliers d’animation, menés par un ami co-réalisateur, chacun et chacune fabriquera et animera son personnage, pour lui faire revivre les étapes de la construction d’une démocratie horizontale, égalitaire, respectueuse de l’environnement. Le rêve quoi ! Et moi je filmerai la prolongation des ateliers dans la vie réelle. Un film pour nous donner des idées ici, depuis le Rojava ! et nous apprendre à nous, ici, comment s’y prendre !
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« À travers les histoires d’abord parallèles puis croisées de trois filles, de Paris à Kobané, en Syrie, du Kurdistan de Turquie au Sinjar en Irak, Mylène Sauloy témoigne du mouvement des femmes kurdes luttant contre Daesh, héritières d’une longue tradition de résistance.
Un village en construction quelque part au nord de la Syrie. Tout autour, des ruines. Une ambiance de fourmilière : des centaines de femmes, certaines en treillis, d’autres voilées, des jeunes et des moins jeunes s’activent, portant d’énormes briques de terre, piochant, creusant, érigeant. Elles construisent un village de femmes ! Sur les ruines d’une guerre aux ingrédients religieux, impérialistes, pétroliers et post guerre froide, dans une région gangrénée par un patriarcat rance, des imams assassins, des dictateurs et théocrates de tout poil, pousse donc une société rêvée dont l’avant-garde est résolument féminine… Et qui pourrait bien nous donner des leçons de démocratie et de parité ! », écrit l’éditeur de la BD « Les filles du Kurdistan, un combat pour la liberté ».
Une combattante kurde dans « Les filles du Kurdistan »
Le dessinateur de BD, Clément Baloup a réalisé les dessins de « Les filles du Kurdistan, un combat pour la liberté » publiée aux éditions Steinkis et dont la sortie est prévue finalement le 26 août 2021. (Prix 18 euros).