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« La France ne doit pas la laisser la question kurde à la merci du Quai d’Orsay qui marchande avec la Turquie sur le dos des Kurdes »

Le 21 mars dernier, le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) organisait un diner de Newroz réunissant une centaine de personnes, dont de nombreux élus, parlementaires français et des personnalités de la société civile, autour d’un diner du Newroz (Nouvel-an kurde) à l’hôtel Lutetia, à Paris.
 
Lors de ce diner considéré comme une tentative de lobbying kurde en France où ont trouvé refuge les militants kurdes depuis les années 1980, Agit Polat, porte-parole du CDK-F, a demandé à la France « d’élaborer une politique kurde inclusive et adaptée et de ne pas laisser la question kurde à la merci du Quai d’Orsay qui marchande avec la Turquie sur le dos des Kurdes. »
 
Voici le discours complet d’Agit Polat:
 
« Monsieur le Vice-président du Sénat,
 
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
 
Mesdames et Messieurs les Maires et élus,
 
Messieurs les représentants des cultes,
 
Mesdames et Messieurs les Présidents d’associations,
 
Mesdames et Messieurs,
 
Quel honneur, quelle fierté pour nous, le Conseil démocratique kurde en France, de vous accueillir ici, en ce jour du 21 mars, à cette réception du Newroz qui symbolise le nouvel an kurde, l’arrivée du printemps et le début d’un monde nouveau.
 
Profondément enraciné dans les rituels et les traditions du Zoroastrisme, le Newroz est célébré le 21 mars depuis plus de 2600 ans. C’est aujourd’hui l’une des principales fêtes traditionnelles dans de nombreux pays et régions du Moyen-Orient et d’Asie centrale.
 
D’après les traditions, le Newroz symbolise aussi et surtout la libération des peuples opprimés. Après plus de 2600 ans, aujourd’hui encore, le Newroz est perçu comme un moyen de résistance pour tisser la liberté.
 
Depuis le début du XXème siècle qui a vu la division du Kurdistan entre quatre États, division qui a commencé avec les accords Sykes-Picot pour s’achever avec le traité de Lausanne, la fête du Newroz a pris une signification bien plus politique qu’auparavant. Symbole le plus visible de la culture et de l’identité kurde, le Newroz a été interdit par trois des quatre Etats qui occupent le Kurdistan.
 
Ainsi, a-t-il été interdit pendant de très longues années en Turquie. Au fil du temps, le Newroz est devenu une manifestation de la résistance kurde.
Depuis des millénaires, cet événement qui marque l’arrivée du Printemps et le passage à la nouvelle année, symbolise aussi la détermination et la lutte pour la liberté.
 
La liberté ; chose que les Kurdes n’ont jamais cessé de revendiquer et pour laquelle ils ont toujours lutté. Ce peuple qui était en voie de disparition a su renaître de ses cendres. Hélas, cette renaissance ne signifie guère une liberté. Mais elle incarne au minimum un éveil des consciences. C’est cet éveil qui permet au peuple kurde de tracer la voie qui le mènera vers sa liberté.
 
Au cours de l’histoire proche, c’est justement le défaut de cette conscience qui a poussé certains Kurdes à commettre des erreurs graves, impensables et irréparables à l’encontre des Arméniens et des Assyro-Chaldéens, peuples frères avec lesquels les Kurdes ont vécu en harmonie pendant des millénaires sur ces terres ancestrales.
 
Ce sont ces mêmes kurdes qui, entre 1916 et 1923, ont développé multiples manoeuvres aux côtés des Turcs, contre les intérêts des Peuples de la région.
Malheureusement, de nos jours, cette tradition de soumission au pouvoir turc se poursuit chez certains kurdes, au mépris de l’honneur, de la dignité et des valeurs de la culture kurde.
 
Deux lignes essentielles se sont toujours opposées chez les Kurdes, l’une incarnant indéniablement la résistance, et l’autre, la triste et laide soumission.
 
C’est ainsi que durant ce dernier siècle, 28 soulèvements ont été réprimés de manière sanglante par le pouvoir turc.
 
C’est lors du massacre de Zilan, en 1930, que l’armée turque a complètement détruit plus de 500 villages des régions de Van et d’Agri, dans l’est de la Turquie. C’est lors de ce massacre que plusieurs milliers de Kurdes ont été tués de la façon la plus horrible, la plus barbare que l’on puisse imaginer. C’est lors de ce massacre que plusieurs milliers de femmes ont reçu les baïonnettes de l’armée de Mustafa Kemal dans leurs ventres, afin que même les enfants kurdes non nés, ne puissent pas voir le jour.
 
C’est ainsi que des centaines de milliers de kurdes ont été massacrés, torturés, emprisonnés et cruellement réprimés. C’est pendant ces massacres, en 1937, que le sang a coulé dans le fleuve du Munzur, à Dersim, pendant des semaines et des semaines. Ce sang était celui des dizaines de milliers de Kurdes alévis massacrés par la Turquie de Mustafa Kemal Ataturk.
 
La liste des massacres kurdes est longue, très longue. Elle dépasse pleinement les frontières turques. Elle s’étend à l’Irak sous Saddam Hussein, au régime Baathiste en Syrie et au régime des mollahs en Iran.
 
Des centaines de milliers de Kurdes ont été tués par la Turquie dite moderne et laïque, de Mustafa Kemal. A quel prix ? Celui de la dignité, de l’honneur et de la liberté. Ils ont tous été étiquetés de terroristes. La supposée protection de l’intégrité territoriale et l’utilisation de l’étiquette terroriste contre les Kurdes ont toujours été des arguments valables aux yeux du monde, pour garder le silence face aux occupations et aux massacres commis par la Turquie.
 
Aujourd’hui, le PKK incarne le 29e soulèvement, la plus grande et plus longue résistance de l’histoire kurde, soutenue par des millions de personnes. Pourquoi autant de soutien ? Tout simplement parce que c’est grâce à cette dernière résistance que nous avons pu parler notre langue, vivre notre culture, éveiller notre conscience, être représenté en tant que peuple libre… Les Kurdes ont gouté à la liberté… Ils sont maintenant assoiffés de cette liberté que la Turquie d’Erdogan, tout comme celle d’Ataturk autrefois, voudrait confisquer.
 
C’est au cours de ce long chemin de lutte pour préserver leur existence que les Kurdes ont de nouveau été tués, emprisonnés et poussés à l’exil. La diaspora kurde se compte par millions, avec plus de 2,5 millions vivant en Europe, dont plus de 300 000 en France.
 
C’est à partir des années 1980 que les Kurdes ont commencé à s’installer dans ce pays d’accueil qu’est la France. Deux générations de français d’origine kurde ont ouvert les yeux dans ce pays qui est dorénavant le notre. Loin d’une érosion culturelle, comme certains le prétendent, nous percevons cela comme une richesse culturelle. Nous, le Conseil démocratique kurde en France, encourageons cette intégration des Kurdes à la société française. C’est seulement ainsi que nous pourrons nous sentir pleinement français et kurdes à la fois.
 
La structuration des milieux associatifs kurdes en France a été un levier essentiel pour répondre à un besoin culturel, celui de préserver et promouvoir le patrimoine culturel kurde. Nos associations jouent toutes un rôle crucial de rempart contre toutes les formes d’extrémisme, de fanatisme, de communautarisme et de nationalisme.
 
C’est à travers les associations du mouvement des femmes kurdes, des associations de la jeunesse, des instituts de recherches, des associations culturelles et cultuelles, que nous nous efforçons de transmettre des repères, et soutenir cette communauté qui a tant souffert.
 
Il en est de même pour le monde du travail. En France, les Kurdes sont aussi connus pour leur contribution au monde du travail. Principalement investis dans les secteurs du bâtiment et de la gastronomie, les centaines de milliers de salariés et d’entrepreneurs franco-kurde représentent plusieurs milliards d’euros de contributions dans le PIB de la France.
 
Loin d’être des chômeurs, les Kurdes de France contribuent pleinement à la vie active dans leur pays d’accueil ou d’adoption.
 
J’en profite pour saluer le travail remarquable réalisé par l’Union des entrepreneurs kurdes de France, cette association qui soutient activement les salariés et les entrepreneurs franco-kurdes. `
 
C’est à travers cette institutionnalisation que la présence des franco-kurdes dans la société française contribue aux valeurs de la République.
 
Il est important de comprendre que les Kurdes ne sont plus les anciens kurdes, le PKK n’est plus l’ancien PKK marxiste-léniniste, le Moyen-Orient n’est plus l’ancien Moyen-Orient et les équilibres politiques et géostratégiques ne sont plus les mêmes. Le monde change, les acteurs politiques, militaires et géostratégiques changent avec. La résistance accrue que les Kurdes ont affichée contre Daesh prouve largement ce changement.
 
Les Kurdes sont aujourd’hui des acteurs incontournables de l’échiquier politique et géostratégique. Il est dorénavant impossible de nier leur existence et de ne pas voir ce problème qui est la non-résolution de la question kurde.
 
La résolution de la question kurde par des moyens politiques est un enjeu important à atteindre. Pour ce faire, les alliés et les soutiens des Kurdes doivent également passer à l’action. Faire le nécessaire et se mobiliser pour trouver une solution politique à cette question. La France, quant à elle, doit impérativement s’imposer, user de son influence pour être le garant et le bâtisseur d’un nouveau processus de paix entre les Kurdes et les Turcs.
 
Rappelons-nous des pourparlers qui ont eu lieu de 2013 à 2015 entre la Turquie et le PKK. Il est important de savoir que ce processus de paix a commencé à Genève et s’est poursuivi à Oslo, avant de déboucher sur des négociations directes entre les deux parties. De toute l’histoire de la République turque, ces deux années représentent le seul moment de paix véritable, tant pour les Kurdes que pour la Turquie. Au cours de ces deux années, aucun jeune turc ou kurde n’a été tué dans cette guerre qui use les deux côtés.
 
Ces kurdes porteurs de projets démocratiques, écologiques et laïques, basés sur la liberté des femmes et le vivre ensemble, ont le mérite d’être soutenus par les intellectuels, les politiques et la société civile française.
 
J’appelle ici, solennellement, les intellectuels français à jouer un rôle déterminant dans la résolution historiquement sensible de la question kurde.
 
Notons par ailleurs que la démocratisation de la Turquie et impossible sans la résolution de la question kurde.
 
Une Turquie anti-démocratique, en l’occurrence celle d’aujourd’hui, représente un danger, non seulement pour la stabilité du Moyen-Orient, mais aussi pour celle de l’Europe. Nous avons tous été témoins de l’expansionnisme panturquiste et neo-otoman de la Turquie à Chypre, en Syrie, en Irak, en Libye, dans le Haut-Karabagh, et de ses manifestations agressives en Méditerranée.
 
Que doit-il se passer encore pour que l’État Français et ses diplomates comprennent que la Turquie concurrence la France sur tous les terrains, dans tous les domaines ?
 
L’invasion des nombreux pays précités par la Turquie, ou bien celle de l’Ukraine par la Russie, nous montre encore une fois à quel point la guerre est proche de l’Europe.
 
La sécurité de l’Europe passe peut-être par la Turquie, mais elle ne passe absolument pas par le régime turc. En revanche, il est incontestable que cette sécurité passe par les Kurdes. Nous avons tous été témoins du rôle joué par les Kurdes dans l’éradication de Daesh, ou bien dans la défense des minorités yézidies et chrétiennes d’orient.
 
Encore une fois, je me dois de souligner la nécessité de la résolution de la question kurde, pour préserver la sécurité, l’avenir et les intérêts stratégiques de l’Europe. Car seule la démocratisation de la Turquie peut freiner les ambitions islamo-fascistes du régime turc, inspirées par la doctrine neo-ottomaniste.
 
Disons le clairement : sans le PKK et le leader kurde Abdullah Öcalan, la résolution de la question kurde est impossible. La criminalisation de ce mouvement soutenu par des millions de kurdes est tout simplement inadmissible.
 

N’oublions surtout pas que c’est cette criminalisation qui a causé la mort de trois femmes kurdes, assassinées par les Services de renseignements turcs au coeur de Paris le 9 janvier 2013.
 
C’est pourquoi, nous lançons un appel à la France, depuis le Lutetia, cet hôtel réquisitionné par le Général de Gaule pour accueillir les déportés à leur retour des camps de concentration nazis : nous l’appelons à l’empathie envers ces Kurdes qui sont traités de terroristes, tout comme les résistants français l’étaient autrefois, avant que la France ne soit libérée de l’occupation nazie et que les rescapés ne soient accueillis dans cet hôtel.
 
Nous demandons incessamment à la France d’élaborer une politique kurde inclusive et adaptée et de ne pas laisser la question kurde à la merci du Quai d’Orsay qui marchande avec la Turquie sur le dos des Kurdes.
 
« Si vous voulez que vos rêves se réalisent, ne dormez pas. » C’est par ce dicton juif que je tiens à conclure mon discours, tout en précisant que nous venons de très loin et que nous poursuivrons sans dormir cette longue route vers la liberté.
 
En espérant que ce Newroz soit celui qui changera l’approche de la France quant à la résolution de cette question historique.
 
Merci »