PARIS. Une ressortissante française jugée pour des crimes commis contre une fille yézidie
Sustam : Les Kurdes restent inquiets car l’État n’offre aucune garantie juridique – III
PARIS – Maitre de conférence à Paris 8, Engin Sustam déclare que les Kurdes ressentent de l’anxiété et de la méfiance et ajoute que l’État continue à éviter de solutionner la question par le biais de la loi.

Le sociologue Engin Sustam a déclaré à l’ANF que les Kurdes étaient sincères dans leur demande de paix et a souligné que l’opinion publique turque devait s’impliquer davantage dans ce processus. Il a fait remarquer que la guerre et la propagande fasciste avaient empoisonné plusieurs générations.
Sustam a souligné que, dans la nouvelle phase, la propagande du pouvoir fondée sur le nationalisme turc doit être démantelée. Il a affirmé qu’un effort politique est nécessaire, notamment en faveur des pauvres, contre tous les discours fascistes, sachant que les Kurdes comme les Turcs portent de profonds traumatismes.
Ceci est la troisième partie de cette longue interview. La première partie est disponible ici et la deuxième là.
Les deux parties évoquent la possibilité d’un sabotage du processus. Qui pourrait le saboter et que peut-on faire pour l’empêcher ?
Si l’on y prête attention, ceux qui désirent le plus la violence dans ce processus sont les structures militaristes qui en ont profité, certains acteurs et une frange dominante blanche et raciste qui continue de s’exprimer d’en haut. Ces groupes cherchent délibérément à provoquer le chaos. Ce qu’ils souhaitent, c’est la poursuite de la guerre, par peur de perdre leurs positions. Ils se nourrissent de violence et de haine comme des monstres sanguinaires. En fin de compte, la menace la plus dangereuse pour ce processus est le retour au langage de la guerre.
Au lieu de construire des avant-postes militaires ou des murs à chaque frontière, au lieu de stocker des armes, ce qui est véritablement essentiel aujourd’hui est la légalisation d’un langage de paix capable de faire tomber tous les murs sociaux. C’est une étape fondamentale. Ce qui est nécessaire, c’est la construction de la paix sociale, le démantèlement complet du militarisme au Kurdistan et la pacification complète de l’espace public.
Pour qu’un processus démocratique fonctionne, la révocation des administrateurs nommés par l’État et le retour des municipalités au Parti pour l’égalité et la démocratie des peuples (DEM) sont essentiels. Ces mesures pourraient également ouvrir des perspectives de démocratisation de la Turquie et de libération du racisme et du fascisme. Cela inclurait la libération du maire d’Istanbul, Osman Kavala, et des personnes emprisonnées dans l’affaire du parc Gezi, contribuant ainsi à la sincérité de la reconstruction démocratique.
Il est profondément attristant que près de deux siècles et demi se soient écoulés depuis l’émergence du concept de contrat social par Rousseau. Pourtant, nous devons encore rappeler à l’État turc son devoir envers ses citoyens, surtout alors que nous avons, juste à côté de nous, un extraordinaire contrat social démocratique au Rojava. Plutôt que d’emprisonner des dissidents, plutôt que de prendre des personnes en otage en raison de leur langue ou de leur identité, l’État, en tant qu’institution, doit remplir son rôle régulateur.
Inclure le public turc dans le processus semble être une nécessité urgente
Écoutez, quand on examine ce qui se passe aujourd’hui en Syrie, on constate les conséquences de l’autoritarisme pendant et après la dictature d’Assad. Le gouvernement intérimaire actuel est presque entièrement composé de groupes racistes et criminels de guerre. Ces factions nourrissent des ambitions dictatoriales, assez proches de celles de l’ère Assad.
Si l’on considère les massacres et les attaques visant les Alaouites et les Druzes aujourd’hui, ou les menaces constantes dirigées contre les Kurdes, ou plus précisément, l’utilisation persistante d’un langage menaçant contre toutes les minorités, ainsi que la poursuite de la politique de la Ceinture arabe et le mépris flagrant des droits des femmes, on comprend clairement combien il est dangereux d’insister sur une structure unitaire, et comment une telle insistance peut mener une région à la destruction. Cela a été vrai dans les deux phases.
Cela montre que les pratiques démocratiques ne viennent pas de l’État ; elles sont façonnées par la rue et le peuple. Ce processus doit donc impliquer une civilarisation complète de l’État, la démocratisation des institutions et la purification de l’appareil d’État des politiques racistes et sectaires.
Prendre des mesures de démocratisation en s’appuyant uniquement sur les Kurdes et en faisant reposer le fardeau de la paix sur leurs seules épaules revient en réalité à détourner le problème. Le véritable risque réside dans la question suivante : que se passera-t-il si l’État refuse d’abandonner son emprise autoritaire sur le pouvoir ? Une nouvelle guerre ? Ce serait catastrophique, une voie sans retour.
Pour éviter cela, la question kurde doit dépasser les frontières des Kurdes et trouver sa place au sein de la société turque. Le peuple kurde est déjà conscient du processus et observe la phase de désarmement avec prudence, fort de sa propre force organisée. C’est pourquoi il est nécessaire de soustraire la question de la paix, devenue un instrument de chantage aux mains de l’État, à son emprise et d’en faire un enjeu social. Parallèlement, l’opinion publique turque doit être impliquée dans ce processus. Déconstruire la question kurde des contextes de « terrorisme », de conflit et de haine, et l’ancrer dans un nouveau processus politique, apparaît comme une nécessité urgente.
Contrairement à de nombreuses analyses erronées, le mouvement politique kurde a ouvert la voie non seulement aux Kurdes, mais aussi à d’autres sociétés du monde. Depuis le milieu des années 1990, il a introduit non seulement les pratiques classiques de la guérilla, mais aussi des débats fondés sur l’écologie, l’humanité, le féminisme et la proximité avec la nature. Le slogan « Jin, Jîyan, Azadî » (Femme, Vie, Liberté), aujourd’hui central au sein du mouvement féministe mondial, puise ses racines dans les débats au sein du mouvement des femmes kurdes des années 1990.
Franchement, rompre avec les pratiques dures, centralisées et militaristes du stalinisme et du maoïsme n’est pas chose aisée. Mais dans ce cas précis, ce sont surtout les femmes et les jeunes qui ont transformé de l’intérieur la dynamique idéologique du mouvement. Concrètement, les modèles de coopération civile au Rojava, ou les structures de gouvernance municipale, peuvent servir d’exemples. Le Mouvement pour la liberté du Kurdistan, en ce sens, est peut-être la seule force qui insiste davantage sur une voie socialiste que de nombreuses expériences de gauche en Turquie et au Kurdistan, et il a réussi à tisser des liens plus étroits avec les mouvements internationalistes.
Nous parlons ici d’une tradition, d’une structure, qui entretient aujourd’hui des relations fortes avec les dynamiques antisystémiques de l’Amérique latine à l’Asie de l’Est, de l’Afrique à l’Europe et dans tout le Moyen-Orient.
Tout le monde se demande si l’opinion publique turque est prête à accepter le nouveau processus. Mais personne ne parle de l’opinion des Kurdes, qui vivent dans un pays déchiré par la guerre depuis plus de 50 ans. Qu’est-ce qui attend les Kurdes et que faut-il faire ?
En réalité, il ne s’agit pas seulement de cinquante ans. Si l’on considère le contexte colonial remontant à l’Empire ottoman, on parle d’une période bien plus longue. Quant à la question de savoir ce que veulent ou pensent les Kurdes, je crois que la réponse est claire. Le véritable problème semble résider dans une partie importante de la société, sans vouloir généraliser, qui refuse encore de l’accepter. Une partie qui refuse de reconnaître le droit des Kurdes à définir leur existence selon leurs propres termes et qui ne parvient pas à se libérer du tourbillon de la turcité et de l’identité sunnite.
Autrement dit, comme les Alaouites (ou alévis), les Kurdes exigent que personne ne prenne de décisions à leur place, ne parle en leur nom et n’interfère dans leurs espaces de vie. Car la liberté appartient à leur propre corps. Bien sûr, les cinquante dernières années sont particulièrement significatives, car elles marquent une période où le tissu social entre Kurdes et Turcs a été profondément déchiré. D’un côté, nous avons les mécanismes de violence négationnistes et répressifs de l’État ; de l’autre, les pratiques de contre-violence anticoloniale du mouvement kurde ont contribué à créer un climat de peur et de haine. Il n’est donc pas facile de répondre à cette question.
Quel combat faut-il alors mener ? D’un côté, il s’agit de convaincre une opinion publique nourrie de paranoïa, de militarisme et de pathologies racistes. À cet égard, la gauche, les intellectuels et les démocrates turcs ont une immense responsabilité.
Mais d’un autre côté, nous parlons du monde kurde, élevé sous la pression du racisme, de la politique de haine et même d’une culture du lynchage ; façonné par la violence coloniale, la résistance et le traumatisme collectif. Et ce sont précisément eux qui sont les plus fervents défenseurs de la réconciliation. C’est pourquoi, pour répondre à cette question, je dirais que nous devons également attendre et observer l’évolution de ce processus.
L’inquiétude règne parmi les Kurdes et l’État n’offre toujours aucune garantie
Nous sommes confrontés à une spirale de violence qui s’étend sur plus de huit générations. Pour mettre fin à ce cycle et affronter un siècle de discours haineux, des « bandits kurdes » aux « terroristes kurdes », un discours raciste immuable, il faut adopter une position antiraciste et antifasciste radicalement différente. Malgré tout, je dois dire qu’il s’agit d’une décision historique, qui pourrait ouvrir la voie à une politique démocratique et civile.
Je dis « malgré tout » car le processus de militarisation en cours demeure l’un des instruments les plus actifs du traumatisme social et doit enfin être démantelé. Permettez-moi d’ajouter que nous devons également reconnaître l’hésitation et la méfiance justifiées des Kurdes envers l’État, et comprendre la confusion qu’ils éprouvent dans les différents espaces politiques.
Le colonialisme et la question kurde, qui perdurent depuis plus d’un siècle, sont comme une bombe à retardement placée sous nos yeux, un héritage de violence que nous devons affronter et démêler. Nous ne pouvons oublier les massacres de Suruç et de la gare d’Ankara en 2015. Aujourd’hui, le nationalisme ultra-turc, les généraux kémalistes à la retraite et le racisme turc alimentent une culture du complot, rendant ce sujet difficile à aborder et aggravant les blessures causées par les discours de haine.
C’est pourquoi le malaise et la méfiance règnent parmi les Kurdes suite à la décision de désarmement, car l’État n’a toujours pas offert de véritables garanties. Il continue d’éviter d’aborder la question par le biais de cadres juridiques. Et, comme vous en conviendrez, il est clair que la partie kurde n’est pas seule concernée par ce problème. L’autre partie est l’opinion publique turque, qui reste empêtrée dans un nationalisme extrême et une paranoïa. Cela signifie que nous devons désormais privilégier le langage, le dialogue et une approche ouverte au compromis sur certaines positions.
Dans une société où l’univers émotionnel du nationalisme extrême est omniprésent, nous devons nous demander comment construire un espace démocratique où les différentes voix politiques et le désir de paix peuvent s’exprimer ouvertement. Cela ne peut se faire sans affronter l’héritage de 1915 et du génocide arménien, sans se souvenir de cette histoire (et maintenant, on me traitera moi aussi de « crypto-Arménien »), ni sans reconnaître la paranoïa et la réactivité ultra-raciste engendrées par la structure technocratique et kémaliste de 1923. La réponse réside dans des efforts concrets pour organiser la paix.
Tant que nous continuerons d’assister à des attaques contre la musique publique kurde, à l’emprisonnement de dizaines de maires élus sous tutelle, aux sanctions infligées aux étudiants, aux politiciens kurdes et aux autres dissidents ; tant que la République ne parviendra pas à surmonter ses phobies ; tant que le kurde ne sera pas reconnu comme langue maternelle et normalisé dans le cadre du processus de paix ; et tant que l’État continuera de stigmatiser ses propres dissidents, les risques resteront omniprésents. Car la question kurde représente non seulement la libération d’un peuple, mais aussi la construction d’une vie radicalement démocratique dans ce pays.
Je préfère ne pas lire ceci à travers des références historiques, mais plutôt à travers les espaces démocratiques de vie commune qu’il faut construire aujourd’hui. Et il ne s’agit pas de ces généraux fascistes à la retraite, haineux et amers, qui continuent de résister à la paix, mais bien des vestiges militaires et autoritaires du régime de tutelle civile hérité du passé. Bien sûr, d’autres risques géopolitiques entrent également en jeu.
Je crois néanmoins que le mouvement kurde est l’une des rares forces politiques à avoir analysé avec précision la conjoncture actuelle au Moyen-Orient et à s’être positionné en conséquence. Cela contribue également à la décision de désarmer et de créer un espace pour une politique civile démocratique. C’est pourquoi ce processus, aussi risqué, incertain et fragile soit-il, progresse grâce à la force des acteurs qui ont combattu et sont désormais prêts à déposer les armes. Il avance grâce à l’engagement émotionnel révolutionnaire d’un camp et à l’espoir.
Alors, les Turcs abordent-ils toujours la question avec une mentalité coloniale, évitant de véritables conversations sur ce que veulent les Kurdes et pourquoi ils prônent la paix ?
Si vous me le permettez, permettez-moi de conclure cette réflexion avant de revenir à la question : « Que veulent les Kurdes ? » Je pense que ce qui suit est étroitement lié à cette question. L’opinion publique turque doit, au-delà de réciter quotidiennement son serment nationaliste, commencer à construire une politique de vivre ensemble avec les Kurdes qui revendiquent une géographie et une vie communes. Cela implique d’embrasser la paix et le dialogue avec courage, sans prêter attention aux acteurs racistes.
Cela signifie également que l’ensemble du système éducatif et des programmes scolaires doivent être démilitarisés et purgés de tout racisme. Tout langage faisant référence à une seule identité ethnique ou à une religion dominante doit être supprimé des manuels scolaires. Une approche pédagogique alternative et institutionnelle doit être mise en place pour ouvrir la voie à un nouveau récit de la Turquie, un récit qui permettra au processus de paix d’être véritablement efficace.
En d’autres termes, si l’enseignement en langue kurde est autorisé mais qu’un enseignement autoritaire, sexiste et raciste perdure, il ne s’agira pas de dialogue social, mais de la persistance d’un autoritarisme d’État. La question kurde doit être abordée sous un angle antiraciste. Résoudre la question kurde implique de démilitariser le secteur, de démocratiser l’éducation par la pédagogie, d’éliminer le patriarcat et d’ancrer le programme scolaire dans un socle antiraciste.
Il est clair que les intellectuels turcs portent aujourd’hui la responsabilité, risquée mais vitale, de transmettre la paix à la société et de contribuer à sa construction. Si ces questions ne sont pas abordées maintenant, par une position antiraciste courageuse, quand le seront-elles un jour ? La gauche turque, qui vit depuis longtemps dans un contexte de coups d’État, de violence et de racisme, doit désormais abandonner son ton hiérarchique et son habitude de parler avec condescendance, et commencer à expliquer ce processus de manière percutante et accessible.
Contribuer à la résolution de la question kurde et à la construction de la paix sociale contribuera également à la paix dans tous les secteurs de la société. Car ce processus, cette économie de guerre, détruit avant tout les foyers des travailleurs et des pauvres. En réalité, la paix est aussi une question de classe. Elle contribuera à la création d’une économie du travail commune.
Dans les médias grand public, personne ne parle vraiment des Kurdes
Depuis la fin de la lutte armée, personne ne semble parler des Kurdes. Tout le monde se concentre sur les préoccupations de l’opinion publique turque, mais les médias grand public ne s’intéressent pas à l’opinion des Kurdes sur cette question. Personne ne se demande pourquoi les Kurdes sont inquiets.
Laissez-moi vous dire ceci : ce que les Kurdes savent le mieux, c’est se sentir mal à l’aise. Des générations d’entre nous, moi y compris, ont été éduquées chaque matin sous l’ombre du serment nationaliste, et chaque soir avec l’hymne national. Pour les Kurdes, c’est une source de profond traumatisme. Et à l’instar des élèves arméniens et alaouites contraints de suivre un enseignement religieux centré sur la mosquée, d’autres communautés ont également vécu ce programme autoritaire, raciste et exclusif comme un générateur de traumatisme collectif. Il faut remettre cela en question.
C’est pourquoi les peuples rarement reconnus en Turquie, ceux qui sont traités comme des étrangers, sont toujours inquiets. Pour que la Turquie devienne une société véritablement démocratique, inclusive et pluraliste, ces discussions doivent être menées plus ouvertement et avec plus de fermeté. Sinon, tant que le journalisme et la gouvernance resteront dépendants du concept de « terrorisme », ce problème ne sera pas résolu et s’aggravera encore davantage.
Et au lieu de demander directement aux Kurdes ce qu’ils veulent, certains continuent de s’appuyer sur des voix façonnées par la paranoïa nationaliste de l’identité turque. Certains médias, comme A Haber, ou l’élite laïque des « Turcs blancs », présentent encore le problème en termes de « terrorisme » et de « séparatisme », mais un tel cadrage n’a aucun sens dans la région.
Ce processus marque clairement une rupture non seulement avec des racistes comme Yılmaz Özdil, Tanju Özcan et Ümit Özdağ, mais aussi avec des figures de la région kurde comme Mehmet Metiner et Şamil Tayyar, qui se sont taillé une place grâce à des réseaux clientélistes et opportunistes. Il marque également le déclin de nombreux autres écrivains et personnalités publiques toxiques dont les plateformes ont longtemps reposé sur la rhétorique de guerre et les récits victimaires.
Ces chiffres ont non seulement bloqué le progrès, mais ont, à vrai dire, contribué à créer la génération hyperparanoïaque que nous connaissons aujourd’hui. Le sentiment anti-kurde flagrant observé lors de récents rassemblements anti-AKP était loin d’être encourageant. L’ascension sociale d’une structure aussi profondément raciste n’est rien d’autre qu’une invitation au fascisme. Comme l’a dit un jour le psychiatre Wilhelm Reich à propos des nazis : « La théorie raciale n’est pas l’invention du fascisme ; au contraire, le racisme est le fondement psychologique qui donne naissance au fascisme. »
C’est pourquoi la réconciliation devient quasiment impossible dans les couches sociales qui n’ont pas pris en compte le racisme. Une sorte de pathologie masochiste est à l’œuvre dans ces segments de la société, qui ne s’intéresse pas à ce que veulent les Kurdes, mais à ce qu’ils désirent eux-mêmes à travers leur propre haine.
Certes, des changements intéressants ont été observés tant au sein du Parti républicain du peuple (CHP) que du Parti d’action nationaliste (MHP), d’extrême droite, qui ont joué un rôle majeur dans le déclenchement de cette crise. Mais si l’on s’intéresse à la mémoire historique, l’héritage du fascisme et l’insistance persistante sur le kémalisme ne sont guère rassurants.
Les Kurdes veulent avant tout la reconnaissance de leur existence
Les Kurdes aspirent à la liberté, mais surtout à la reconnaissance de leur existence, peut-être comme condition préalable. Ils veulent être éduqués dans leur langue maternelle, pouvoir s’exprimer librement et démocratiquement dans l’espace public, avoir leur mot à dire sur les questions qui les concernent et voir disparaître les noms, slogans et discours nationalistes imposés sur leurs montagnes et leurs plaines. Ils veulent cesser d’être contraints de dire « qu’il est heureux celui qui dit ‘je suis turc’ » chaque matin ou chaque soir.
La décolonisation signifie guérir une région, sa mémoire culturelle et sa langue de toute forme de domination coloniale. Il est clair que les Kurdes exigent que tous ces éléments soient garantis constitutionnellement. La question ne doit plus être abordée avec une politique de temporisation ou de dilution, comme par le passé. Elle doit être prise au sérieux. La reconnaissance et la prise en compte sont les fondements du partenariat, et nous discutons déjà de la manière dont ces droits doivent être garantis constitutionnellement.
La région doit être démilitarisée, non pas par la multiplication des avant-postes, des murs frontaliers, le renforcement des troupes ou une militarisation accrue, mais par un processus démocratique ouvrant la voie à une politique humaine et centrée sur la vie. La constitution doit être démocratisée. Le racisme doit être criminalisé. Les revendications des Kurdes ne doivent pas être craints, mais protégés par un cadre juridique constitutionnel inclusif et démocratique.
Pour parler franchement, ce processus nécessite l’émergence d’une puissante dynamique sociale antiraciste en Turquie. Cela pourrait donner un véritable élan à ce problème. Car ce à quoi nous assistons aujourd’hui au Kurdistan n’est pas seulement un colonialisme classique. C’est aussi une assimilation intense (suppression de la langue kurde, interdiction des activités culturelles), une exploitation économique, une destruction écologique, une pauvreté, un traumatisme collectif et une violence militarisée et patriarcale visant les femmes et les enfants.
De nombreuses générations en Turquie ont été empoisonnées par la haine
Bien sûr, nombre de ces propositions ne constituent que des premières étapes à grande échelle. Le véritable travail commence ensuite. L’un des piliers de la paix sociale est l’instauration de la justice : justice pour les Mères du samedi, pour les enfants tués, comme à Roboski et pour Uğur Kaymaz, pour Taybet Ana, pour les victimes de féminicides, pour celles et ceux qui ont perdu la vie à Suruç, lors du massacre de la gare d’Ankara, et bien d’autres.
D’autre part, comme vous le savez, de nombreuses générations en Turquie ont été empoisonnées par la haine, le racisme et le nationalisme extrême. La plupart d’entre elles vivent aujourd’hui une forme de paranoïa collective. Les groupes d’extrême droite comme le Parti de la Victoire agissent comme des interprètes assermentés de la haine, diffusant constamment une propagande pour entretenir la haine sociale et l’hostilité envers les Kurdes et les migrants.
Le racisme n’est toujours pas reconnu comme un crime en Turquie. Cela montre que la paix sociale doit être recherchée avec courage et que le racisme doit être constitutionnellement défini comme un crime. Ce n’est qu’à cette condition que des mesures efficaces pourront être prises contre les politiques xénophobes.
Le racisme doit désormais être traité comme une infraction pénale. Cela permettrait également à la Turquie de commencer à guérir de sa profonde mémoire d’extrême droite et ultranationaliste. (ANF)
SYRIE. Naissance du magazine kurde « Hozar »
Dans le but de préserver la langue kurde de l’extinction due aux campagnes de génocide culturel auxquelles elle est soumise par des régimes au pouvoir négationnistes, et d’encourager ceux qui sont intéressés à écrire dans leur langue maternelle, en particulier les jeunes, la Fondation pour la langue kurde à Alep publie un magazine imprimé.
L’initiative de publier ce magazine imprimé répond à une demande des enseignants et des étudiants kurdes qui sont engagés et zélés dans leur langue maternelle, en se basant sur leurs connaissances linguistiques et littéraires de l’histoire de l’émergence et du développement de la langue.
Magazine imprimé
Le magazine, publié par la Fondation de la langue kurde à son siège dans la partie est du quartier de Sheikh Maqsoud à Alep, couvre divers sujets sur la langue kurde, notamment les fondements du développement de la langue, sa littérature, les questions de sa diffusion et l’identification des contributeurs à sa renaissance.
Le public cible de ce magazine imprimé comprend la société civile, les intellectuels et les jeunes en particulier. L’objectif est de les sensibiliser à leur histoire, leur culture, leur identité et leur langue, considérées comme des piliers essentiels à la préservation de l’existence et de la survie.
Date de publication
Le calendrier de publication et de distribution du magazine imprimé varie en fonction des obstacles auxquels la fondation est confrontée, tels que le manque de matériel nécessaire et les retards des contributeurs à enrichir le magazine avec leurs articles et textes dans les délais impartis.
Le premier numéro du magazine a été publié en février, le deuxième en mars et le troisième numéro est toujours en cours de publication, en attendant l’achèvement des articles et leur disposition dans les pages du magazine.

Zozan Dahar, membre de la Fondation pour la langue kurde, a présenté les principaux thèmes du magazine, soulignant son objectif de revitaliser la culture de l’écriture et de la lecture dans la langue maternelle. Elle a déclaré : « Outre un bref historique de la langue, nous consacrons une section du magazine à la contribution des femmes à son développement et à sa diffusion. »
Appel à contribuer à l’enrichissement du magazine
Zozan Dahar a appelé les passionnés de la langue kurde à laisser leur empreinte sur le magazine en soumettant leurs manuscrits à l’institution qui le publie, afin de diversifier les idées présentées et de le rendre plus attrayant pour les lecteurs de toute la société.
Zozan Dahar a expliqué que la fondation publie non seulement le magazine mais surveille également son impact sur les lecteurs, en déclarant : « Lors de la distribution du magazine, nous demandons aux lecteurs s’il y a des lacunes dans l’écriture et les idées présentées, et nous demandons leurs évaluations pour corriger les erreurs et améliorer les éditions futures. »
Zozan a également souligné leur dévouement à consacrer les dernières pages du magazine à la poésie, aux histoires humoristiques, aux proverbes et à d’autres sujets divers. (ANHA)
ROJAVA. Une délégation européenne en visite à Kobanê
SYRIE / ROJAVA – Une délégation européenne s’est rendue dans la ville kurde de Kobanê pour évaluer la situation dans la région, examiner les défis sécuritaires auxquels elle est confrontée et discuter des moyens de renforcer la coopération et le soutien humanitaire.
Hier, le Conseil exécutif de l’Administration du canton de l’Euphrate a reçu une délégation européenne officielle à son siège basé à Kobané. Cette visite avait pour objet discussion autour des questions politiques et humanitaires, ainsi que de l’évolution de la situation dans le canton de Kobanê.
La délégation comprenait :
Martin Schirdewan, député européen et coprésident du groupe de gauche au Parlement européen,
Nora Friesz Vendenburgh, assistante de Martin Schirdewan,
Philipp Degenehard, directeur adjoint de la Fondation Rosa Luxemburg,
Fayik Yağızay, Représentant du Parti démocrate auprès des institutions européennes à Strasbourg,
Sarah Glenn, conseillère de Fayik Yağızay
L’objectif de la visite était de mieux comprendre les réalités de Kobanê, son système administratif et les défis sécuritaires auxquels il est confronté, ainsi que d’explorer les moyens de renforcer la coopération et l’aide humanitaire.
La visite fait suite à une réunion entre la délégation et Hussein Othman, coprésident du Conseil exécutif de l’Administration autonome démocratique, ainsi que les adjoints de la coprésidence du conseil, au siège de l’Administration autonome dans le canton de Raqqa. (ANHA)
TURQUIE. Libération d’un membre du conseil de l’ordre du barreau d’Istanbul
TURQUIE – Fırat Epözdemir, avocat kurde et membre du conseil de l’ordre du barreau d’Istanbul incarcéré pour « appartenance à une organisation terroriste », a été libéré hier soir. Firat Epözdemir avait été arrêté fin janvier à l’aéroport d’Istanbul à son retour d’une réunion au Conseil de l’Europe à Strasbourg.

Avocat et membre du conseil d’administration du Barreau d’Istanbul, Fırat Epözdemir a été libéré de la prison de Marmara (Silivri) où il était détenu. De nombreux avocats ont accueilli Epözdemir avec des fleurs et des applaudissements.
« Nous ferons de notre mieux pour tous nos amis injustement arrêtés »
Epözdemir a prononcé un bref discours à la sortie de la prison, soulignant qu’il continuerait la lutte. Il a déclaré : « Nous continuerons à nous battre pour que ce pays se développe en termes de démocratie, de droit et de droits humains. (…) J’ai été arrêté illégalement. Nous savons que des milliers de personnes sont détenues en Turquie, injustement et illégalement. Nous ferons de notre mieux pour tous nos amis injustement arrêtés et condamnés. Je tiens à remercier tous ceux qui nous ont soutenus jusqu’à présent. »
ROJAVA. Trois journalistes kurdes blessés dans un accident de la route

Vers une « Renaissance des femmes » au Kurdistan
TURQUIE / KURDISTAN – Lors de la première Conférence des femmes parlementaires kurdes, les élues kurdes ont mis l’accent sur l’opportunité d’une « Renaissance des femmes » au Kurdistan tandis qu’elles décidaient « d’établir l’unité et des réseaux organisationnels parmi les femmes parlementaires kurdes ».
La première « Conférence des femmes parlementaires kurdes » (en kurde: Konferansa Parlamenterên Jinên Kurd) organisée par le Mouvement des femmes libres (Tevgera Jinên Azad-TJA) à Amed s’est achevée aujourd’hui.
À l’issue des ateliers organisés le deuxième jour au Centre des congrès de Çand Amed, la déclaration finale a été lue.
La déclaration finale lue par la députée Semra Çağlar Gökalp se lit comme suit :
En tant que femmes kurdes du territoire du Kurdistan, au cœur des régimes de guerre incessants des puissances capitalistes mondiales et des États-nations, nous avons subi l’exploitation et les massacres dans toute la région. La guerre menée par les dirigeants est un génocide contre les femmes kurdes. En tant que femmes qui n’ont jamais reculé devant la lutte pour notre langue, notre culture et notre identité, nous avons démontré notre résistance au Moyen-Orient et au monde entier comme un chemin vers la construction d’une nouvelle vie.
La lutte des femmes, née au Bakur (Kurdistan du Nord), est devenue un modèle pour une nouvelle vie au Rojava. Alors que les soulèvements féminins contre les massacres au Bashur (Kurdistan du Sud) se multiplient, l’organisation des femmes à Shengal (Sinjar) est devenue une réponse aux féminicides. Grâce à Jina Amini, le slogan des femmes kurdes « Jin, Jiyan, Azadî » (Femme, Vie, Liberté) a touché des femmes du monde entier depuis le Rojhilat (Kurdistan oriental). Aujourd’hui, les femmes kurdes multiplient les étapes et les chemins vers la construction de leur liberté grâce à des modèles de défense des femmes, contrairement au siècle dernier. De Mina Qazi à Leyla Qasım, de Sakine Cansız à Xevrin Helef… À travers elles, l’histoire de la rébellion et de la liberté des femmes dans quatre régions (du Kurdistan) montre au monde entier que nous commençons à tisser le XXIe siècle vers un siècle de renaissance pour les femmes. À l’heure où le Kurdistan et le Moyen-Orient traversent un tournant historique, la tenue de la « Conférence des femmes parlementaires kurdes » revêt une importance historique et marque un début pour nous, femmes kurdes. La mémoire et le vécu des femmes kurdes tuées, emprisonnées et exilées témoignent de la lutte des femmes kurdes contre le racisme, le fondamentalisme religieux et le sexisme dans cette région. Cette conférence témoigne également de notre détermination et de notre unité à façonner ensemble notre avenir commun.
Lors de la conférence, où nous avons discuté des possibilités de changement et de transformation dans une politique dominée par les hommes grâce à la lutte commune des femmes kurdes pour une politique démocratique, nos expériences ont servi de passerelle entre nous grâce aux mécanismes et modèles autonomes que nous avons créés grâce à nos réalisations. En tant que force fondatrice d’une vie libre et égalitaire, nous, les femmes, serons les acteurs d’un changement libertaire féminin, du parlement à tous les domaines de la vie. La lutte menée par les femmes au parlement contre la violence de l’État masculin et les politiques de féminicide joue un rôle majeur dans la défense de la vie des femmes. Il est essentiel que les femmes kurdes adoptent une position unie contre les lois sexistes et discriminatoires et se défendent mutuellement dans les arènes parlementaires où elles sont présentes. Nous nous défendrons et nous nous souviendrons les unes des autres face aux attaques telles que les lois sur le mariage précoce, la polygamie, les violences sexuelles, le génocide politique contre les femmes, l’enlèvement forcé de femmes yézidies et les mutilations génitales féminines. Nous nous organiserons pour défendre et construire nos acquis, notamment la Convention d’Istanbul, la CEDAW, les documents de la Révolution des femmes du Rojava, la résolution 1325 de l’ONU, la coprésidence et la représentation égale.
Nous soulignons avec force l’« Appel à la paix et à une société démocratique » lancé par M. Öcalan, ainsi que le rôle et la responsabilité majeurs des femmes parlementaires kurdes dans la construction de la paix. L’unité des femmes kurdes, en paroles, en actes et en lutte, garantira non seulement l’unité entre les Kurdes, mais aussi la viabilité d’une société démocratique dans ses quatre composantes. La lutte des femmes englobe la multiplicité des identités et de la participation, et n’est pas seulement une lutte de genre, mais inclut également des luttes de classe, d’identité, de croyance et écologiques. La représentation des femmes en politique peut contribuer à la paix entre les peuples et les religions, ainsi qu’à l’instauration d’une société démocratique en donnant vie à des mécanismes fédérateurs. En cette période où les opportunités d’une « Renaissance des femmes » se multiplient au Kurdistan, nous pouvons garantir la liberté et l’égalité des femmes en unissant nos forces dans la lutte contre toutes les formes de guerre menées par le système capitaliste mondial et les régimes dominés par les hommes qui cherchent à légitimer des pratiques réactionnaires, sexistes et violentes. Tout comme la domination masculine attaque les femmes de manière globale et unifiée, nous, les femmes, pouvons vaincre ce système grâce à une lutte et une organisation féminines qui transcendent la fragmentation et la division. Notre conférence mènera ses travaux en prenant la décision historique d’établir l’unité et les réseaux organisationnels des femmes parlementaires kurdes aux niveaux local, régional et mondial.
Après la lecture de la déclaration finale, les femmes ont scandé ensemble « Jin, Jiyan, Azadî (femme, vie, liberté) ».
TURQUIE. Un otage kurde libéré après 30 ans de captivité
CENSURE. La Turquie fait bloquer les comptes YouTube de 5 journalistes kurdes
MARSEILLE. Conférence/débat autour de la question kurde
MARSEILLE – Le Collectif Internationaliste Marseille-Kurdistan (CIMK) organise le 6 juin une discussion autour de la question kurde, notamment sur la dissolution de la guérilla kurde.
Voici les détails de la soirée organisée à La Fraternité Belle de Mai donnés par le CIMK:
Comment comprendre la dissolution du PKK, quel futur pour le mouvement révolutionnaire du Kurdistan et à l’international ?
Le CIMK – Collectif Internationaliste Marseille-Kurdistan, membre du réseau Serhildan, vous invite le vendredi 6 juin à 19h à une discussion autour de l’actualité au Kurdistan dans le cadre de la série de conférences intitulées « Printemps Révolutionnaires Apoistes ».
Abdullah Ocalan est le pionnier de la pensée révolutionnaire qui a donné naissance à un mouvement de libération au Kurdistan, un mouvement qui a commencé il y a 50 ans. Avec son Parti, le PKK (Parti des travailleurs et travailleuses du Kurdistan), il répand dès le début l’idée que la révolution ne devait pas se restreindre à la libération d’un pays, mais devenir une lutte de tous les peuples contre le système capitaliste oppresseur. Il a été emprisonné pour son rôle et ses pensées en 1999 mais le mouvement n’a jamais cessé son action et A. Ocalan n’a pas cessé, pendant ses 26 ans d’incarcération de penser aux solutions face au colonialisme, au patriarcat et au système d’Etat-Nation.
Le 27 février dernier, Abdullah Ocalan annonçait la dissolution du Parti et la fin de la lutte armée. Cet appel est repris par les médias mainstream qui traduisent dissolution par capitulation.
Mais l’histoire ne peut pas être écrite par l’oppresseur.
C’est à nous d’écrire l’histoire et la mémoire collective du côté des mouvements démocratiques de libération des peuples.
Nous vous invitons lors de cette soirée à Marseille à comprendre ensemble cet appel avec la participation de militant.es internationalistes.
Après les discussions, la soirée continuera autour d’un repas vegan.
Salutations internationalistes,
CIMK
cimk13 chez riseup.net
Serhildan, site d’information sur les luttes au Kurdistan et réseau internationaliste de solidarité contact chez serhildan.org
Sustam : La guérilla kurde est désormais un mouvement populaire mondial – Partie II
PARIS – Le Maître de conférences à l’université Paris 8, Engin Sustam déclare que le mouvement kurde n’est plus seulement une organisation mais un mouvement populaire international enraciné dans le socialisme, dans une interview accordée l’agence Firat News (ANF).

Le sociologue Engin Sustam a déclaré que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est devenu un bastion de résistance pour le peuple kurde et que sa lutte n’est pas terminée mais a plutôt évolué vers une nouvelle phase.
Sustam a souligné que le Mouvement pour la liberté kurde est bien plus qu’une organisation classique et s’est désormais transformé en un mouvement populaire international. Se référant à la dernière déclaration du congrès, il a déclaré que l’appel lancé aux socialistes était particulièrement significatif.
La première partie de l’entretien avec le sociologue Engin Sustam peut être lue ici.
Un autre problème soulevé par la décision de dissolution est la tentative de créer l’illusion que la lutte est terminée. Cette décision met-elle vraiment fin aux cinquante années de lutte du PKK ?
En tant que mouvement populaire, le PKK s’étend à de nombreux domaines et composantes : mouvement social, mouvement armé, politique légale, force culturelle, désobéissance civile et engagement intellectuel. Il incarne également l’histoire et la mémoire de ces dynamiques et est devenu un bastion de l’existence sociale et de la résistance du peuple kurde. Il entre aujourd’hui dans une nouvelle phase.
Je pense que le mot « fin » est une formule trop simpliste. Dans les mouvements antisystémiques, la dynamique de lutte se transforme physiquement, mais ne disparaît pas. Depuis sa fondation comme mouvement de rébellion, le mouvement kurde n’a pas disparu ; il s’est investi de nouvelles missions politiques. Même en se dissolvant, il ne cesse pas d’exister ; il crée de nouveaux espaces au sein de la dynamique évolutive de la lutte.
Certes, la lutte armée touche à sa fin, mais cela ne signifie pas pour autant que la lutte pour la liberté des Kurdes soit terminée. Cette structure politique a depuis longtemps reconnu les limites de la résistance armée, même depuis le milieu des années 1990, et n’a pas réussi à trouver un interlocuteur légitime avec lequel s’engager. On peut désormais dire que cette structure se transforme en laboratoire d’un nouveau type de résistance et de transformation sociale.
En ce sens, malgré certains risques, je vois cette démarche d’un bon œil et souhaite garder espoir. Comme beaucoup d’autres, je suis concerné par ce problème. Ayant été lynché, licencié et déplacé de force [après mon engagement au sein du collectif Académiciens pour la paix], je sais ce que l’exil peut représenter. Mais je sais aussi que l’expérience du déracinement est une réalité partagée par tous les Kurdes. Alors, bien sûr, nous avons nos peurs et nos angoisses.
Il est temps de se concentrer sur une politique qui renforce la langue kurde
L’une des premières étapes les plus cruciales de cette nouvelle phase de la lutte serait la démilitarisation complète de la région, ce qui contribuerait significativement au processus. Prendre des mesures politiques pour permettre le retour des personnes déplacées dans leurs foyers contribuerait à établir une désobéissance civile ancrée dans une solide expérience démocratique.
Plutôt que de parler à l’ombre des armes, nous pouvons désormais discuter de la grammaire de la liberté pour la question kurde et de l’égalité des citoyens kurdes dans un espace civil et démocratique. Et je le dis malgré les multiples couches de violence, de répression et de contrôle étatiques.
Il est peut-être temps d’insister sur un autre terrain de lutte, de se concentrer sur une politique qui valorise la langue kurde, considérée comme une source d’existence culturelle et un outil diplomatique. Par conséquent, cette dissolution ne signifie pas l’absence de revendications. Au contraire, de nombreuses revendications ont déjà été exprimées et obtenues, ouvrant ainsi un nouveau champ de lutte pour consolider ces acquis.
Cette situation dépasse les aspirations de l’État et les définitions faciles de la « défaite » que certains s’empressent d’utiliser. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère, celle où une nouvelle génération, post-PKK, commence à façonner sa propre expérience.
En tant que mouvement social, mouvement de résistance, organisation et mouvement de masse, le PKK a créé une ligne politique et une génération capables de produire une conscience collective susceptible de transformer le Moyen-Orient, le Kurdistan et la Turquie. Cela ne signifie pas que tout est terminé. Au contraire, un combat difficile commence, lié à un processus de paix dont le nom n’a même pas encore été prononcé.
Dans les mouvements sociaux antisystémiques, les acteurs changent constamment leurs méthodes de lutte. Les armes n’ont jamais été un objectif, mais une nécessité. Et aujourd’hui, ils abandonnent cette méthode de contre-violence.
Le mouvement kurde est devenu un mouvement populaire international
Les solides expériences de gouvernance municipale développées dans l’ère post-2000, et le fait que la représentation politique légale du mouvement kurde soit actuellement la troisième plus grande force d’opposition en Turquie, montrent que même si le PKK se dissout, il peut encore canaliser son énergie vers de nouvelles voies.
Après la révolution au Rojava en 2012, les pratiques d’autonomie et de confédéralisme sont devenues le seul modèle démocratique en Syrie. De même, il est désormais clair que le mouvement politique kurde en Turquie servira de fondement à une initiative démocratique populaire capable d’ouvrir un espace juridique sans violence. Malgré tous les risques, cela est crucial non seulement pour résoudre la question kurde, mais aussi pour démocratiser la Turquie grâce à sa propre dynamique interne.
Je le répète, ni les propos de M. Öcalan ni les décisions prises lors du 12e Congrès du PKK ne sont totalement nouveaux. On se souvient d’événements similaires sous l’ère Özal. Il ne s’agit pas d’une organisation avide de violence, mais d’une organisation qui l’a utilisée comme un moyen et qui, en tant qu’acteur de cette lutte, a décidé de se dissoudre.
Cela ne signifie pas que les événements des années 1980 et 1990 ne feront pas l’objet d’une réflexion critique. Au contraire, nous sommes en présence d’une structure politique qui a rendu visible le positionnement historique et la mémoire de la question kurde et a abordé la violence comme un outil dans un cadre anticolonial.
Comme vous le savez, les expériences politiques nationales kurdes ont été nombreuses et variées avant le PKK. Ce qui distingue le PKK des mouvements des années 1970, c’est que, pour la première fois dans l’histoire kurde, il a redéfini la position de cette question et l’a élargie à une dimension transnationale. Il est devenu un mouvement de guérilla transfrontalier et une force fondatrice d’une mémoire sociale, politique et culturelle collective.
Prenons l’exemple du Parti démocratique du Kurdistan (PDK). Après plus de soixante ans de lutte armée, il a obtenu des avancées politiques, aux côtés de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), après la chute de Saddam Hussein dans les années 1990. Cela a ouvert la voie à une structure fédérative au Kurdistan et contribué à la formation d’une mémoire décoloniale, inaugurant une ère post-conflit.
En ce sens, le mouvement kurde en Turquie a dépassé le stade d’organisation traditionnelle. Grâce aux dynamiques institutionnelles, sociales, culturelles et politiques qu’il a générées, il s’est transformé en un mouvement populaire transnational et international. Parallèlement, il ouvre la voie à la politique civile et pose les bases du dialogue social.
Ce processus de dissolution nous incite également à nous interroger sur la possibilité, pour les parties impliquées dans un conflit armé, de communiquer en dehors du cadre des armes. Désormais, ce ne sont plus les armes qui doivent parler, mais la politique civile, guidée par le dialogue et l’engagement en faveur de la paix sociale.
La déclaration du congrès incluait un appel fort aux socialistes pour une lutte commune. Une telle coopération est-elle possible ?
La possibilité d’une lutte commune a toujours existé, et elle existe toujours. La véritable question est de savoir si les socialistes turcs y sont prêts. Je crois que ce n’est que lorsque nous cesserons de crier « Vive » ou « À bas » ceci ou cela, autrement dit, lorsque nous dépasserons les slogans et l’agitation pour entrer sur le terrain de la lutte et transformer les rues en espaces de paix et de solidarité sociale, que l’espace de la lutte commune se révélera naturellement.
Regardez le Rojava. Le champ de la lutte commune existe. De nombreuses dynamiques différentes agissent ensemble contre la violence, l’autoritarisme et le fascisme, et elles ne sont pas toutes socialistes ou de gauche.
La question fondamentale est la suivante : quand la gauche turque se libérera-t-elle de son engrenage nationaliste et étatique ? Si elle parvient à considérer le Kurdistan non pas à travers le prisme du « pacte national turc » (Misak-ı Milli), mais à travers un cadre de citoyenneté et d’autonomie partagées, alors je crois qu’elle ne reportera plus la libération kurde à une révolution future ou à un printemps lointain.
À ce stade, il serait peut-être utile de suivre une trajectoire historique. Peut-être devrions-nous considérer le mouvement kurde comme le dernier mouvement radical, insurgé et armé. À partir de là, nous devons nous demander si un véritable espace de lutte commune est possible et laisser le champ libre à cette question.
Avant tout, il est essentiel que les Kurdes eux-mêmes prennent une décision collective quant à une lutte commune. Naturellement, cet espace interagira avec les démocrates et les militants de gauche turcs, arabes et persans. Autrement dit, nous sommes confrontés à une longue histoire politique qui inclut de nombreux mouvements kurdes depuis les années 1960, tels que le KUK, Rizgarî, Kawa, le DDKO, le DDKD, le PSK et le TKDP. Mais depuis 45 ans, cette histoire kurde se perpétue à travers le PKK. Et aujourd’hui, dans cette mémoire, nous sommes arrivés à la fin de la lutte armée.
Le mouvement kurde est né de l’esprit de la génération post-coup d’État des années 1970, une génération radicalisée et réprimée par la violence militaire, qui a donné naissance à des mouvements sociaux et politiques anti-systémiques. À l’instar de l’Armée populaire de libération de Turquie (THKO) de Deniz Gezmiş, du Parti-Front de libération du peuple de Turquie (THKP-C) de Mahir Çayan ou du Parti communiste du travail de Turquie/marxiste-léniniste (TİKKO) d’İbrahim Kaypakkaya, dont l’analyse de la question kurde reste pertinente aujourd’hui, la jeunesse kurde de cette époque, fortement influencée par le Droit à l’autodétermination des nations (UKKTH) et par les traditions révolutionnaires soviétique, chinoise et guévariste, s’est engagée sur la voie de la liberté anticoloniale du peuple du Kurdistan.
À une époque où la gauche mondiale souffre, ils réaffirment qu’insister sur le socialisme, c’est insister sur le fait d’être humain.
Au-delà des théories du complot, le mouvement kurde est né de la faction la plus radicalisée de la génération de 1968, imprégnée de l’esprit de résistance palestinienne et des luttes anticoloniales en Algérie et au Vietnam, et portée intellectuellement par des figures comme Abdullah Öcalan et ses camarades Hakî Karer, Mazlum Doğan, Kemal Pir, Sakine Cansız, Rıza Altun, Ali Haydar Kaytan et Cemil Bayık. Ce mouvement est né de l’influence d’une génération d’étudiants des villes turques, profondément inspirés par les luttes socialistes de l’époque.
Cette formation n’est pas née uniquement du traumatisme du coup d’État militaire de 1980 ou des tortures infligées à la prison de Diyarbakır. Elle est aussi le fruit de la mémoire accumulée par tous les courants politiques kurdes depuis le début du XXe siècle, en particulier ceux qui ont pris de l’ampleur après les années 1960.
Le mouvement politique kurde est devenu un espace de transformation, un foyer de changements durables dans les régions kurdes. Il s’est radicalisé, résultat de tous les soulèvements kurdes passés, pour évoluer vers une lutte armée antisystémique qui s’est profondément infiltrée dans les couches les plus profondes de la société kurde et a finalement rejoint la gauche politique mondiale.
Il est devenu l’un des plus grands mouvements armés au monde, doté d’une vaste cartographie sociopolitique et de réseaux internationaux transfrontaliers. De l’Amérique latine à l’Europe, de l’Afrique à l’Asie de l’Est, le mouvement a tissé des liens avec de nombreuses luttes sociales et politiques, du Mouvement des travailleurs sans terre aux zapatistes. Il est remarquable qu’il soit aujourd’hui devenu un puissant mouvement populaire.
Il s’agit d’un phénomène sociologique et géopolitique, une réalité. Au cours des cinquante dernières années, il est devenu l’une des dynamiques les plus débattues, combattues ou admirées de l’ère moderne. Je me souviens des conférences de Wallerstein au début des années 2000, où il s’intéressait de près au mouvement kurde, le considérant comme une force d’opposition systémique exigeant une analyse approfondie de la part des philosophes européens.
Nous parlons de quelque chose qui dépasse largement les cadres classiques des mouvements politiques, d’un ensemble d’événements ayant ses propres rythmes, souvenirs et cycles historiques. Bien sûr, ce que Wallerstein décrit ne diffère pas de ce qu’il a coécrit avec Terence K. Hopkins et Giovanni Arrighi dans leurs ouvrages.
Les idées clés de ce cadre, qui ont retrouvé une importance accrue après l’effondrement de l’Union soviétique, analysaient la dynamique historique entre la Révolution française de 1789 et les soulèvements de 1968. Et, à bien des égards, je crois que cette dynamique s’applique également au mouvement politique kurde, notamment dans le contexte des luttes de classe pour la liberté. (À l’époque, Wallerstein suivait de près le mouvement kurde dans ses conférences.) Ce que j’ai le plus clairement compris de son analyse des mouvements antisystémiques était le suivant :
L’un des éléments fondamentaux de l’opposition systémique (qui fait ici référence au système capitaliste) est la capacité des individus, des groupes ou des mouvements politiques qui critiquent les institutions politiques dominantes à proposer des modèles alternatifs de gouvernance.
Par conséquent, lorsqu’on analyse un mouvement politique de masse comme le PKK, il est nécessaire de le considérer sous deux angles : à la fois comme un mouvement de résistance armée et comme un mouvement social. Car, dans les régions où cette dynamique existe, elle offre également un projet social global.
En tant que force antisystémique, le mouvement kurde ne peut être appréhendé uniquement à travers le prisme du Droit à l’autodétermination des nations (UKKTH). S’il propose une critique de classe du système colonial, il propose également une série de propositions antisystémiques. C’est un mouvement ancré dans la tradition socialiste qui promeut une forme fondamentale de pouvoir, tout en formulant des critiques sérieuses de la situation actuelle du capitalisme historique et du système mondial qu’il soutient.
C’est pourquoi, aujourd’hui, à une époque où la gauche mondiale est si profondément victimisée et peine à articuler un discours puissant, elle réaffirme ce principe : « Insister sur le socialisme, c’est insister sur le fait d’être humain. »
La gauche turque doit abandonner sa rhétorique du « frère aîné » pour une lutte commune
Sous cette forme, le mouvement kurde a non seulement organisé une résistance (serhildans) ancrée dans une mémoire transmise depuis l’époque ottomane, ou apporté une conscience politique au peuple kurde, mais il a également transcendé une lutte de résistance nationale de longue date, la transformant en une force transnationale. Ce faisant, il a contribué à la socialisation des enjeux politiques mondiaux au sein des régions kurdes.
Aujourd’hui, si le mouvement des femmes est si puissant dans de nombreuses régions du Kurdistan ou si les discussions écologiques ont profondément infiltré nos vies, si l’autonomie, les expériences municipales démocratiques, les activités culturelles et les débats philosophiques significatifs (ce n’est pas seulement mon opinion, mais aussi celle de Chomsky, Negri, Graeber, Hardt et Zizek) se sont étendus au-delà du domaine national kurde et ont atteint le monde, alors il est clair que le mouvement kurde a eu une très forte influence sur cela.
Bien qu’enraciné dans les expériences soviétique et chinoise, le mouvement kurde a, par sa critique ferme de ces modèles, créé son propre espace anti-systémique et anticapitaliste. Par exemple, le désir de transformation révolutionnaire qu’il a porté au Rojava et son incroyable contribution à la gauche mondiale continuent d’avoir un impact aujourd’hui.
Dans la région du Rojava, le dialogue et les possibilités d’autogestion et de liberté développés grâce à la structure de pouvoir fondamentale dans les zones libérées de la dictature baasiste illustrent la nature multidimensionnelle de cette politique. Cela démontre clairement que le dialogue et la lutte communs ne sont possibles que si nous avançons sur des bases communes et égales.
Il semble évident que la gauche turque, et plus particulièrement sa grande majorité, doit abandonner sa rhétorique paternaliste du « grand frère » et s’attaquer à des idéologies comme le kémalisme et le stalinisme afin de créer de véritables alliances pour une lutte commune sur un pied d’égalité. Bien sûr, le mouvement kurde et la gauche turque ont de nombreux points critiquables. Cependant, une chose est indéniable : le mouvement kurde n’est pas un mouvement ordinaire. Il est évident qu’il ne peut être compris comme un simple mouvement de lutte armée.
Dans une interview accordée à Bianet en octobre 2024, Michael Hardt a déclaré, ce qui, je crois, répond à votre question : « Le mouvement kurde est une source d’inspiration pour les mouvements du monde entier. » Il ne le dit pas à la légère, et il n’est pas le seul. Des personnalités comme Murray Bookchin, David Graeber et Antonio Negri, avant leur disparition, ainsi que Slavoj Žižek à différentes époques, ont exprimé des points de vue similaires.
Au risque d’invoquer des interprétations orientalistes extrêmes ou des critiques trop interprétatives, je tente de souligner que le réseau mondial du mouvement politique kurde, né des germes de la rébellion au Kurdistan, s’est désormais étendu bien au-delà de ces frontières.
Au-delà de son potentiel révolutionnaire organisé dans la région kurde, le mouvement kurde a également réalisé une révolution sociale et mentale au Rojava et au Bakur (Nord). Il a présenté un projet de paix sociale, concrétisé le contrat social et, dans un deuxième temps, renforcé la solidarité internationale. Cette dynamique a permis d’établir une synthèse permettant de situer ses contributions philosophiques et politiques.
Dans les années 1990, les montagnes étaient considérées comme un centre de guérilla classique, adhérant à l’idéologie marxiste-léniniste. Aujourd’hui, cependant, le mouvement a compris la transformation du monde, s’y engageant et créant un contrat social reconnaissant le pouvoir de la classe ouvrière. Il a créé plus d’une centaine de municipalités, de coprésidences et a créé une structure fondée sur l’égalité.
Il ne s’agit pas d’un groupe ou d’un parti d’avant-garde cherchant à s’emparer du pouvoir comme en Union soviétique. Au contraire, il a analysé ce modèle de manière critique, évoluant vers un mouvement anti-systémique de masse, un mouvement de résistance sociale de grande envergure. Aujourd’hui, il a dépassé les soulèvements armés et n’est plus un groupe de résistance insurgé. Il s’est transformé en une dynamique sociale qui a déposé les armes et cherche à dialoguer avec les autres.
La réalité est qu’à mesure que ces expériences, la création d’organismes de coordination régionale pour les communes autonomes et l’établissement de conseils de gouvernance démocratiques et communaux, se sont répandues, il existe un lien évident entre la dissolution du PKK et la croissance généralisée de ces pratiques.
La multiplication des expériences civiles, coopératives ou activités culturelles, ainsi que l’émergence d’une conscience politique plus forte dans la sphère publique et la société par rapport aux années 1990, ont été facilitées par de nombreuses expériences politiques différentes dans les régions kurdes reconquises (telles que le mouvement des femmes, les modèles de travail collectif, les gouvernements locaux, les organisations de quartier, etc.). De plus, les efforts pour établir un dialogue sociétal au Rojava sans s’appuyer sur le système judiciaire, la médiation ou les prisons, et le développement d’un système éducatif progressant par la santé et la pédagogie alternative, tous ces éléments créent des codes d’espoir plutôt que de pessimisme dans cette nouvelle ère.
Pensez-vous que le mouvement kurde va désormais démontrer sa force et sa dynamique dans différents domaines également, en termes de lutte commune ?
Absolument, c’est exactement le type de capacité auquel je fais référence. J’aimerais ajouter que l’espace de lutte commune ne se limite pas à la reconnaissance de la question kurde. Si le positionnement est certes important, un langage commun et un espace de solidarité construit autour de politiques antiracistes, antifascistes et démocratiques radicales pourraient porter la résistance kurde à un niveau inédit.
Par exemple, lorsque le féminicide, la destruction écologique, l’exploitation du travail et les décès d’ouvriers sont abordés à travers le contexte colonial de la question kurde, il devient plus facile de reconnaître que la question kurde est aussi une question de classe face aux détenteurs du pouvoir. Et à partir de là, une lutte commune peut se construire. Autrement, pour être honnête, je ne crois pas que les acteurs politiques qui repoussent la question kurde à un avenir post-révolutionnaire, qui ne la considèrent toujours pas comme une question de liberté populaire, auront grand-chose à dire sur un avenir de vie commune ou de dialogue.
Ce qu’il faut, c’est une gauche traditionnellement orthodoxe, qui se situe non seulement à travers la classe, mais aussi à travers le genre, l’écologie, la mémoire du génocide, la question kurde et d’autres micro-identités, pour établir une forme de lutte fondée sur une lecture de classe renouvelée. Je ne parle pas d’approches staliniennes ou maoïstes, mais plutôt de la nécessité d’un nouveau cadre de classe. Cela ne doit pas être reporté à un futur proche, il faut commencer dès maintenant. Une telle démarche pourrait ouvrir la voie à une nouvelle communauté politique. Parallèlement, cette approche pourrait aider la gauche turque à s’éloigner des tendances d’extrême droite, nationales-socialistes ou kémalistes.
Je parle d’une sorte de prise de conscience où la gauche est capable de reconnaître, par exemple, que le 19 mai est aussi la date du massacre des Grecs pontiques. Mais les interprétations nationalistes extrêmes et réactionnaires du terrain, ainsi que certaines formations de gauche encore prisonnières de la paranoïa face à la division nationale, font obstacle à cette prise de conscience.
Prenons l’exemple des féminicides : chaque jour, leur nombre augmente à un rythme effarant. Au Kurdistan, sous les violences d’État, on observe des traces de forces paramilitaires (gardes villageoises) ou de l’appareil sécuritaire lui-même. Dans le cas de Rojin Kabaiş, nous avons vu des jeunes femmes enlevées et assassinées, des étudiantes et des enfants tués.
Peut-être le discours de cette nouvelle ère, de cette nouvelle politique, doit-il s’articuler autour d’une lutte prenant en compte tous ces domaines. L’organisation doit émerger de ces réalités, de la rue, et créer un pouvoir de résistance. La quête des droits, de la justice et de la reconnaissance doit passer de la rue au parlement, ou aux collectivités locales, mais elle doit toujours s’ancrer dans la rue.
Un processus de résistance décoloniale dans les régions kurdes de Turquie pourrait redéfinir la question kurde et, très clairement, redonnerait à la gauche sa place légitime de sujet rebelle et fondateur. Et, bien sûr, cela contribuerait à la formation d’une nouvelle mémoire à partir de laquelle ce champ de résistance pourrait se développer.
L’État ne doit pas être le distributeur de la justice ; il doit seulement être un outil pour y parvenir.
D’un autre côté, en tant que personne qui ne fait pas confiance aux États, je ne parle pas uniquement en fonction de mon identité intellectuelle ; je dois dire que les Kurdes ont produit un projet social profondément démocratique, qui est à la veille de changements significatifs au Moyen-Orient. Je crois qu’il est inutile de rappeler la contribution du mouvement kurde à ce projet. Le « Contrat social » au Rojava après la révolution est né de cette expérience ; il suffit de l’observer.
Il ne s’agit peut-être pas seulement d’intégrer la dynamique turque à ce processus, mais aussi celle de la Syrie et de l’Irak. Pour que ce processus soit constructif et réparateur, l’État doit, bien sûr, prendre certaines mesures juridiques et établir des garanties juridiques afin de permettre l’activation d’une justice réparatrice, favorisant ainsi la réconciliation sur de nombreuses questions qui constituent des piliers essentiels de la paix sociale.
Ce que je veux dire, c’est que l’un des processus les plus importants est la libération d’Abdullah Öcalan et de tous les autres prisonniers politiques. Parallèlement, la libération de personnalités clés comme Selahattin Demirtaş, Figen Yüksekdağ et tous les autres prisonniers politiques impliqués dans la politique légale est nécessaire pour que le processus se transforme en une dynamique politique fondatrice.
La question kurde en Turquie ne concerne pas seulement la cessation d’un outil de violence ; elle concerne le démantèlement des paramètres de violence politique, symbolique ou négationniste utilisés par l’État ou les appareils coloniaux, la reconnaissance des revendications kurdes d’autonomie et le droit à une citoyenneté égale.
Peut-être qu’il faut avant tout commencer par le langage, en y intégrant la paix, pour ne pas revenir au processus d’avant 2015 et éviter le langage du « terrorisme » qui stigmatise les Kurdes et les acteurs de leur mouvement politique, ainsi que cette rhétorique clivante et condescendante.
Par conséquent, toute approche qui ne s’attaque pas au problème, ne renonce pas au discours raciste répétitif et ne s’éloigne pas des mécanismes sécuritaires issus des instruments coloniaux sera néfaste. La seule chose qui puisse rendre ce processus plus fort et plus réparateur est d’obtenir justice grâce aux revendications kurdes.
L’État ne doit pas être le dispensateur de justice ; il doit seulement servir d’outil à sa réalisation. La justice ne peut être obtenue que par la satisfaction des revendications et la confrontation. (ANF)
ROJAVA. Les femmes mises à l’honneur au Festival Nûjîn
SYRIE / ROJAVA – Depuis quelques jours, la scène culturelle de Qamishlo accueille un événement cinématographique sans précédent en Syrie : le Festival des films féminins Nûjîn, l’une des plateformes d’expression artistique féminine les plus importantes de la région. Ce festival marque une étape importante dans l’émancipation des femmes au sein du septième art, le cinéma.
Depuis le 25 mai, la ville de Qamishlo, dans le nord-est de la Syrie, s’est transformée en un espace cinématographique dynamique célébrant le parcours créatif et personnel des femmes. Le festival présente 37 films et documentaires du Kurdistan, du Moyen-Orient, des États-Unis, d’Arménie et d’Europe. Jusqu’au 31 mai, le Festival du film de femmes de Nûjîn (en kurde: Mihrîcana Nûjiyan a Filmên Jinan) met en lumière les problématiques féminines, offrant des perspectives diverses sur leurs histoires sous des angles humains, politiques et sociaux, réaffirmant ainsi que les femmes ne sont pas seulement des protagonistes, mais aussi des auteures, des réalisatrices et des architectes de leur propre récit.
Pour la première fois en Syrie, un festival de cinéma féministe d’une telle ampleur et d’une telle diversité est organisé. Il marque un tournant culturel et témoigne de la montée en puissance de la voix des femmes dans le cinéma mondial, une voix qui cherche à redéfinir leur rôle dans l’industrie cinématographique et à leur garantir l’espace qu’elles méritent pour raconter leurs luttes, leurs rêves, leurs questionnements – et même leur silence, lorsqu’il devient une forme de résistance.
Le Festival Nûjîn (Nûjiyan Women Film Festîval), organisé par le collectif de cinéastes femmes Kêzî (dirigé par Sevinaz Evdike) en collaboration avec l’association du Cinéma des femmes du Rojava (Sîne Jin Rojava) et le Mouvement culturel des femmes du Rojava Hîlala Zêrîn, rejoint un réseau mondial croissant de festivals de cinéma dédiés au cinéma féministe :
Au Canada, le Female Eye Film Festival de Toronto, fondé en 2001, est l’un des plus anciens festivals à présenter exclusivement des films réalisés par des femmes. Il met l’accent sur les récits féministes et suscite des discussions approfondies sur les défis auxquels sont confrontées les femmes dans l’industrie.
En Europe, nous avons le Festival Elles Tournent (Dames Draaien), Brussels International Women’s Film Festival fondé en 2008 et qui met à l’honneur le travail de réalisatrices de tous horizons.
En Asie, le Women Make Waves Film Festival de Taïwan, fondé en 1993, présente des films abordant les questions féminines sous des angles locaux et internationaux. De même, le Seoul International Women’s Film Festival (fondé en 1997) constitue une plateforme incontournable pour les réalisatrices indépendantes, mettant en avant les thèmes de l’identité, du genre et de la discrimination.
En Afrique, le Festival du film féminin Ndiva au Ghana, lancé en 2017, célèbre la créativité des femmes sur le continent à travers des films qui explorent les récits féminins, les droits, les traditions et la violence sexiste.
Au Moyen-Orient, l’Égypte joue un rôle majeur avec le Festival international du film de femmes d’Assouan, fondé en 2017 et premier du genre en Haute-Égypte. Il vise à mettre en lumière les problématiques des femmes arabes et soutient les jeunes réalisatrices par le biais de projections et d’ateliers sur des thèmes tels que la violence, l’égalité et l’indépendance économique.
Au Caire également, le Fest Film Women Western Eastern propose une rencontre artistique entre l’Orient et l’Occident, présentant un éventail diversifié de perspectives féminines dans le but de favoriser les échanges et le dialogue culturels féministes.
Au Liban, le Festival international du film de femmes de Beyrouth, lancé en 2016 sous le slogan « Femmes pour le changement », a joué un rôle majeur dans la promotion des thèmes de libération et d’égalité. Le festival présente des films axés sur l’autonomisation des femmes et leurs défis quotidiens, et met à l’honneur les réalisatrices, les directrices de la photographie et les actrices.
De Qamishlo à Toronto, de Taipei à Beyrouth, les histoires de femmes convergent dans des festivals façonnés par leurs propres mains – des espaces de liberté qui reflètent leurs réalités, leurs ambitions et leur engagement envers le cinéma comme outil de transformation.
Dans un monde où de nombreux appareils photo sont encore tenus par des mains masculines, ces festivals offrent de nouveaux objectifs – des objectifs féminins – qui voient, racontent et créent avec authenticité et vision. (ANHA)