Nous sommes du village Dere du district de Sivas İmranlı. Ils ont écrit une lettre disant : « Tu as tellement manqué à ta mère, elle viendra te rendre visite ». Nous n’acceptions pas certaines pratiques imposées par l’administration pénitentiaire. C’est pourquoi ils nous ont traités plus durement. Parler kurde était déjà interdit. Ils ont accroché les affiches qu’ils avaient préparées à ce sujet dans les parloirs et les couloirs des visiteurs. Il était également interdit de parler à voix basse, de faire des signes et de parler une autre langue que le turc. Quand j’ai appris que ma mère venait, je suis devenu un peu nerveux. Je savais que ma mère ne parlait pas turc. Elle n’avait jamais quitté le village jusqu’alors. Il était évident qu’il y aurait des problèmes si nous parlions kurde. Je ne pouvais pas garder le silence si les gardiens disaient ou faisaient quoi que ce soit. (…) Je ne voulais pas que ma mère soit témoin de ça. Nous pourrions tous les deux subir la violence. Je partageais la même cellule avec Ruşen Sümbüllüoğlu, qui était condamné dans l’affaire de Dev-Yol. Je lui ai expliqué la situation. Ma mère venait avec ma sœur. Ma sœur parlait turc. Je l’ai dit à Rusen. (…) Quand je lui en ai parlé, il a pris des notes ou quelque chose comme ça. J’ai dit que je ne garderais le silence en aucune circonstance et que si tel était le cas, je ne retournerais peut-être pas dans la cellule. Parce qu’ils pourraient me conduire directement à la salle de torture.
Après cela, je suis allé au parloir. J’ai parlé avec ma sœur. Tout d’un coup, ma mère a bougé, et prenant ma sœur par le bras et la tirant un peu en arrière, elle s’est approchée de moi et m’a dit : « Comment vas-tu, Camber Ateş ? » J’ai été surpris mais je me suis vite repris. J’ai répondu: « Je vais bien maman, comment vas-tu ? » Cependant, elle ne répondit pas. Elle a de nouveau parlé à ma sœur. Ma mère a refait la même chose et m’a encore demandé : « Kamber Ateş, comment vas-tu ? » Cette scène s’est répétée trois fois. J’ai répondu la même chose à chaque fois. Au début, je pensais que ma mère avait appris un peu le turc. Mais quand elle l’a répété plusieurs fois [la même phrase], j’ai compris la situation. On lui a juste fait mémoriser le mot [nasilsin]. Si elle avait parlé en kurde, elle et moi aurions été soumis à la violence. C’est pourquoi elle l’a appris par coeur. En fait, le seul mot qu’elle a mémorisé est « comment vas-tu », puisqu’elle savait déjà mon nom et mon prénom.
Lorsque la visite s’est terminée ainsi, je suis venu joyeusement dans la cellule. J’ai dit à Rusen. Puis je suis parti, ils m’ont envoyé à Çanakkale et Ruşen à Antep.
Puis un jour j’ai vu une nouvelle dans le journal Cumhuriyet, disant: « voici « Kamber Ateş Comment vas-tu ? » La nouvelle intitulée « Histoires de prison » a remporté le concours et le livre à publier portera son nom. » J’étais déjà en contacte avec Ruşen et il m’en avait parlé. (…) Ruşen a écrit une histoire basée sur mes récits et l’a envoyée au concours. » (Via Birgün)
Kamber Ateş Nasılsın? est également le titre d’un poème écrit par la poétesse Gülsüm Cengiz-Akyüz et qui a reçu plusieurs prix littéraires, dont celui du Pen International. Le poème a été traduit en anglais avec le titre « Kamber Ateş how are you? »
On en avait parlé dans cette article des histoires tragi-comiques vécues par les Kurdes concernant l’interdiction de parler en kurde: