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« Barzani ne doit pas déclencher une autre guerre intra-kurde »

KURDISTAN. « La Turquie a déstabilisé la Syrie, la Libye et le Caucase du Sud. Ses rêves ottomans, cependant, pourraient causer bien plus de dégâts. La famille Barzani colporte la ligne turque pour des raisons provinciales et cyniques. Les États-Unis ne doivent pas être la proie d’un tel cynisme. Si le département d’État accepte la ligne Ankara-Erbil sur le PKK, il provoquera une guerre au lieu de la prévenir, » déclare le journaliste Kamal Chomani.
 
« Le conflit entre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) remonte aux années 1980. Le PKK est laïc, égalitaire et progressiste, tandis que le PDK est ancré dans une politique tribale conservatrice. Les deux partis se sont affrontés dans les années 1990, à l’avantage de personne, mais au prix d’un lourd tribut en sang et en argent.
 
Les responsables politiques américains et européens considèrent souvent le PKK comme illégitime. Cette attitude méconnaît fondamentalement la raison d’être de ce groupe. Le PKK s’est développé en réponse aux politiques génocidaires de la Turquie et à son incapacité à faire respecter les droits de l’homme du peuple kurde. Cette menace reste réelle : peu importe que les Kurdes se rendent dans les montagnes ou dans les urnes, leur sort en Turquie est toujours le même. Selahattin Demirtas, un démocrate qui a dirigé le Parti démocratique des peuples, le troisième parti en importance au Parlement, croupit aujourd’hui derrière les barreaux, bien que la Cour européenne des droits de l’homme ait demandé sa libération. Le PKK n’a jamais menacé ni constitué une menace pour l’intégrité de l’Irak ou de la région du Kurdistan, et le PKK n’utilise ni l’un ni l’autre comme base pour mener des attaques en Turquie. Cela soulève la question de savoir pourquoi la Turquie est entrée en Irak. Des rapports locaux montrent que l’armée turque a pénétré en Irak sur une distance d’au moins vingt-cinq miles, déboisant des zones sauvages vierges pour construire des routes militaires et mener ses opérations. Il apparaît de plus en plus que la lutte contre le croque-mitaine du PKK a moins à voir avec la lutte contre le terrorisme qu’avec l’expansion de son influence dans les environs de la ville de Kirkouk, riche en pétrole, et la récupération d’anciens territoires ottomans.
 
Le PKK, pour sa part, a joué un rôle indéniable dans la limitation et l’affaiblissement de l’État islamique (ISIS). Les Kurdes du Sinjar se sont tournés vers le PKK parce qu’ils ont perçu le retrait rapide du KDP lors de la montée de l’État islamique comme une trahison. Le PDK a répondu en s’acoquinant avec le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan pour obtenir son soutien, en dépit de la main de fer de la Turquie envers ses propres Kurdes. Sans l’existence du PKK, une grande partie de la région du Kurdistan serait tombée sous le contrôle d’ISIS du jour au lendemain. La chute de l’État islamique, quant à elle, a commencé lorsque les Unités de protection du peuple (YPG) pro-PKK les ont vaincus à Kobani. Cela a permis de cimenter une relation entre les Kurdes et les Arabes en Syrie, avec l’aide de la Coalition mondiale pour vaincre l’État islamique.
 
Le KDP s’en prend de plus en plus au PKK, moins en raison des actions du PKK que parce qu’il cherche un moyen de détourner l’attention de ses propres échecs. La corruption dans la région du Kurdistan n’a jamais été aussi élevée. Un dirigeant plus agile pourrait permettre à la presse libre d’identifier les problèmes afin que le gouvernement puisse les résoudre, mais le Premier ministre Masrour Barzani n’est pas agile. La lutte pour le pouvoir entre Masrour et son cousin, le président Nechirvan Barzani, affaiblit également la région, car tous deux s’affaiblissent mutuellement dans leur quête personnelle de partenaires locaux, irakiens, régionaux et internationaux. Le gouvernement qu’ils dirigent tous deux, quant à lui, n’a pas payé les salaires des fonctionnaires au cours des sept dernières années.
 
Alors que les Kurdes irakiens remettent en question la légitimité d’une famille Barzani de plus en plus dysfonctionnelle, Masrour cherche une protection dans une alliance avec Erdogan. Cela mènera au désastre. Elle fera reculer les efforts visant à sauver la région du Kurdistan des puissances prédatrices et la transformera en colonie pour les aspirations turques. Elle rapprochera également la région d’une guerre insignifiante entre le PDK et le PKK. La reprise d’un tel conflit provoquerait une tragédie humanitaire, donnerait un nouveau souffle à l’insurrection de l’État islamique, entraverait le rétablissement de la communauté yazidie de Sinjar qui ne veut rien avoir à faire avec le PDK ou la Turquie, et favoriserait les politiques néo-ottomanes de la Turquie dans la région.
 
La Turquie a déstabilisé la Syrie, la Libye et le Caucase du Sud. Ses rêves ottomans, cependant, pourraient causer bien plus de dégâts. La famille Barzani colporte la ligne turque pour des raisons provinciales et cyniques. Les États-Unis ne doivent pas être la proie d’un tel cynisme. Si le département d’État accepte la ligne Ankara-Erbil sur le PKK, il provoquera une guerre au lieu de la prévenir. »
 
Kamal Chomani est un analyste politique kurde basé en Allemagne
 
Version anglaise du texte est ici