A l’occasion de la Journée de la langue kurde célébrée ce 15 mai, revenons sur l’histoire de survie de cette langue millénaire menacée par les États colonisateurs du Kurdistan.
Nous sommes dans les années 1980, dans une région kurde sous l’occupation turque. Un paysan court à la boulangerie de son village au retour de son champ et voudrait acheter un pain avant le coucher du soleil qui est proche, car dans cette région kurde, l’Etat turc a décrété un état d’urgence avec couvre-feu au couché du soleil. Le paysan lance à la hâte « ka nanakî, bi tirkî.* » en kurde, qu’on pourrait traduire en « un pain, en turc. » Ce pauvre paysan ne sait pas parler le turc mais il faut bien qu’il achète son pain d’une façon ou d’une autre.
Maintenant, imaginons un instant que cette scène ait lieu en France, pendant l’occupation nazi : Un paysan corrézien de retour de son champ, court à la boulangerie de son village. Le soleil va bientôt se coucher, or, il y a le couvre-feu à la tombée de nuit. Les Nazis ont interdit de parler le français et ont imposé la langue allemande dans tout le pays mais notre paysans corrézien ne parle pas un mot d’allemand. Alors, il dirait, vraisemblablement : « Un pain, en allemand. »
En effet, l’État turc avait interdit le kurde dans tout le pays, y compris dans les régions kurdes et ce, depuis la création de la Turquie en 1923. Même au sein de leurs foyers, les Kurdes ne pouvaient parler leur langue sous peine d’être arrêtés et/ou torturés, en plus de payer une amende. (L’État turc avait dépêché des fonctionnaires à cet effet dans tout le Kurdistan.)
Alors que le kurde a toujours été interdit dans le sphère publique sous la République fondée par Atatürk, l’AKP, le parti du président Erdogan, avait montré une « tolérance » certaine aux travaux et réalisation autours de la langue kurde dans les années 2000. Avec la première défaite du parti AKP lors élections de 2015, ce dernier s’est attaqué au parti HDP « pro-kurde », tenu responsable de cette défaite et la guerre anti-kurde a de nouveau été activée. Depuis 2015, plusieurs jeunes Kurdes ont été tués ou agressés en Turquie pour avoir parlé en kurde ou écouté une chanson kurde.
Dans la partie orientale du Kurdistan (Rojhilat) occupée par l’Iran, des enseignants de la langue kurde sont emprisonnés alors que la langue persane et kurde sont deux langues sœurs, tandis qu’au Rojava (Kurdistan syrien), avec leur autonomie de facto, les Kurdes utilisent leur langue dans tous les domaines de la vie à côté de l’arabe qui reste une des langues officielles de la région. Au Kurdistan du Sud (Bashur), le kurde est la langue officielle du gouvernement régional du Kurdistan irakien. Dans la région yézidie de Shengal, la langue kurde est restée plutôt intacte du fait que les Kurdes yézidis sont restés isolés des autres peuples voisins afin de se protéger des attaques musulmanes qui voulaient éradiquer le yazidisme.
Plusieurs dialectes kurdes menacés de disparition
Le kurmancî est le plus important dialecte kurde le plus parlé au Kurdistan. Mais d’autres dialectes kurdes, comme le zazakî / kirmanckî ou gorani / hawrami sont menacés de disparition faute de locuteurs suffisants… (Pour en savoir plus sur les dialectes kurdes et les régions où ils sont parlés, lire « Une base de données sur les dialectes kurdes« , écrit par Salih Akin.)
Face aux nombreuses interdictions menaçant le kurde d’un génocide linguistique, la langue kurde mène une lutte de survie. Au Bakur, les nouvelles générations de Kurdes qui ne parlaient plus le kurde exigent que leur langue soit enseignée à l’école et soit une des langue officielles de la Turquie où vivent plus de 20 millions de Kurdes privés de tous leurs droits.
Cejna zimanê kurdî pîroz be / Bonne fête de la langue kurde
* « Ka nanakî bi tirkî / Bana türkçe bir ekmek ver » est le nom d’une nouvelle de Cezmi Ersöz, écrivain et journaliste kurde.