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Asli Erdogan : « En Turquie, la conscience a été tuée »

« En Turquie, la conscience a été tuée complètement. C’est l’Etat qui a commencé cette mort de la conscience et elle s’est propagée dans la société. Surtout, le passage à tabac des mères, le traitement qu’on leur a réservé montrent qu’on a dépassé le seuil du moral en Turquie. Il n’y a plus de respect pour la mort. Il n’y a plus du respect pour la mère, pour le peuple. Bref, il n’y a plus de respect pour la vie humaine. »
 
STRASBOURG – Des voix s’élèvent contre le silence entourant les grèves de la faim menées par des milliers de prisonniers politiques et des dizaines de militants à travers le monde demandant la fin de l’isolement carcéral du leader kurde Abdullah Öcalan, emprisonné sur l’île prison d’İmralı.
 
La romancière turque exilée en Europe, Asli Erdogan a déclaré qu’en Turquie, on avait tué la conscience. Asli Erdogan s’est exprimée au sujet des grèves de la faim menées par des milliers de Kurdes et la mobilisation des mères des prisonniers qui sont attaquées par les policiers turcs.
 
Aslı Erdoğan a déclaré que les revendications des militants devaient être satisfaites sans délai et a exhorté le public à faire preuve de sensibilité. Aslı Erdoğan a déclaré que sa camarade de cellule Zozan Çiçek, avec qui elle était resté un certain temps lors de son emprisonnement, avait rejoint le jeûne de la mort et a déclaré :
 
Il n’y avait pas eu une période aussi terrible
 
7 000 personnes sont en grève de la faim, un événement sans précédent dans l’histoire. Cela peut avoir des conséquences très graves. Zozan Çiçek, ma camarade de cellule, est en jeûne de la mort. Une toute jeune camarade. Par conséquent, ma réaction à ces grèves de la faim et les jeûnes de la mort est plus émotionnelle. Je souffre de ce qui se passe et surtout de ce silence. J’ai tellement peur que des gens que je connais soient morts. Je connais les conditions de détention. Quand j’été emprisonnée, ces conditions étaient relativement bonnes, mais toujours terribles. Je sais très bien quelles sortes d’atrocités sont faites à ceux qui jeûnent et qui font la grève de la faim.
 
Le point de non – droit en Turquie a atteint des proportions impressionnantes. On dit « Quand il y a eu la loi en Turquie ? ». Mais il n’y a pas eu de période aussi terrible, y compris à l’époque de la junte militaire [les années 1980]. Sans aucune preuve, sans aucune base légale, avec des témoins secrets, les gens écopent de terribles peines allant jusqu’à 30 ans. Il y a beaucoup d’exemples similaires de cas que je connais, (…). Déjà les prisons étaient sur le point d’exploser. À mesure que ces pressions grandissent, je crains que nous ne fassions face à des événements plus tragiques.
 

Les demandes des grévistes de la faim et de ceux qui font le jeûne de la mort sont très légales, légitimes, humanitaires et politiquement exigeantes. Cette demande, qui appelle l’Etat à respecter ses lois, contient un résultat pour le bien de tous. Dans le même temps, une demande très facile à satisfaire. Même dans ce cas, il est terrifiant de répondre avec un silence absolu. Cela montre que l’État n’a plus rien à voir avec la démocratie, le droit, la conscience et l’humanité. C’est ce qui fait peur.

En Turquie, la conscience a été tuée complètement. C’est l’Etat qui a commencé cette mort de la conscience et elle s’est propagée dans la société. Surtout, le passage à tabac des mères, le traitement qu’on leur a réservé montrent qu’on a dépassé le seuil du moral en Turquie. Il n’y a plus de respect pour la mort. Il n’y a plus du respect pour la mère, pour le peuple. Bref, il n’y a plus de respect pour la vie humaine. Cette communauté et ce pays peuvent tout faire maintenant. Dans un pays qui a perdu la conscience, tout peut arriver dorénavant.

 
Je ne peux pas comprendre clairement pourquoi les masses et les intellectuels ne voient pas cette situation et restent silencieux. Je pense que le tabou entourant le nom d’Öcalan fait peur et on se dit : « Je ne veux pas être impliqué à cela. » Comment ce gens ont hâte d’oublier qu’Öcalan a des droits humains et constitutionnels comme tout être humain ? Ou sont-ils occupés avec l’illégalité électorale, je ne sais pas. Mais ce silence finira par nous tuer tous.
 
Le silence doit être brisé sans délai et les prisons doivent être examinées. Je ne m’attends pas à ce que l’opinion publique soutienne la grève de la faim. Mais si 7 000 personnes ne mangent pas pendant des mois, pas à pas, jour après jour s’approchent de la mort, il faut se demander: « Que pouvons-nous faire ? » Quel que soit votre point de vue politique, on ne peut resté indifférent à cette tragédie humaine. Des mères, des enfants, des pères, des frères et sœurs et des parents de 7 000 personnes tentent de faire entendre leur voix. En somme, je lance un appel à la sensibilisation du public.
 
Ce qui se passe dans les prisons devrait être porté à l’actualité européenne. Nous en sommes à un point où nous ne pouvons plus parler de l’opinion publique. Il n’y a pas de presse, pas de loi dans le pays. Au moins, l’opinion publique européenne devrait regarder ce qui se passe dans les prisons de la Turquie. Je ne comprends pas non plus le silence des pays européens. Cela ne peut être considéré comme une affaire intérieure de la Turquie. L’opinion publique européenne est parfois sensible à certains noms, mais ignore complètement des centaines de milliers de personnes dans les prisons. Il y a des dizaines de milliers de personnes qui sont arrêtées illégalement. Il n’y a pas de bruit en Europe. Cette réaction ne s’est pas produite depuis un moment. Le fait qu’on en arrive là vient du silence de l’Europe.
 

(…) Cette grève de la faim est un cri tel et signifie « Nous ne pouvons plus vivre dans ces conditions ». Avant d’en arriver à ce stade, on aurait pu faire beaucoup de choses pour garder la Turquie en conformité avec la loi. Mais on l’a pas fait, on le fait pas.

Je ne peux avaler une seule bouchée

Zozan Çiçek

Je salut tous les amis au nom de Zozan. Si je dis « je suis désolée », ce serait démoralisant mais je ne peux m’empêcher d’y penser. Je ne peux avaler une seule bouchée. Encore une fois, je le répète, leur demande est une demande qui peut être facilement satisfaite en faveur de tous en Turquie. C’est une exigence tout à fait légitime sur les plans politique, juridique et humanitaire.

La députée de HDP Hakkari, Leyla Güven avait initié ses grèves de la faim il y a 190 jours, alors qu’elle était emprisonnée à Amed. Plus de 7 000 mille prisonniers politiques ont rejoint la grève par la suite.
 
Les 14 militants kurdes en grève de la faim à Strasbourg ont jeûnent depuis 151 jours, tandis que les prisonniers politiques en Turquie ont atteint le 152e jour.
 
Le 30 avril, 15 prisonniers ont transformé leur grève de la faim en jeûne de la mort qui a été rejoint par 15 autres prisonniers le 10 mai.