SYRIE – Massacres des Alaouites et des Druzes, kidnappings des femmes alaouites, menaces envers les acquis des femmes et des Kurdes du Rojava… la Syrie fait face à une nouvelle « guerre sainte » ciblant tous les peuples et minorités non sunnites, mais aussi les femmes qui refuseraient de vivre dans un pays régie par la charia islamiste. Il est révoltant de voir qu’après avoir mis fin à une décennie sanglante causée par le boucher el-Assad et le groupe État Islamique (EI ou DAECH), les habitants de la Syrie soient aujourd’hui de nouveau menacé par un spiral sanglant car les puissances internationales ont décidé de remplacer le boucher el-Assad par les groupes jihadistes regroupés autour d’al-Charaa (alias Jolani). Il est encore temps d’arrêter cette folie meurtrière, en soutenant tous ceux qui œuvrent pour une Syrie séculaire et décentralisée reconnaissant les droits de toutes les minorités, comme le rappelle le journaliste Hassan Remo dans l’article suivant.
La Syrie au bord de l’effondrement sectaire
La Syrie traverse actuellement l’une des phases les plus périlleuses de son histoire moderne, après plus d’une décennie de conflit dévastateur. Une dangereuse escalade des tensions sectaires et ethniques – illustrée récemment par les violences de Jaramana et d’Ashrafiyat Sahnaya, dans la campagne de Damas – a ravivé les images obsédantes des premières années de la guerre. Ces événements soulèvent de graves questions quant à l’avenir du pays et à la capacité des autorités de Damas à contenir la fragmentation sociale qui s’aggrave rapidement.
Les communautés druzes sous le feu des tirs dans la campagne de Damas : un massacre silencieux
Les récents troubles à Jaramana et Ashrafiyat Sahnaya ont débuté par la diffusion d’un enregistrement audio provocateur, qui a rapidement déclenché des affrontements meurtriers. Ces affrontements ont entraîné la mort de 47 personnes, dont des civils, des miliciens druzes locaux et des combattants affiliés aux forces auxiliaires du ministère syrien de la Défense.
Les violences ont dépassé les affrontements conventionnels, culminant avec l’exécution sommaire de civils druzes dans un élevage de volailles – un crime assimilable à une atrocité de guerre. Ces exécutions auraient été perpétrées par des milices opérant ouvertement sous l’égide des ministères de la Défense et de l’Intérieur. Même si aucun ordre direct n’a été donné par les autorités centrales, le gouvernement de Damas porte la responsabilité politique, juridique et morale de ces actes.
La tragédie a continué de se dérouler le long de l’autoroute Damas-Souwayda, où un convoi de jeunes druzes en route pour soutenir leur communauté en difficulté est tombé dans une embuscade. Des tirs ont coûté la vie à six personnes et en ont blessé plusieurs autres. De plus, les villages druzes de Souwayda ont été bombardés au mortier et à la mitrailleuse lourde, ce qui a intensifié l’indignation publique et aggravé les tensions communautaires.
Les victimes alaouites et le silence de l’État : les massacres du 6 mars restés sans réponse
La crise est aggravée par le silence flagrant qui entoure le massacre perpétré sur les côtes syriennes entre le 6 et le 9 mars. Selon des témoignages documentés, plus de 1 500 civils alaouites ont été tués. Malgré l’ampleur de cette atrocité, aucune enquête officielle n’a été ouverte et aucun responsable n’a été traduit en justice. Le massacre a été entouré d’un black-out médiatique quasi total, comme si les victimes étaient considérées comme des citoyens de seconde zone.
Cette indifférence officielle face à un crime sectaire d’une telle ampleur révèle la fragilité du régime à gérer les conflits communautaires. Elle ouvre également la voie à des interprétations profondément troublantes, notamment celle selon laquelle certains acteurs pourraient intentionnellement laisser ces crises s’envenimer afin de justifier une sécurisation accrue ou de façonner de nouvelles réalités sur le terrain.
Le gouvernement de Damas peut-il être exonéré ?
Le plus alarmant est peut-être le fait que plusieurs groupes impliqués dans les atrocités de Jaramana et d’Ashrafiyat Sahnaya ont reconnu leurs liens avec les ministères de la Défense et de l’Intérieur, certains agissant en réalité comme des extensions de ces institutions.
Compte tenu de ce lien direct, les autorités de Damas peuvent-elles raisonnablement se déclarer irresponsables ? Peut-on parler d’« État souverain » s’il est incapable – ou peu disposé – à contrôler les acteurs armés intégrés à ses propres structures officielles, acteurs qui se livrent à des exécutions extrajudiciaires et à des embuscades sectaires sans contrôle légal ?
La réalité est frappante : Damas n’est plus aujourd’hui un État au sens institutionnel du terme, régi par le droit et la responsabilité. Il s’agit plutôt d’une autorité de fait dominée par des réseaux sécuritaires et des factions militaires interdépendants, chacun poursuivant son propre programme et défendant ses propres intérêts.
La plus grande menace pour la Syrie : le sectarisme
Après plus de 14 ans de guerre destructrice, la Syrie ne peut plus supporter une fragmentation sociale accrue. Son tissu social, déjà mis à rude épreuve par les épisodes douloureux de Homs, Alep, la Ghouta, Deraa et Idlib, se défait désormais à Damas et dans les régions côtières.
L’incitation sectaire comme arme et le besoin urgent d’un nouvel avenir pour la Syrie
L’incitation sectaire est devenue un outil répandu et dangereux, facilement déployé pour déclencher un conflit en un instant, tandis que les autorités ferment les yeux, alors même que ces discours de haine circulent ouvertement sur les réseaux sociaux. Des appels au massacre des Kurdes, des Alaouites et des Druzes sont diffusés sans conséquence, même par des groupes armés ayant officiellement déclaré leur dissolution et leur intégration au ministère de la Défense.
Est-ce là la Syrie que nous sommes censés accepter ? Un État où les citoyens sont massacrés uniquement en raison de leur appartenance confessionnelle, enterrés sans justice, et où les auteurs sont libres de réitérer leurs crimes ailleurs ?
Quelle est la solution ? La Syrie peut-elle échapper à cet effondrement accéléré ?
Face à la montée des violences sectaires et au fossé grandissant entre les composantes sociales, la nécessité de solutions fondamentales et transformatrices est plus urgente que jamais. Un avenir sûr et stable est impossible sans s’attaquer aux causes profondes de la crise, plutôt que de se contenter d’en gérer les symptômes par des mesures sécuritaires et militaires.
1. Un nouveau contrat social représentant tous les Syriens
La déclaration constitutionnelle publiée par les autorités de Damas en mars n’est guère plus qu’une reproduction de l’ordre autoritaire traditionnel, qui centralise le pouvoir entre les mains d’une élite restreinte tout en marginalisant les revendications de larges pans de la société syrienne. Sans une profonde restructuration de l’État et un rééquilibrage du pouvoir politique, tout discours sur la réconciliation ou la stabilité reste illusoire.
2. Une transition vers un système démocratique décentralisé
L’expérience de ces dernières années a montré que l’État-nation centralisé n’a pas su gérer la riche diversité de la Syrie ; au contraire, il a souvent creusé les divisions existantes. Un modèle décentralisé est essentiel, qui permette à toutes les communautés, qu’elles soient ethniques, religieuses ou sectaires, de participer pleinement à la gouvernance. Ce modèle doit être fondé sur l’inclusion, et non sur l’exclusion ou la domination.
3. Fin immédiate de l’incitation sectaire et responsabilisation des instigateurs
Aucune paix sociale ne peut s’instaurer tant que les discours de haine prolifèrent sur les plateformes médiatiques et dans le discours public. Il est impératif d’appliquer des mesures juridiques strictes à l’encontre de quiconque incite à la violence sectaire et de veiller à ce que les responsabilités soient établies par un système judiciaire indépendant, et non par des marchandages sectaires ou des vengeances personnelles. La guerre ne peut être stoppée qu’en brisant le cycle de la haine mutuelle ; le ressentiment n’engendre que davantage de ressentiment.
4. La justice transitionnelle comme fondement indispensable
Une véritable réconciliation commence par la reconnaissance des violations et la poursuite des auteurs par des institutions judiciaires justes et impartiales. Cela ne doit pas se réduire à une vengeance ou à une punition collective. Toute tentative de construire une nouvelle Syrie sans justice ne peut que semer les germes de violences futures.
5. Mettre fin à l’ingérence étrangère
Les interventions régionales font désormais partie du problème plutôt que de la solution. Elles continuent de saper la souveraineté syrienne et de transformer les conflits locaux en guerres par procuration. Sans un consensus national rejetant toute forme d’ingérence étrangère – et en premier lieu l’intervention turque –, il ne peut y avoir de projet national crédible et indépendant.
Vers une nouvelle Syrie : une vision pour l’avenir
La voie vers une Syrie sûre, stable et démocratique n’est pas toute tracée, mais elle n’est pas impossible. Ce chemin commence par la profonde reconnaissance que ce dont souffre le pays n’est pas seulement une crise politique ou sécuritaire, mais une crise d’identité nationale et un système de gouvernance qui n’a pas su gérer la diversité, garantir la justice et garantir l’égalité d’appartenance à tous les citoyens. La nouvelle Syrie ne sera pas construite sur les ruines du confessionnalisme, ni sur la persistance de la centralisation et de la domination, mais sur les valeurs de citoyenneté, de pluralisme, de décentralisation et de responsabilité.
Cela exige du courage politique et moral – non seulement de la part du parti dominant mais de toutes les forces nationales – pour s’asseoir à une véritable table de dialogue qui place les intérêts des Syriens au-dessus de tout et qui produise une nouvelle constitution qui représente tout le monde, n’exclut personne et ne reproduit pas le passé.
Ce n’est que par la paix, la justice et la participation que la Syrie pourra renaître des cendres de la guerre et retrouver sa dignité, sa souveraineté et son identité en tant qu’État civil et démocratique qui accueille tous ses fils et filles, quelles que soient leurs ethnies, leurs religions ou leurs sectes.
En conclusion : la Syrie se trouve aujourd’hui à un carrefour dangereux. Soit elle s’oriente vers une fragmentation totale et des conflits civils ouverts fondés sur des divisions sectaires et ethniques – dont aucun groupe ni aucune région ne sera épargné –, soit elle ouvre un dialogue national courageux, commençant par la reconnaissance des crimes, passant par le démantèlement de l’État sécuritaire et aboutissant à un nouveau contrat social conduisant à une Syrie démocratique décentralisée, préservant les droits de tous et protégeant l’unité de son territoire et de son peuple. (ANHA)