TURQUIE / KURDISTAN – Dans plusieurs quartiers de la ville kurde de Diyarbakir (Amed), les signalements de groupes armés extorquant de l’argent et semant la terreur se multiplient. Des initiatives locales réclament des mesures ciblées avant que ces groupes ne s’implantent davantage.
Dans plusieurs quartiers pauvres de la métropole kurde d’Amed (Diyarbakır), l’augmentation systématique du nombre de bandes armées dans les rues suscite une inquiétude croissante. Les observateurs locaux évoquent la consolidation de groupes de jeunes, parfois mineurs, qui ont recours à la violence, à l’intimidation et à l’extorsion – et ce n’est pas un hasard.
Des habitants et des initiatives de la société civile exigent des éclaircissements concernant les liens présumés avec les méthodes de guerre spéciale employées par l’État turc. Les personnes concernées mettent en garde contre une déstabilisation politique délibérée des quartiers considérés comme des bastions de l’opposition kurde.
Inspiré par les gangs de l’ouest de la Turquie
Alors que des groupes comme les « Daltons », « Redkits » et « Caspers » ont régulièrement fait la une des journaux dans des métropoles comme Istanbul et Ankara en raison de leurs violences brutales, les organisations de défense des droits humains observent avec inquiétude des évolutions similaires au Kurdistan. À Amed, et plus particulièrement dans les quartiers défavorisés de Rezan (Bağlar), Sûr et Şehitlik, on constate une augmentation des signalements de jeunes groupes armés qualifiés de salafistes ou d’islamistes radicaux par la population.
Ces groupes semblent opérer indépendamment des autres réseaux religieux connus, et leurs structures sont diffuses. Leurs actions, généralement marquées par le recours aux armes, la violence et les menaces, instaurent un climat de peur. En une seule semaine, deux personnes ont été tuées et une autre grièvement blessée. Selon des témoins locaux, cette violence serait l’expression d’une perte de contrôle délibérément tolérée.
« Guerre spéciale » contre les structures kurdes ?
Les observateurs interprètent la situation comme faisant partie d’une stratégie de guerre spéciale : l’objectif est de saper l’auto-organisation kurde, de criminaliser la résistance et, surtout, de pousser les jeunes vers des structures criminelles sans espoir. La population s’inquiète non seulement de l’insécurité croissante, mais a aussi l’impression que cette évolution n’est pas accidentelle, mais politiquement acceptée, voire encouragée.
« Si l’État était présent dans ces quartiers, il pourrait facilement mettre fin aux agissements de ces groupes », affirme un habitant de Rezan. « Au lieu de cela, on voit des jeunes armés dans les rues. » Nombre d’habitants considèrent cette situation non seulement comme un problème de sécurité, mais aussi comme le signe d’une négligence structurelle, d’un désintérêt politique et de lacunes délibérées dans l’application de la loi.
Violences systématiques : intimidation, extorsion de fonds, menaces
D’après plusieurs sources, ces groupes sont responsables d’un nombre croissant de crimes systématiques, notamment l’extorsion, le vol, les agressions et les attaques ciblées contre des entreprises. Ceux qui refusent de payer un racket s’exposent à des attaques : récemment, un bijoutier et un restaurateur syrien de Rezan ont été victimes d’intimidations et de violences. Le bijoutier a essuyé des tirs, et le restaurateur a été agressé physiquement et contraint de fermer son établissement. Un des auteurs présumés a avoué après une attaque mortelle : « J’ai été payé pour ça. Je ne sais pas qui est derrière tout ça. »
« Ils recrutent des enfants pour de l’argent. »
D’après les informations recueillies dans le quartier, ces groupes sont principalement composés de jeunes de 15 à 20 ans. Nombre d’entre eux sont recrutés pour de l’argent, et les enfants sont de plus en plus exposés au risque d’être enrôlés dans ces structures. L’abandon social, le manque de perspectives et le chômage des jeunes constituent des facteurs de risque majeurs. Un habitant de Sûr témoigne : « Ces jeunes ignorent souvent pour qui ils agissent ; ils recherchent l’argent, l’influence, peut-être la reconnaissance. D’autres profitent du vide qui règne dans les rues. »
La société civile et les autorités sont appelées à agir
Plusieurs responsables locaux indiquent être en contact régulier avec la police, mais aucune mesure concrète n’a été prise à ce jour. Malgré quelques incidents isolés, le problème de fond persiste. « Les gens n’osent plus sortir le soir », déplore un maire. « Il y a un véritable vide sécuritaire. »
Les habitants réclament donc non seulement une présence policière accrue, mais surtout un engagement citoyen. « Il ne faut pas laisser ces quartiers à l’abandon. Ils ont besoin de services sociaux, d’éducation et de centres de soutien pour les jeunes. Sinon, nous perdrons toute une génération dans la violence et le désespoir. »
Appel au public : « Ne restez pas silencieux »
La violence à Amed est – pour l’instant – différente de celle qui sévit à Istanbul ou à Ankara. Mais nombreux sont ceux qui craignent que la situation ne devienne similaire si des mesures rapides ne sont pas prises. L’appel est clair : « La société civile doit se mobiliser au lieu de se contenter de parler. Les autorités doivent assumer leurs responsabilités au lieu de détourner le regard. Et le public ne doit pas rester silencieux. » (ANF)