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La patrie remplie d’amour et de douleur d’une poétesse kurde exilée en France

« Je suis une enfant de la guerre » , dit la poétesse kurde Cîhan Hesen qui a grandi au milieu de la guerre qui a fait une dizaine de mort parmi des membres de sa famille et ses proches à Kobanê. C’est pourquoi, dans ses poèmes, c’est comme si Cîhan Hesen photographiait ces douleurs, comme si de grandes douleurs, des blessures profondes et des douleurs fines s’empilaient les unes sur les autres.
 
Pour Cihan Hassan, la douleur est la raison de l’écriture. Même si la révolution du Rojava est un changement, elle est source de douleur avec les attaques la visant. La révolution est surtout une transformation: « D’une vie étrangère qui ne nous ressemble pas, nous sommes revenus à une vie kurde. »
 
Cihan Hasen est une jeune poétesse. Elle est née en 1997 à Kobanê. Elle a poursuivi ses études jusqu’au lycée et après la révolution, elle a commencé à apprendre la langue kurde. Elle a commencé à étudier le kurde au Rojava en 2013 et a ensuite enseigné des cours de kurde dans les écoles et les collèges de Kobanê. En 2018, son premier livre de poèmes intitulé «  »di navbera şev û berbangê de » » (Au milieu de la nuit et de l’aube) a été publié au Rojava par la maison d’édition HRRK. Après ce premier travail, elle a contribué quelques histoires au livre « Çirûskek ji berxwedana Kobanê » (Une étincelle de la résistance de Kobanê) . Ce livre a été publié par la maison d’édition Şiler.
 
Au début de l’été 2022, son deuxième livre de poèmes est publié par la maison d’édition Belki sous le nom de « Ji Çuyîn Re » (Pour le départ). Hasen vit en France depuis 2020. Après avoir appris le français, elle a commencé les études d’ingénierie informatique à l’université.
 
Le journaliste Miheme PORGEBOL de l’agence Yeni Ozgur Politika a interviewé Cihan Hasen sur sa vie et sa poésie qu’elle résume ainsi : « Comme tout Kurde, j’ai assez souffert. Ma sœur a été tuée à la bataille de Kobanê. Avant cela, mon père a été tué dans l’explosion de Kobanê et 10 personnes de ma famille ont été tué dans le massacre de Kobanê. Après ces douleurs, je dis qu’aucune douleur ne me convient plus, car il n’y a plus de place pour la douleur. » 
 
Comment as-tu découvert la poésie?
 
Ma découverte de la poésie a commencé avec la révolution. Comme j’ai appris la langue [kurde était interdite par le régime syrien] à un jeune âge, cela m’a fait commencer à lire le kurde très tôt et à travers la lecture, un lien s’est formé entre moi et la poésie.
 
Ton deuxième livre a été publié par les éditions Belkî. Quelles ont été les réactions au livre ?
 
Le retour et les réactions du livre ont été faits avec beaucoup de soin et de prudence. La maison d’édition Belkî est déjà familière (…) avec son travail soigné et intéressant. Pour cette raison, je suis très satisfaite du travail de la maison d’édition.
 
De nombreux poètes kurdes utilisent généralement le thème du « pays » (welat) . Dans les poèmes kurdes, tout est lié au pays [patrie]. L’odeur de l’amour, le lieu du retour, la douleur du cœur, le rire des enfants… Est-il possible que le « pays » ait été un cadeau pour les poètes kurdes ?
 
Pour nous Kurdes, le pays est plus qu’une blessure, c’est un désir de retour. La plaie se dessèche avec le temps et sa cicatrice disparait avec le temps. Mais le désir du retour est toujours là, jusqu’au jour où [le retour] se réalise. C’est pourquoi nous ne pouvons pas imaginer le pays dans nos sentiments. Parce que ce désir est partout avec nous où que nous soyons. Je ne peux pas dire que c’était une erreur, car le pays est notre cause.
 
C’est ainsi que nous les poètes, nous luttons pour cette cause avec nos poèmes et tous ceux qui sont des patriotes devraient en faire autant. Je dis que c’est la raison du thème du pays avec les poètes kurdes ; ils veulent lutter pour cette cause à leur manière [en écrivant des poèmes].
 
L’impact de la guerre est clair dans tes poèmes. Que devient la poésie après la guerre ?
 
Je suis une enfant de la guerre, j’ai grandi dans la guerre. Je n’ai pas vécu ma jeunesse (…). J’ai perdu beaucoup de gens pendant la guerre et j’ai été personnellement présente dans de nombreux moments de [ces] pertes. A cause de cela, tout ce que j’écris vient de mon propre vécu.
 
Dans chaque guerre, quelqu’un doit sortir et dire ce qui s’est passé. Après la Seconde Guerre mondiale, la guerre a infiltré toutes les œuvres des poètes européens. Grâce aux émotions qu’ils véhiculent, les gens peuvent savoir ce qui s’est passé ce jour-là. Après la guerre, le but du poète devrait être de transmettre la douleur éprouvée avant la bonne poésie. C’est pourquoi les poèmes d’après-guerre sont durs, parce que la douleur se manifeste dans chaque mot. Même si le poète le voulait, il ne pourrait pas se défaire de cette douleur, il ne pourrait plus écrire comme avant.
 
Partout ailleurs, quand on parle de poème, on pense aussitôt à l’amour. Il en est de même dans tes poèmes. Mais comme si ton amour était caché, timide, n’est-ce pas ?
 
Pour moi, l’amour c’est la terre. L’étreinte de ma mère et le souffle de mon père sont sous terre et tous les martyrs qui sont avec eux. Nous sommes des enfants de la terre et cette terre est pleine d’amour. Par conséquent, nous ne pouvons pas vivre sans amour. La seule chose qui nous permet de continuer dans cette vie malgré toute cette douleur c’est l’amour. Tout comme nous ne pouvons pas nous séparer de la poussière, nous ne pouvons pas nous séparer de l’amour.
 
Bien sûr, la littérature et la poésie ne peuvent exister sans révolution… Comment la révolution du Rojava a-t-elle affecté la poésie et les poètes du Rojava ? Que signifie révolution dans vos poèmes et dans les poèmes des poètes occidentaux ?
 
Toute révolution a ses aspects douloureux et désagréables. C’est la même chose dans la révolution du Rojava. Mais la révolution du Rojava a changé beaucoup de choses. L’une de ces choses était la langue kurde. Tout le monde au Rojava connaît désormais le kurde. Ils lisent et écrivent. C’est une chose très difficile pour l’ennemi. Même si un jour l’ennemi conquiert le Rojava, il ne pourra pas enlever l’apprentissage de la langue kurde des cœurs et des esprits des gens. Parce qu’avant la révolution, il y avait très peu de gens qui connaissaient le kurde [car interdite], mais maintenant la situation est très différente. Son influence est visible dans les poèmes des poètes d’avant la révolution.
 
Les poèmes qui vous manquent le plus, l’amour, la nature et les rêves sont pour la plupart douloureux. Et pour les poètes d’après la guerre, la guerre devenue une raison d’écrire.
 
Sans la douleur, je n’aurais probablement pas écrit. La douleur est nécessaire pour pouvoir écrire. La révolution du Rojava est aussi pleine de douleur.
 
Cette révolution est une transformation pour moi. On est revenu d’une vie étrangère qui ne nous ressemblait pas à une vie kurde. Bien que les parents aient essayé de protéger la vie kurde, le thème de la vie arabe soufflait dans de nombreux endroits, dans les écoles, les institutions et tous les lieux administratifs. Nous étions des étrangers dans notre pays. Mais la révolution a réalisé beaucoup de rêves, les lettres kurdes dans l’école, la voix d’ « Ey Reqîb » [hymne kurde] que les enfants chantaient de toutes leurs forces dans la cour de l’école, c’était un goût différent en soi.
 
La toile de la féminité
 
Dans « Tevna Jinîtiyê » [La toile de la féminité] tu écris « Une femme aux cheveux ensanglantés / Au creux d’un oranger / Dans les bras d’un poème kurde / Se repose » . Qu’est-ce qu’être une femme dans le monde de la poésie ?
 
La féminité est à la fois la compagne et la mère de la poésie. S’il n’y a pas de sentiment féminin dans un poème, ce poème est incomplet, il est cru. Le poème est très similaire à la femme dans son caractère et sa position. C’est pourquoi il faut rendre à la femme ce qui lui est dû en écrivant.
 
Quelle est la situation des lecteurs de poésie au Rojava ?
 
Au Rojava, la situation de l’éducation est généralement meilleure. Surtout avec une partie de la jeunesse. Les nouvelles générations lisent beaucoup et adorent lire. Les plus lus sont les livres kurdes. Il y a aussi de la poésie dans ces lectures.
 
Y a-t-il ou non une influence de la littérature arabe sur les poètes et écrivains du Rojava? Quel est l’effet, le cas échéant ?
 
En fait, même s’il y a un impact, il est minime car les lectures au Rojava se font auprès d’écrivains et de lecteurs de toute la littérature du monde, qu’elle soit traduite en langue kurde ou arabe. Mais maintenant, parce que les livres kurdes sont plus ou moins disponibles, l’influence du kurde lui-même est au premier plan.
 
Cîhan Hesen qui vit en France continue d’écrire sur sa douleur.
 
A lire la version kurde ici: Ev ax tijî evîn e