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ROJAVA. Des gangs ouïghours installés dans les maisons kurdes d’Afrin

SYRIE / ROJAVA – Les combattants ouïghours et leurs familles ont été installés dans des maisons kurdes d’Afrin, dont la population a été chassé par l’invasion turque en 2018. Cette initiative fait suite à d’importants changements démographiques depuis l’offensive de l’Armée nationale syrienne (ANS / SNA) en 2018, qui a déplacé plus de 300 000 habitants.
 
Le militant des médias et directeur du réseau Afrin Now, Bushkin Muhammad Ali, a déclaré à Kurdistan24 que des combattants ouïghours ont été réinstallés avec leurs familles dans des maisons abandonnées appartenant à des résidents déplacés de force dans la région à majorité kurde d’Afrin, dans le nord-ouest de la Syrie (Kurdistan occidental).
 
Selon Muhammad Ali, des membres de la « Division Hamza » – récemment intégrée au ministère de la Défense du gouvernement intérimaire syrien sous le nouveau nom de « 76e Division » – ont supervisé le relogement des familles ouïghoures dans trois maisons à Me’riskê (Maraseh al-Khatib), un village de la campagne d’Afrin. Il a expliqué que ces maisons avaient été précédemment occupées par des personnes déplacées de la ville de Menagh, au nord d’Alep, avant d’être évacuées et remises aux nouveaux arrivants.
 
Le chef du bureau local du Conseil national kurde (KNCS) à Afrin a confirmé la réinstallation à Kurdistan24, déclarant que trois familles ouïghoures s’étaient effectivement installées dans le village.
 
Parallèlement à ces réinstallations, selon Reuters, le ministère syrien de la Défense a annoncé la création d’une nouvelle structure militaire, la 84e division de l’armée syrienne, qui comprendra des soldats syriens et environ 3 500 combattants étrangers, en majorité des Ouïghours originaires du Turkestan oriental, en Chine et d’autres pays. Dans le cadre de ce processus, ces combattants ont également obtenu la nationalité syrienne, une mesure présentée par Damas comme une étape vers leur intégration dans la société syrienne.
 
Le plan du gouvernement stipule que les combattants nouvellement naturalisés seront traités comme des citoyens ordinaires à condition qu’ils ne représentent aucune menace en dehors des frontières de l’État syrien, ne portent pas atteinte à la société civile syrienne, adhèrent à la loi et à l’ordre nationaux et s’abstiennent de former des organisations indépendantes dans le pays.
 
L’approbation de cet accord par les États-Unis a suscité une vive controverse parmi les Syriens. Washington avait auparavant exigé l’expulsion de ces combattants étrangers de Syrie et s’était fermement opposé à ce que certains d’entre eux obtiennent des grades militaires dans l’armée syrienne. Ce changement de position américain a donc alimenté les craintes que l’intégration de militants étrangers dans les structures officielles ne renforce l’instabilité plutôt que de la résoudre.
 
Afrin : un symbole du changement démographique forcé
 
Afrin, une région historiquement à majorité kurde où les Kurdes représentaient près de 95 % de la population avant 2018, a subi des transformations démographiques radicales depuis que les factions de l’Armée nationale syrienne (ANS) soutenues par la Turquie ont pris le contrôle en mars 2018 lors de l’« Opération Rameau d’olivier ».
 
L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a recensé des milliers de violations contre les civils locaux par des groupes armés tels que la division Hamza et la brigade Sultan Suleiman Shah, désormais officiellement intégrées aux structures de sécurité syriennes réorganisées. Ces violations comprennent des pillages, des détentions arbitraires, des actes de torture et des déplacements systématiques, souvent destinés à contraindre les habitants kurdes à abandonner leurs foyers.
 
L’OSDH estime que plus de 300 000 personnes ont été déplacées d’Afrin après 2018. Seulement 25 000 environ sont rentrées, laissant près de 275 000 personnes toujours déplacées dans des zones du nord d’Alep telles que Tal Rifaat, Nubl, Zahra, Deir Jamal et les villages de Shahba, tandis que d’autres ont fui vers la ville d’Alep, Kobani ou des zones contrôlées par l’Administration démocratique autonome du nord et de l’est de la Syrie (DAANES).
 
Les groupes de défense des droits humains soulignent que l’ampleur des déplacements et des réinstallations à Afrin constitue une violation du droit international. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (articles 6, 7 et 8) définit les déplacements forcés et l’ingénierie démographique menés dans le cadre d’une campagne systématique comme des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
 
Colonies soutenues par des organisations étrangères
 
Selon North Press, environ 38 projets de colonisation ont été construits à Afrin depuis 2018, parrainés par des organisations turques, koweïtiennes, qataries et palestiniennes. Ces projets comprennent plus de 1 000 logements dans des districts tels que Sharran, Sheikh Hadid, Jindires, Bulbul et Rajo. Les analystes affirment que ces projets ne sont pas conçus comme une aide humanitaire, mais comme des outils d’ingénierie démographique visant à remplacer les résidents kurdes par des Arabes, des Turkmènes et, désormais, des combattants ouïghours et leurs familles.
 
Réponse internationale : sanctions et critiques
 
L’Union européenne (UE) a récemment levé certaines sanctions contre les institutions étatiques syriennes afin d’encourager la reconstruction, mais a imposé de nouvelles mesures restrictives à l’encontre des chefs de milices accusés de violations des droits humains, notamment à Afrin. L’UE a sanctionné la division Hamza, la division Sultan Murad et la brigade Suleiman Shah, ainsi que les commandants Mohammad Hussein al-Jassem (Abou Amsha) et Sayf Bulad Abu Bakr, tous deux promus simultanément au sein de la nouvelle structure de l’armée syrienne.
 
Les États-Unis ont également sanctionné ces groupes. En août 2023, Washington a placé Abu Amsha sous le coup de la loi Magnitsky pour avoir dirigé des forces accusées de déplacements forcés, d’enlèvements et de violences sexuelles à Afrin. Le Trésor américain a également sanctionné la division Hamza pour avoir dirigé des centres de détention où les personnes enlevées étaient torturées et rançonnées, et où des femmes auraient été victimes d’abus sexuels.
 
Malgré ces mesures, Abu Amsha et Abu Bakr ont tous deux été promus au sein des divisions syriennes nouvellement formées, ce qui suscite des inquiétudes quant à l’enracinement d’une culture d’impunité plutôt que la garantie de la responsabilité.
 
La double stratégie de la Turquie
 
Rami Abdulrahman, directeur de l’OSDH, a déclaré à Kurdistan24 que « la Turquie détient la clé » pour résoudre la crise d’Afrin. Il a accusé Ankara de poursuivre une « stratégie à double tranchant » : d’un côté, mobiliser les réseaux électroniques pour discréditer les Forces démocratiques syriennes (FDS), et de l’autre, dialoguer avec elles sous le couvert de la construction de la nation syrienne. « S’ils le voulaient, ils pourraient appliquer chaque accord conclu », a déclaré Abdulrahman. « Mais ils choisissent la duplicité. »
 
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a signalé en 2018 que la réinstallation forcée de groupes non kurdes dans des foyers d’Afrin pourrait représenter une tentative délibérée de modifier de manière permanente la composition ethnique de la région.
 
Les militants locaux et les résidents déplacés affirment que la dernière installation de familles ouïghoures à Me’riskê est un autre chapitre d’une longue campagne d’ingénierie démographique qui a déjà transformé le tissu social d’Afrin.
 
« Chaque nouvelle implantation réduit les chances de retour des propriétaires légitimes », a déclaré un habitant déplacé à Kurdistan24. « Il ne s’agit pas seulement d’un déplacement, mais de l’effacement de l’identité kurde d’Afrin. » (Kurdistan24)