Dans les annales de l’histoire, des récits de courage et de bravoure ont souvent été tissés autour d’hommes et de femmes extraordinaires. Pourtant, il existe de rares cas où un héros inattendu émerge des endroits les plus improbables, et dans le cas de Wojtek, l’ours soldat, ce héros est originaire des sommets des montagnes escarpées du Kurdistan.
Né en 1942 au milieu des troubles de la Seconde Guerre mondiale, l’histoire de Wojtek transcende les frontières et parle des liens indissolubles qui peuvent se former entre l’homme et la bête. Dans les premiers jours de la guerre, lorsque l’agression incessante de l’Allemagne s’est étendue à toute l’Europe, l’espoir a vacillé dans l’obscurité, lorsque la Pologne a trouvé un allié en Grande-Bretagne et un leader en Władysław Anders. Ensemble, ils forgèrent le deuxième corps de l’armée polonaise, cherchant à contrer l’assaut nazi.
À la recherche de Wojtek
Comme le destin l’a voulu, le chemin de l’armée polonaise les a conduits à la ville kurde d’Hamadan, dans l’ouest de l’Iran, qui fait partie du Rojhilat (Kurdistan oriental). Dans ce coin reculé du monde, une rencontre touchante s’est déroulée entre un groupe de soldats polonais et un petit ourson. L’enfant kurde qui a offert ce cadeau aurait difficilement pu prévoir l’impact profond que cet ours aurait sur le cours de l’histoire.
Les soldats ont accueilli le petit à bras ouverts, le nommant affectueusement « Wojtek », surnom polonais désignant un guerrier heureux. L’amitié entre Wojtek et ses nouveaux camarades ne connaissait pas de limites. Nourri avec un régime à base de lait et de miel, il fut plus tard initié aux fruits, à la marmelade, au miel et au sirop, recevant souvent de la bière en récompense, qui devint bientôt sa boisson préférée.
De plus, il a développé une affinité surprenante pour fumer (ou consommer) des cigarettes et aimait siroter un café le matin. Avec ses habitudes attachantes et ses pitreries ludiques, la présence de Wojtek parmi les soldats est devenue un puissant symbole d’unité et d’espoir, apportant des moments de répit et de joie au milieu du chaos de la guerre.
Devenir soldat
Lorsque la décision de quitter l’Égypte pour le sud de l’Italie a été prise, Wojtek a été confronté à un défi : les réglementations militaires interdisaient aux animaux de monter à bord des navires. Déterminés à ne pas abandonner leur fidèle compagnon, les soldats polonais ont pris une décision sans précédent : ils ont officiellement enrôlé Wojtek comme soldat, lui accordant le grade de soldat et le promouvant plus tard au grade de caporal. Ainsi, la légende de Wojtek, l’ours soldat, est restée gravée à jamais dans l’histoire.
Tout au long de la guerre, l’esprit attachant et l’intelligence de Wojtek se sont manifestés. Il s’est fait aimer de tous ceux qu’il a rencontrés, imitant les soldats et aidant au déplacement des caisses de munitions lors de la féroce bataille de Monte Cassino en Italie. Son dévouement indéfectible lui a valu l’admiration des généraux et hommes d’État alliés en visite, faisant de lui une célébrité sur le champ de bataille.
La retraite en Ecosse
Lorsque la guerre toucha enfin à sa fin, le voyage de Wojtek prit une tournure inattendue. Il fut retiré de l’armée polonaise et fit ses adieux à ses compagnons d’armes. Mais son histoire ne s’arrête pas là. En témoignage de la profonde affection qu’il avait inspirée, Wojtek a trouvé un nouveau foyer au zoo d’Édimbourg en Écosse. Bien qu’éloigné des champs de bataille d’Europe, il est resté dans le cœur de ceux qui ont combattu à ses côtés.
Les années passèrent et en décembre 1963, Wojtek quitta ce monde, laissant derrière lui un héritage qui dépassait sa silhouette de la taille d’un ours. À l’âge de 21 ans, il pesait près de 500 kg et mesurait plus de 1,8 mètre, un témoignage vivant de la force d’esprit qui défie les frontières.
L’impact de l’incroyable voyage de Wojtek s’est étendu bien au-delà de sa vie. La 22e Compagnie de ravitaillement d’artillerie de l’armée polonaise, à jamais émue par son courage, a changé son logo d’artillerie pour représenter un ours portant un obus, un hommage poignant à leur compagnon bien-aimé.
Dans les années qui suivirent, la mémoire de Wojtek resta précieuse. En Pologne, en Grande-Bretagne et en Italie, des sculptures, des statues et des plaques ont été dévoilées en l’honneur de la remarquable contribution de l’ours kurde à l’histoire. Son histoire est devenue un symbole d’unité, un témoignage des liens qui se nouent entre les individus, quelle que soit leur espèce ou leur origine.
Des décennies se sont peut-être écoulées depuis le début du voyage de Wojtek, mais son histoire nous rappelle que les amitiés les plus improbables peuvent s’épanouir en période de troubles. Grâce à son courage, sa loyauté et son esprit inébranlable, Wojtek reste un fil indélébile dans la riche tapisserie de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Aussi longtemps que sa mémoire perdurera, le message d’espoir et d’unité qu’il incarnait perdurera également, un message qui résonnera à jamais dans les générations à venir.
En fin de compte, ce ne sont pas seulement les soldats polonais qui ont trouvé réconfort et inspiration en présence de Wojtek ; c’était le monde. Ainsi, nous honorons la mémoire de cet extraordinaire ours kurde devenu un symbole de résilience et de camaraderie, gravé à jamais dans les annales du temps.
L’héritage durable de Wojtek :
— De nombreux hommages rendent hommage à l’ours soldat, avec une plaque ornant l’Imperial War Museum de Londres, une sculpture réalisée par David Harding au Sikorski Museum de Londres et une sculpture en bois nichée dans Weelsby Woods, Grimsby, Royaume-Uni.
— En 2013, le conseil municipal de Cracovie a autorisé l’érection d’une statue de Wojtek dans le parc Jordan, à Cracovie. À l’occasion du 70e anniversaire de la bataille du Mont-Cassin, le 18 mai 2014, la statue a été dévoilée et a servi de symbole poignant du souvenir.
— En 2013, le conseil municipal d’Édimbourg a également approuvé la création d’une statue en bronze de Wojtek, habilement sculptée par Alan Beattie Herriot et située dans les jardins de West Princes Street, à Édimbourg. Représentant l’ours soldat marchant aux côtés d’un autre soldat de l’armée polonaise, la statue a été dévoilée en 2015. Un relief qui l’accompagne raconte l’histoire du remarquable voyage de Wojtek de l’Égypte à l’Écosse aux côtés de l’armée polonaise.
— En 2016, un hommage touchant a été dévoilé à Duns, dans les Scottish Borders, où Wojtek avait été stationné à Winfield Camp en 1946, aux côtés des troupes polonaises. Cette statue, offerte par la ville polonaise de Żagań, ville jumelle de Duns, a été dévoilée le 26 avril 2016, exactement 72 ans après l’importante bataille de Monte Cassino, dans laquelle Wojtek et les forces polonaises ont joué un rôle essentiel.
— En 2017, Poznań, en Pologne, a accordé un honneur sincère en donnant à une rue le nom de Wojtek. Aujourd’hui connue sous le nom d’ulica Kaprala Wojtka (rue du caporal Wojtek), cette rue mène au nouveau zoo de Poznań, un lieu qui revêt une importance particulière pour la mémoire de Wojtek.
— Septembre 2018 a marqué le dévoilement d’une statue en bois dédiée à Wojtek au nouveau zoo de Poznań, rendue possible grâce au généreux financement de Krystyna Wieczorek, l’auteur d’un livre polonais remarquable relatant la vie de Wojtek.
— Enfin, en mai 2019, une majestueuse statue en marbre de Wojtek a été inaugurée à Cassino, en Italie, un hommage touchant à l’impact profond qu’il a eu sur la vie de ceux qui ont combattu à ses côtés pendant la guerre.
Texte original à lire ici: Heroic Kurdish Bear: WWII’s Paws of Valor
Par Baker Schwani pour Kurdish Chronicle
Baker Schwani est écrivain et traducteur kurde basé en Allemagne. Il a traduit plusieurs romans en kurde. Originaire de Kirkouk, Schwani a étudié la géologie à Bagdad avant de s’installer en Allemagne et d’obtenir un diplôme en études orientales à l’Université de Bonn.