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Helîm YÛSIV: Au Rojava, le couteau de l’assimilation a atteint l’os

« Tous les écrivains du monde ont une mère, seuls les écrivains kurdes qui écrivent en arabe ont en deux. »

L’écrivain kurde originaire du Rojava, Helîm Yûsiv tire la sonnette d’alarme concernant le désintérêt ou parfois le mépris que les Kurdes du Rojava ont pour le propre langue maternelle au profit de la langue impérialiste arabe. C’est une tragédie qu’on constate aux Kurdistan « turc », « irakien » et « iranien » (Rojhilat). Même dans la diaspora, en Occident, on voit souvent les parents kurdes parler une des langues colonialistes – turc, arabe et persan qu’ils métrisent moins bien que leur langue maternelle – à leurs enfants. Les Kurdes doivent également décoloniser leurs esprits, comme le rappelle Yûsîv dans l’article ci-dessous. Mais que peut-on espérer pour un peuple qui est cible de génocides linguistique, culturel, ethnique… depuis plus d’un siècle? Si nos personnalistes politiques, académiques, artistiques… ne donnent pas l’exemple, le Kurde lambda ne pourra pas forcement saisir la gravité du linguicide touchant sa langue maternelle. Et maintenant place au « pamphlet » de Helîm YÛSIV face à la mort programmée du kurde:

Au Rojava, le couteau de l’assimilation a atteint l’os

Je ne parle pas du Nord du Kurdistan, ni du Sud, ni de l’Est. Je ne parlerai que du Kurdistan de l’Ouest [Rojava]. De nombreux Kurdes pensent que le Kurdistan occidental a conservé sa langue, sa culture, en d’autres termes, son âme, et le printemps kurde est en marche. Je ne sais pas comment cette image trompeuse est née, mais ce que je vois et vis chaque jour montre cette image peinte d’une manière différente. Bien que la vérité soit amère et que son image ne soit pas jolie, je parlerai tout de même de quelques images de cette vérité dans cet article.

Quelques exemples du champ politique

Au Kurdistan occidental [Rojava] après 2012 contre la décision de faire du kurde la langue d’enseignement dans les écoles, les Kurdes sont descendus massivement dans la rue avant tout le monde et ont rejeté cette décision et une grande partie d’entre eux n’ont pas envoyé leurs enfants à l’école.

Les mêmes Kurdes qui envoient joyeusement leurs enfants dans des écoles arabes baathistes depuis cinquante ans ont déclaré :
– Nous n’envoyons pas nos enfants dans des écoles [kurdes].
– Personne ne reconnaît les diplômes et diplômes kurdes, que peut-on en faire ?
– L’avenir de nos enfants est perdu et nous voulons qu’ils aillent à l’école publique.

En ce qui concerne l’avenir des enfants, je voudrais donner cet exemple tiré de mes expériences. Lorsque j’ai critiqué l’un des partisans de la « gouvernance autonome », parce qu’il envoyait secrètement son fils dans des écoles publiques et non dans des écoles kurdes, il m’a répondu ainsi :
– Je te prie de venir au pays depuis l’Europe et envoyer tes enfants dans des écoles kurdes. Vous qui vivez en Europe n’avez pas le droit de critiquer.

Quelques exemples du domaine littéraire

Dans la partie occidentale du Kurdistan, ces dernières années, un phénomène remarquable a émergé dans le domaine de l’écriture. Au lieu de développer l’écriture et la lecture en kurde, les auteurs qui écrivaient en kurde sont revenus à l’écriture en arabe. Certains d’entre eux ont concouru dans l’appréciation de leur écriture en langue arabe. Lorsque ces personnes deviennent des invités de la télévision arabe, elles appellent l’arabe comme langue maternelle. Ces années ont apporté un nouveau concept, qui est « Ma deuxième langue maternelle est l’arabe ».

Tous les écrivains du monde ont une mère, seuls les écrivains kurdes qui écrivent en arabe ont deux mères.

Ce problème dont nous parlons n’est pas la traduction arabe elle-même, mais plus que la langue, c’est la conscience, la mentalité et la relation spirituelle avec cette langue. Cette relation spirituelle devient une position dans la sphère politique et sociale, et de cette façon ces écrivains se retrouvent dans les rangs des propriétaires de cette langue.

L’exemple le plus notable est Selim Barakat, un écrivain de langue arabe. Afin de gagner les régions occidentales du Kurdistan, après le retrait des forces du régime, Selim Barakat estime que « seule l’Armée syrienne libre » a le droit de s’emparer de toutes les régions de l’ouest du Kurdistan et appelle le « Parti des travailleurs du Kurdistan » [PKK] le « parti Baas du Kurdistan » et dit qu’ils ne veulent pas que ces baasistes kurdes remplacent les statues d’un dictateur (Hafiz Elesad) par les statues d’un autre dictateur (Abdullah Ocalan).

De même, 15 juin 2023, un poète kurde qui écrit en arabe a écrit sur sa page Facebook : « Si une nuit de poésie kurde a lieu dans l’immeuble en face de chez moi, je ne serai pas présent. Mais si un événement nocturne Selim Barakat se produit dans les Océans, je m’y rendrais. »

Un autre écrivain du Kurdistan occidental distribue ses livres en arabe et les dirige dans des associations et des lieux kurdes avec la présence de Kurdes et dit sur une télévision kurde qu’il veut faire connaître les Kurdes aux Arabes à travers la littérature.

Certains des écrivains du Kurdistan occidental salissent jour et nuit le mouvement kurde pour la liberté, encore un peu, ils vont devenir des « fédayins » des Palestiniens et rejoindre leurs activités militaires. Bientôt, ils vont lécher les doigts des deux mains de leurs « frères arabes » pour les prix du « beignet » littéraire arabe et à la place de leurs mères qui ne connaissaient pas l’arabe, ils recherchent des mères arabes.

Ils font tout pour les convaincre qu’ils sont bons et détestent les séparatistes kurdes et les « terroristes ».

Ils appellent également leurs livres arabes des livres de littérature kurde. Quand il s’agit de la littérature kurde en Syrie, ni la langue kurde ni les écrivains de cette langue orpheline ne viennent à l’esprit. Ils se présentent et présentent leurs œuvres comme kurdes et des œuvres de la littérature kurde, et leur plaisir est leur plaisir.

Quelques exemples dans le domaine des médias sociaux

Les Kurdes du Kurdistan occidental utilisent le plus Facebook. La langue principale qu’ils utilisent est l’arabe. Un tel partage en kurde est orphelin, froid, ignoré et non lu. Mais ceux lus en arabe et parfois pleins de fautes d’orthographe et masculins et féminins sont confus, mais ils sont toujours lus et partagés avec beaucoup d’amour et d’enthousiasme.

Pendant des années, j’ai séparé les deux langues, à côté de ma page kurde, j’en ai ouvert une en arabe et j’ai demandé à tous mes amis qui ne connaissent pas le kurde d’y aller. Maintenant, par exemple, lorsque je publie une nouvelle sur mon livre kurde, une scène comme celle-ci apparaît :

– L’auteur est kurde, le livre est en kurde et les suiveurs sont kurdes. La page Facebook kurde attire une cinquantaine de personnes.
– La même nouvelle dans la version arabe attire l’attention d’au moins 400 personnes.

Ainsi, des chanteurs aux écrivains et politiciens des Kurdes du Kurdistan occidental, ils parlent tous d’eux-mêmes et de leurs activités en arabe, ainsi que de leurs opinions et croyances.
Le pire, c’est qu’ils insultent les Kurdes du nord du Kurdistan en arabe et disent qu’ils sont tous devenus Turcs.

Dans la partie occidentale du Kurdistan, la majorité de la population parle un kurmanji brisé, ni en termes de structure ni de syntaxe, ni en termes de mots, il n’a aucun lien avec le kurde. Parfois, la phrase est entièrement arabe, mais elle est collée avec quelques lettres et symboles kurdes, et parfois la syntaxe arabe est chargée de quelques mots kurdes et ils disent que nous parlons en kurde.

Résultat

L’assimilation (…) a de nombreuses couleurs et est différente dans chaque partie du Kurdistan. Au Kurdistan occidental, au niveau des élites et des écrivains, le couteau de l’assimilation a atteint les os et a pénétré le cerveau. Le cerveau est devenu arabe, donc dans leur attitude et leur position ils sont du côté des autres partis jusqu’au bout, leurs mains sont ouvertes devant les portes des autres nations. Malgré cela, ils détestent les forces et les cercles les plus actifs de leur nation et leur sont hostiles jusqu’au bout.

Pour ne pas faire d’injustice aux personnes et aux cercles honnêtes et travailleurs, je parle ici de certains cercles et pas de tous. Mais ces cercles sont aussi larges que vous le souhaitez et ils constituent une grande partie de la société kurde. S’il y avait eu quelques personnes, je ne les aurais pas mentionnées. Par conséquent, nous ne devons pas avoir peur de la vérité et nous ne devons pas avoir peur de la révéler.

Quiconque dit que notre société kurde du Kurdistan de l’Ouest est une société kurde se trompe.

Quiconque dit que la situation de langue kurde est bonne au Kurdistan de l’Ouest se trompe lui-même et nous trompe.
Les efforts d’un parti ici et d’une organisation là-bas ne peuvent plus empêcher cette tempête inexorable.
Les Kurdes disparaissent progressivement.

Puisque c’est mon écriture en kurde, je ne pense pas qu’à part quelques amis passionnés comme moi, le son de ce cri atteindra quelqu’un, mais je dirai quand même mes derniers mots :

– Dommage pour cette belle langue.
– Dommage pour le travail acharné de certains!

Version originale publié le 18 juin. A lire sur le site Diyarname : Li Rojava kêra asîmîlasyonê gihîştiye hestî