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ONU: Les civils kurdes doublement victimes des groupes syriens soutenus par la Turquie

Kidnappings, torture, viols, féminicides, meurtres, déplacements forcés, expropriations des biens… les civils kurdes des régions syriennes occupées par la Turquie sont doublement victimes de groupes de mercenaires soutenus par la Turquie peut-on lire dans un rapport accablant de l’ONU publié hier (14 septembre).
 
Le dernier rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante des Nations Unies sur la Syrie publié mercredi indique que les civils kurdes dans les zones désormais contrôlées par l’Armée nationale syrienne (ANS / SNA) soutenue par la Turquie sont doublement victimes pour avoir été d’abord enrôlés par les forces kurdes et maintenant arrêtés par des groupes sous commandement de la Turquie.
 
« Ayant d’abord été enrôlés de force par les Unités de protection du peuple kurde (YPG) (…) sans choix lorsqu’ils contrôlaient la zone jusqu’en 2018, ils sont maintenant arrêtés et détenus par les autorités de l’Armée nationale syriennes (ANS / SNA)», indique le rapport.
 
Le rapport mentionne que début janvier, près de Bab, la division Hamza de l’armée nationale syrienne (division 23) a arrêté un ancien membre des YPG, qui avait été enrôlé de force dans le passé.
 
« La famille n’a pu localiser la victime que trois mois après son arrestation, en versant des pots-de-vin pour garantir son transfert à la prison de Maratah à Afrin, contrôlée par la police militaire de l’armée nationale syrienne », indique le rapport.
 
Depuis novembre 2014, les autorités du nord-est de la Syrie ont imposé la conscription militaire aux hommes en âge de servir.
 
Augmentation des arrestations
 
Le rapport note également que la police militaire et les brigades de la SNA ont continué d’arrêter des personnes ayant des liens présumés avec les YPG, y compris celles qui avaient été enrôlées de force par les YPG kurdes, l’auto-administration ou avec le gouvernement syrien ou l’EI.
 
Les personnes interrogées ont déclaré que ces arrestations ont augmenté depuis 2021, à la suite d’enquêtes menées par la police militaire de l’armée nationale syrienne sur le rôle présumé de personnes en faveur de l’auto-administration, à titre militaire ou civil, autorisées par les tribunaux militaires d’Afrin.
 
Alors que l’armée nationale syrienne a déclaré à la Commission des Nations unies qu’elle disposait d’un « système juridique en place protégeant pleinement les civils contre les violations », les personnes interrogées ont déclaré à la Commission des Nations unies que les personnes arrêtées par des groupes soutenus par la Turquie ont été détenues au secret pendant des périodes allant d’un mois à trois ans.
 
Par ailleurs, les membres de la famille se sont vu refuser des informations sur le lieu où se trouvaient les détenus, y compris les détenus transférés en Turquie.
 
De plus, les membres de la famille qui cherchaient des informations sur le sort ou le lieu où se trouvait un être cher ont également été menacés ou arrêtés.
 
Violence sexuelle
 
Le rapport indique également que « de nouveaux récits crédibles ont également été recueillis auprès d’hommes et de femmes survivants, y compris des mineurs, de passages à tabac et d’autres formes de torture par des membres de l’armée nationale syrienne, y compris des viols et d’autres formes de violence sexuelle qui ont eu lieu. dans des centres de détention de fortune entre 2018 et 2021. »
 
Par exemple, une ancienne détenue « a décrit comment elle a été victime de viol et d’autres formes de violence sexuelle en 2018 lors d’interrogatoires par des individus portant des uniformes turcs et parlant en turc. »
 
Le rapport souligne que « des éléments de l’armée nationale syrienne peuvent avoir commis des actes de torture, des traitements cruels et des atteintes à la dignité de la personne, notamment par des formes de violence sexuelle, qui constituent des crimes de guerre. Dans certains cas, les traitements infligés ont entraîné la mort de détenus, ce qui peut s’apparenter à un meurtre, un autre crime de guerre. »
 
Appropriation foncière
 
De plus, le rapport a également ajouté que des terres (y compris des terres agricoles) ont été appropriées par des groupes armés soutenus par la Turquie, « qui ont finalement forcé de nombreuses personnes à quitter la région et continuent d’empêcher leur retour ».
 
Un Yézidi déplacé a expliqué à la Commission des Nations Unies que lui et sa famille n’avaient pas pu rentrer parce qu’il ne pouvait pas accéder à sa maison et à sa terre, qui sont occupées depuis 2019 après que la famille a fui les hostilités lors de l’opération Source de Paix dans le nord-est de la Syrie.
 
« D’autres ont décrit des situations similaires de privation d’accès à leurs propriétés, des années après leur fuite, et ont exprimé une réticence générale, par crainte d’arrestation et de détention, à réclamer leurs biens ».
 
Le rapport souligne que « la confiscation de biens privés par les parties au conflit peut constituer un pillage, qui est un crime de guerre, et est en tout état de cause interdite lorsqu’elle est fondée sur des motifs discriminatoires ».
 
La Commission note que, dans les zones sous contrôle effectif de la Turquie, « la Turquie a la responsabilité, dans la mesure du possible, d’assurer l’ordre et la sécurité publics et d’accorder une protection spéciale aux femmes et aux enfants. La Turquie reste liée par les obligations applicables en matière de droits de l’homme à l’égard de toutes les personnes présentes sur ces territoires. »
 
Frappes de drones
 
Le rapport note également que les bombardements mutuels entre « l’armée nationale syrienne et les forces turques et les forces démocratiques syriennes ont eu lieu, et l’utilisation de drones turcs est en augmentation ».
 
À titre d’exemple, la commission a noté que le 8 janvier, trois localités du centre de Kobani ont été bombardées simultanément, ainsi que des villages à l’est de Kobanê, le long de la frontière turque. « Un civil a été tué et 12 civils blessés (4 hommes, 5 femmes et 3 enfants), dont un enfant de 4 ans, qui a perdu sa jambe. Des biens civils ont également été gravement endommagés, affectant un marché et des installations de production alimentaire », indique le rapport.
 
« Des photographies des restes de l’un des villages où des civils ont été blessés indiquent l’utilisation de mortiers non guidés de 120 mm, qui, compte tenu de la portée de l’arme, peuvent avoir été tirés depuis la Turquie», ajoute le rapport.
 
La Commission de l’ONU a déclaré qu’il « existe des motifs raisonnables de croire que l’utilisation d’armes explosives non guidées pour frapper des zones urbaines et des villages équivaut à un crime de guerre consistant à lancer une attaque aveugle causant des morts et des blessés parmi les civils ». (Kurdistan24 Kurdish civilians are being doubly victimized by Turkish-backed groups in Syria: UN report)
 
Voici la partie du rapport de l’ONU concernant les crimes de guerre commis par les groupes sous commandement de la Turquie notamment à Afrin:
 
Détention arbitraire et conditions de détention, y compris les décès en détention
 
L’Armée nationale syrienne a continué de systématiser les pratiques de détention dans les zones sous son contrôle
 
La Commission a été informée du fait que, entre 2018 et 2022, un certain nombre de membres de l’Armée nationale syrienne ont été condamnés par des tribunaux militaires ou ont fait l’objet d’une enquête pour torture, meurtre, viol ou appropriation de biens, entre autres chefs d’accusation (…).
 
La police militaire et les brigades de l’Armée nationale syrienne ont continué d’arrêter des personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les Unités de protection du peuple kurde [YPG], (…). Selon les personnes interrogées, ces arrestations se sont multipliées depuis 2021, à la suite d’enquêtes menées par la police militaire de l’Armée nationale syrienne sur le rôle présumé d’individus à l’appui de l’administration autonome, que ce soit à titre militaire ou à titre civil, avec l’autorisation des tribunaux militaires à Afrin.
 
Bon nombre de civils kurdes qui vivent dans les zones contrôlées par l’Armée nationale syrienne sont aujourd’hui doublement victimes. Après avoir été enrôlés de force par les Unités de protection du peuple kurde (…) lorsque celle-ci contrôlait la région,
jusqu’en 2018, ils sont désormais arrêtés et placés en détention par l’Armée nationale syrienne. Par exemple, début janvier, près de Bab, la division Hamza (division 23) a arrêté un ancien membre des Unités de protection du peuple kurde qui avait été enrôlé de force. La famille n’a pu retrouver la victime que trois mois après son arrestation, en versant des pots-de-vin pour obtenir son transfert à la prison de Maratah à Afrin, contrôlée par la police militaire de l’Armée nationale syrienne.
 
L’Armée nationale syrienne a dit à la Commission que le système juridique en vigueur protégeait parfaitement les civils contre toute violation de l’interdiction des arrestations arbitraires ainsi que le droit à un procès équitable (y compris le droit de consulter un avocat et de communiquer avec des proches), mais les personnes interrogées ont affirmé que les individus arrêtés par des factions ou des membres de l’Armée nationale syrienne étaient détenus au secret pendant des périodes allant d’un mois à trois ans, que les familles n’étaient pas informées du lieu où se trouvaient les détenus, y compris ceux qui avaient été transférés en Turquie, que les personnes qui cherchaient à obtenir des informations sur le sort réservé à leurs proches ou sur l’endroit où ils se trouvaient étaient également menacées ou arrêtées, que les détenus n’étaient pas informés des raisons de leur arrestation et n’étaient pas représentés en justice et qu’ils étaient autorisés à avoir des contacts avec leurs proches que lorsque ceux-ci versaient des pots-de-vin ou exerçaient des pressions sur des membres de l’Armée nationale syrienne pour obtenir leur transfert vers des prisons centrales, comme celle de Marata.
 
Ce n’est qu’après ces transferts que les détenus comparaissaient enfin devant un tribunal, dont le tribunal militaire d’Afrin.
 
Les personnes qui ont finalement pu rendre visite à des proches à la prison de Marata ont dit avoir vu sur leur corps des traces de passages à tabac.
 
En outre, la Commission a recueilli de nouveaux témoignages crédibles d’hommes et de femmes, dont des mineurs, ayant survécu à des passages à tabac et à d’autres actes de torture commis par l’Armée nationale syrienne, y compris des viols et d’autres actes de violence sexuelle commis entre 2018 et 2021 dans des lieux de détention de fortune.
 
Une ancienne détenue a dit avoir été violée et avoir subi d’autres formes de violence sexuelle en 2018 alors qu’elle était interrogée par des individus qui portaient un uniforme turc et s’exprimaient en turc.
 
Par ailleurs, un certain nombre de détenus sont décédés des suites de graves actes de torture et autres mauvais traitements infligés par des membres de l’Armée nationale syrienne.
 
Une personne interrogée a expliqué que, le 24 février, un membre d’une tribu arabe avait été arrêté à Afrin par la brigade Feïlaq el-Cham et amené dans un avant-poste militaire contrôlé par cette brigade, où il avait été battu à mort. Dans une déclaration, le brigade a reconnu sa responsabilité dans la mort de cet homme, causée par les tortures qu’il avait subies pendant sa détention, et a annoncé que les auteurs présumés avaient été arrêtés et remis à la justice militaire.
 
On citera également le cas d’un homme libéré après avoir été maintenu en détention brièvement par l’Armée nationale syrienne ; le corps couvert de traces de passages à tabac, l’homme est décédé quelque temps après sa libération.
 
La Commission a des motifs raisonnables de croire que des éléments de l’Armée nationale syrienne ont arbitrairement privé des personnes de leur liberté. Certains de ces cas sont constitutifs de disparitions forcées.
 
Il se peut que des éléments de l’Armée nationale syrienne, reproduisant des pratiques déjà observées, se soient livrés à des actes de torture, à des traitements cruels et à des atteintes à la dignité de la personne, notamment des formes de violence sexuelle, qui sont constitutifs de crimes de guerre.
 
Dans certains cas, les traitements infligés ont entraîné la mort de détenus, ce qui peut être constitutif de meurtre, et donc aussi
de crime de guerre.
 
Mesures portant atteinte aux droits de propriété
 
Les arrestations et les placements en détention auxquels les brigades de l’Armée nationale syrienne ont procédé se sont souvent accompagnés d’appropriations de biens, y compris de terres agricoles, ce qui a fini par contraindre de nombreuses personnes à quitter la région, sans pouvoir y revenir pour l’instant. Bien que certaines personnes aient signalé que leurs biens leur ont été restitués, beaucoup d’autres ne peuvent toujours pas récupérer leurs maisons et leurs terres.
 
Un homme déplacé d’origine yézidie a expliqué que lui et les siens ne pouvaient pas rentrer chez eux car il n’avait accès ni à sa maison ni à ses terres, qui étaient occupées depuis que sa famille avait fui les hostilités en 2019, pendant l’opération Source de paix.
 
D’autres ont également déclaré ne pas avoir accès à leurs biens, des années après leur fuite, et se sont montrés globalement réticents à l’idée de les réclamer, de crainte d’être arrêtés et placés en détention.
 
Des personnes interrogées ont affirmé avoir fait l’objet de menaces d’arrestation ou avoir été forcées par d’autres moyens à retirer les plaintes qu’elles avaient soumises à différents comités informels locaux de règlement, composés de membres d’entités religieuses et tribales et de l’Armée nationale syrienne, pour des faits d’extorsion, d’appropriation de biens et d’imposition de taxes ; ces personnes craignaient notamment des représailles de la part des brigades de l’Armée nationale syrienne dont les membres étaient visés par les plaintes, puisque ces brigades intervenaient dans la procédure
de plainte et de restitution.
 
Du fait des inégalités préexistantes entre les sexes, les femmes
rencontraient encore plus de difficultés et hésitaient à demander réparation des violations de leurs droits de propriété à ces comités composés exclusivement d’hommes.
 
Par exemple, une veuve poussée à quitter sa maison au profit d’une autre famille du fait de la stigmatisation liée au fait de vivre seule dans la maison familiale n’a pas porté plainte car elle craignait des actes d’intimidation et s’attendait à ce que le résultat de la procédure lui soit défavorable.
 
 
La confiscation de biens privés par les parties au conflit peut constituer un pillage, et donc crime de guerre, et elle est en tout cas interdite lorsqu’elle repose sur des motifs discriminatoires.
 
Dans le village de Dawoudiya (Ras el-Aïn), à moins de 10 kilomètres des lignes de front où les combats entre les Forces démocratiques syriennes, la Türkiye et l’Armée nationale syrienne se sont récemment intensifiés, des brigades de l’Armée nationale syrienne
et des forces terrestres turques ont continué d’utiliser des biens civils à des fins militaires.
 
Des images satellites récentes ont confirmé la présence continue d’une base militaire turque à l’intérieur du village, ainsi qu’une possible extension des installations vers le nord.
 
Les résidents kurdes ont interdiction de retourner à Dawoudiya, où des maisons ont été détruites, depuis au moins 2020. Ils ne peuvent pas non plus cultiver les terres agricoles adjacentes et les demandes d’indemnisation sont à ce jour rejetées. Le fait que les
forces turques ne procèdent à aucun paiement en contrepartie des réquisitions de biens privés peut être constitutif d’une violation du droit humanitaire international.
 
Restrictions des libertés fondamentales
 
Les membres de l’Armée nationale syrienne et de la police militaire ont imposé des restrictions à la liberté d’expression et de réunion dans plusieurs secteurs d’Alep. En particulier, les militants et militantes des droits des femmes ont fait l’objet de violences et de
menaces de violence de la part de membres de l’Armée nationale syrienne et d’officiels religieux alors qu’ils essayaient de prendre part à la vie publique, ce qui les a empêchés de participer et de contribuer véritablement à la vie de leur communauté.
 
Craignant pour leur sécurité, certaines personnes qui militent pour les droits des femmes se sont abstenues de parler publiquement de leur travail ou se sont retirées des organisations locales qui défendent l’égalité des sexes.
 
C’est tout particulièrement vrai pour les militantes d’origine kurde, dont certaines se sont totalement retirées de la vie publique car elles craignaient également d’être arrêtées et placées en détention par l’Armée nationale syrienne.
 
Dans ce contexte, les organisations qui luttent contre la violence fondée sur le genre, par exemple en apportant une aide juridictionnelle ou une protection juridique aux victimes, sont excessivement isolées. Les personnes qui ont subi des
actes de violence sexuelle, en plus d’être stigmatisées, n’ont nulle part où se réfugier et ne cherchent pas à obtenir réparation devant les comités composés exclusivement d’hommes, qui sont mentionnés plus haut, en raison de leur inefficacité.
 
S’agissant des violations mises en évidence dans le présent rapport, la Commission souligne que, dans les zones placées sous son contrôle effectif, la Turquie a la responsabilité d’assurer, dans la mesure du possible, l’ordre et la sécurité publics, et d’accorder une protection particulière aux femmes et aux enfants.
 
La Turquie reste liée par les obligations applicables en matière de droits de l’homme à l’égard de toute personne présente dans ces territoires.