GENEVE – Des anarchistes genévois.es déclarent qu’ils pourraient s’inspirer du confédéralisme démocratique mis en place au Rojava dans un billet publié sur le site Le Courier alors qu’ils s’apprêtent à célébrer le 150e anniversaire de l’Internationale anti-autoritaire de 1872.
On le partage avec vous:
Escale au cœur du confédéralisme démocratique du Rojava
«Prélude à la célébration des 150 ans de l’Internationale anti-autoritaire (Congrès de St-Imier) en juillet prochain, les «Escales Siluriennes» organisées dans l’espace autogéré Le Silure, à Genève, entretiennent un cycle de débats sur l’anarchisme. Retour de l’escale sur le confédéralisme démocratique au Rojava organisée à la mi-décembre.
Comme lors de la première rencontre des Escales siluriennes1, la salle du Silure est pleine ce 9 décembre. Venu·es d’horizons variés, nous sommes réuni·es pour discuter du lien entre le nouveau paradigme politique sur lequel repose la révolution du Rojava2– le confédéralisme démocratique – et l’anarchie. Un thème de choix pour continuer notre série de discussions en préparation des Rencontres internationales anti-autoritaires à St-Imier3.
Impossible de parler de la révolution en cours au Rojava [Kurdistan syrien] sans mentionner l’histoire du peuple kurde, divisé entre quatre Etats-nations (Turquie, Iran, Irak et Syrie) depuis le début du XXe siècle. Opprimé·es dans chacun de ces pays, les Kurdes lancèrent de nombreuses révoltes pour réclamer leur droit d’exister et d’exprimer leur culture. Mais leurs tentatives furent chaque fois étouffées. Cette culture de lutte se poursuit néanmoins jusque dans les années 1970-80, où le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est créé et lance une guerre de guérilla contre l’Etat turc.
D’abord marxiste-léniniste, le PKK se tourne vers l’idée du confédéralisme démocratique à partir de 1999, lorsqu’Abdullah Ocalan, secrétaire général du parti et philosophe, est fait prisonnier par la Turquie. En prison, il découvre les écrits de l’anarchiste et écologiste Murray Bookchin avec qui il échange une série de lettres. Sur cette base, le PKK développe son nouveau paradigme où démocratie directe à la base, écologie4et féminisme55sont interconnectés.
Le confédéralisme démocratique est ensuite adopté dès 2005 par l’ensemble du mouvement révolutionnaire kurde et dès 2012 il commence à être mis en pratique au Rojava. A la suite de la libération par les milices de défense kurdes (YPG et YPJ) de régions non kurdes contrôlées par Daesh, la région autonome grandit autour d’un contrat social commun et prend le nom d’Administration autonome du nord et de l’est syrien.
Quel lien avec l’anarchisme? Une des grandes bases de l’anarchisme repose sur la critique de l’Etat comme une structure qui centralise les pouvoirs dans les mains d’une minorité. Comme alternative, certains anarchistes – Proudhon, Bookchin… – proposent un système fédéraliste afin de décentraliser le pouvoir. Mais le risque de centralisation ne disparaît pas au sein d’une fédération: tout dépend de la participation de la population au processus démocratique. Partant, il est intéressant d’analyser les structures mises en place au Rojava pour éviter une dérive autoritaire. De notre discussion ressort le fait que la dépendance de la population à une entité centrale y est encore bien présente. Mais parallèlement, nous pouvons y voir une lutte constante pour pousser la société vers une décentralisation des pouvoirs.
A la base du système fédéraliste du Rojava: les communes. Figurant la plus petite entité au sein de la société, elles sont composées de quelques centaines de familles d’un même quartier ou village. Leur but est de pallier les besoins de la population dans tous les aspects de la vie en société: c’est là que sont prises la majeure partie des décisions. Contre le patriarcat, des maisons des femmes en gestion autonome sont créées et un système de coprésidence homme-femme est en vigueur. Contre le nationalisme et le racisme, chaque ethnie est représentée à travers la coprésidence. Contre une économie capitaliste, les coopératives sont encouragées et les monopoles interdits.
Au cœur de ce processus, l’éducation (perwerde en kurde, qui signifie: donner des ailes) sert de dynamique pour faire constamment évoluer les mentalités. Des moments de critique et d’autocritique offrent un espace de remise en question, afin d’apprendre des erreurs. Une des personnes présentes à la rencontre relève: «Ici, nous sommes élevées dans un contexte de compétition entre individus, avons tendance à nous vexer face aux critiques et les voir plus comme une attaque personnelle plutôt qu’une opportunité d’évolution.»
Le confédéralisme démocratique est une tentative de réponse dans le contexte du Rojava dont nous pouvons nous inspirer. La question reste ouverte sur la forme que cela peut prendre ici – il n’y a sans doute pas qu’une seule réponse possible. En revanche, nous avons une certitude, parfaitement exprimée par les zapatistes: «Nous voulons un monde où il y a la place pour de nombreux mondes.»