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« La misère des migrants, une arme dans les mains des dictateurs »

Depuis plusieurs semaines, l’Europe observe crédule plus de 20 000 réfugiés, principalement des Kurdes d’Irak, du Rojava, mais aussi des Syriens et des Yézidis, essayer d’entrer en Europe via la Pologne depuis la Biélorussie où ils sont piégés par le froid et la faim tandis que les soldats polonais les bloquent à la frontière et que les biélorusses les empêchent de faire demi tour. Ils sont devenus de véritables monnaie de chantage entre les mains du régime biélorusse, à l’instar du régime turc qui fait chanter l’Europe avec des millions de réfugiés syriens depuis des années…
 
Malgré la mort de plusieurs réfugiés à cause du froid glacial et la faim, les États européens refusent toujours d’intervenir, comme si ces réfugiés allaient s’évaporer comme par magie et que tout allait entrer dans l’ordre! Non, l’Europe doit agir, mais comment ? On œuvrant à trouver une solution à la cause de la migration, à savoir la guerre et les changements climatiques qui secouent le Moyen-Orient, dont le Kurdistan. Pour l’instant, nous en sommes loin car l’Europe travaille plutôt avec les régimes qui sont à l’origine de ce chaos. En effet, elle soutien activement la Turquie qui a occupé plusieurs régions du Rojava et du Kurdistan d’Irak, en plus de soutenir les gangs islamistes dans d’autres régions syriennes, a chassé de leurs terres des millions de Kurdes et d’autres minorités en Syrie au cours de plus de 10 ans de guerre. Elle a également assoiffé des millions de personnes en Syrie en coupant les eaux du fleuve de l’Euphrate grâce à des barrages construits en amont du fleuve qui traverse la Syrie… Ainsi, l’Europe participe à la fabrique de l’immigration en soutenant financièrement le régime turc qui est également soutenu militairement par l’OTAN dont il est le membre, bien qu’il achète aussi des armes russes quand il en a envie… 
 
Selon le Mouvement des femmes kurdes du Rojava, Kongra Star, « La seule solution pour résoudre ce problème [migration vers l’Europe] est de mettre fin à la guerre et à l’occupation, également au Kurdistan, mais les forces de la modernité capitaliste veulent que cette crise s’en nourrisse. (…) la Turquie a utilisé les réfugiés de sa guerre comme levier politique. » Quand au militant franco-kurde, Aydin Baran, il déclare que les migrants sont devenus une armes de guerre entre les mains des dictateurs pour faire chanter l’Europe. 
 
Aydin Baran a publié ce texte sur son profil Facebook. Un texte qui devrait être publié par les journaux Le Monde, Humanité, Le Figaro etc… Comme ce n’est pas le cas, c’est nous, Kurdistan au Féminin qui le faisons. Le voici:
 
La misère des migrants, une arme dans les mains des dictateurs
 
Une véritable crise migratoire est en cours à la frontière de Pologne. Les autorités biélorusse escortent les migrants, arrivés dans le pays avec des avions turcs, jusqu’à la frontière de l’UE . Le nombre de migrants à la frontière augmente du jour en jour et les images transmises par les médias biélorusses et polonais font frotter déjà les mains des partis de l’extrême-droite européen. Une guerre de propagande et de chantage se fait sur la misère des milliers de migrants qui risquent la mort.
 
Dans des forets glaciales biélorusses, avec des températures allant jusqu’à moins 15 degrés, des milliers de migrants essaient de traverser la frontière de la Pologne pour rejoindre l’Europe. Ils brulent du bois pour se chauffer, mais le froid et la faim ont causé déjà la mort d’une dizaine de personnes. Une femme kurde yézidie, dont les images tournent sur les réseaux kurdes témoignent sur leurs conditions. Elle est entourée par plusieurs enfants qui essaient de se protéger du froid grâce à un feu de camp. Venue d’Irak, elle attend à la frontière depuis dix jours avec ses enfants : « Nous sommes prisonniers ici depuis 10 jours. Il fait très froid. Les autorités polonais refusent notre entrée, tandis que les autorités biélorusses refusent notre retour. On a ni ‘eau ni nourriture. Nous avons dû payer 100 dollars pour nourrir les enfants. Les enfants ont faim. Une personne est morte aujourd’hui. Nous souffrons, aidez nous s’il-vous-plait ».
 
Il s’agit souvent des hommes kurdes venus du Kurdistan irakien, mais également des familles avec des enfants. Ils attendent depuis des jours, voir des semaines pour traverser la frontière. Les médias biélorusses encouragent les migrants à venir dans le pays avec des informations qui confirment une passage sûr vers l’Europe. Il s’agit clairement d’une manipulation politique du gouvernement biélorusse, car les militaires polonais ne laissent aucun passage. L’armée polonais a dépêché d’ailleurs 12 mille soldats à la frontière pour « barrer la route aux migrants ». Des images d’interventions musclés des militaires polonais circulent sur les réseau sociaux. Dans ces images, les migrants ne sont clairement pas les bienvenus.
La majorité des migrants sont des kurdes irakiens et ceci n’est certainement pas un hasard. Quand les raisons sont demandés, ils pointent souvent la misère et la corruption des clans qui gouvernent le Kurdistan irakien, notamment la corruption de la famille Barzani et de la famille Talabani. Le gouvernement d’Erdogan est impliqué sans doute dans ce mouvement de masse.
 
Par quel moyen arrivent-ils ces migrants en Biélorussie ? Qui est le passeur ? Avec un minimum de traçage nous allons tomber sans doute sur une collaboration étroite de deux dictateurs : Loukachenko et Erdogan. Ces derniers exploitent pleinement les fractures qui frappent les sociétés européennes en ce qui concernent la migration et font chanter les gouvernements européens sur ce sujet pour leur intérêt.
 
Erdogan veut envahir de nouveau les territoires kurdes en Syrie et pour ceci il a besoin du soutien tacite de l’UE, comme en 2016. À cette époque, il avait ouvert les frontières et plus d’un million et demi de personnes avaient émigrés en Europe en quelques mois. Après la promesse d’un soutien politique, militaire et économique, Erdogan avait fermée la vanne de migration. Entretemps, 16 villes kurdes ont été détruites en Turquie par des chars. Des milliers de kurdes ont été assassinés et une partie des territoires kurdes en Syrie a été envahie. Un véritable nettoyage ethnique a été exercé contre les kurdes d’Afrin en 2018, une région kurde syrienne pacifique. L’Allemagne a publiquement soutenu l’invasion d’Afrin au nom de « installations des syriens » dans cette région.
 
La chose immorale dans cette vague d’immigration à la frontière de Pologne, c’est le fait qu’on utilise les kurdes pour faire chanter l’Europe, enfin d’attaquer les kurdes qui y sont restés en Syrie et en Irak. Ainsi il est gagnant sur tous les bords Erdogan. Même s’il n’obtient rien au niveau politique et économique, au moins il donnera un coup à la sympathie des sociétés européennes envers les kurdes.
 
Ainsi, l’accueil des migrants par l’UE est devenu un cercle vicieux profitable aux régimes dictatoriaux dans le fait. Peu importe si on est pour ou contre l’immigration, la division qui frappe les pays européens est exploité pleinement par des régimes autoritaires, qui considèrent les pays européens comme des adversaires.
 
Erdogan n’arrive plus à exploiter la carte migratoire depuis le fiasco du février 2020, car la Grèce a joué parfaitement le jeu de gardien à sa frontière. Les militaires grecs n’ont pas hésité à appliquer les méthodes des militaires turcs pour « barrer la route aux envahisseurs étrangers ». Erdogan s’allie aujourd’hui avec Loukachenko, afin d’ouvrir d’autres routes de chantages.
 
Jadis, l’OTAN et l’UE considéraient la Turquie comme leur frontière du Sud, mais aujourd’hui ils font commencer ces frontières à partir de la Grèce et la Turquie est traité comme un pays du Moyen-Orient. Finalement, à force d’abuser de ce moyen de chantage, la Turquie a perdu également sur le long-terme.
 
Chaque régime ou société a son point de vue, mais les migrants qui risquent leurs vies pour échapper des régimes corrompus, la misère, la guerre, l’incertitude, le racisme, les fondamentaux religieux etc ont également une histoire à raconter et cette histoire ne peut être blâmé par ceux qui sont en sécurité. Avant de juger, imaginez un seul minute que vous vous trouvez avec ou sans vos enfants, dans une foret obscure, qui fait moins de 15 degrés, sans l’eau et sans nourriture.
 
Certes, il y a également une migration de consommation, c’est-à-dire des jeunes qui veulent vivre comme les jeunes de l’occident, dont ils voient à la télé ou sur les réseaux. Encore une foi, comment blâmer des gens qui veulent accéder à la consommation comme les jeunes de l’occident ?
 
Les conflits dans le monde ne profitent plus, comme jadis, aux sociétés et entreprises européennes. Les sociétés européennes ont tout leur intérêt à augmenter leur militantisme pour la paix dans le monde et prendre une position claire contre les pays qui provoquent des conflits. Encore une fois, il faut faire ceci peu importe si on est pro ou contre l’immigration. La paix est dans l’intérêt de chaque européen.
 
Aydin Baran