AccueilDroits de l'HommeCes étrangers qui apprennent le kurde, la langue interdite

Ces étrangers qui apprennent le kurde, la langue interdite

A l’occasion de la Journée de la langue kurde, nous avons donné la parole à plusieurs personnes non-kurdes qui ont décidé d’apprendre la langue kurde alors qu’ils sont loin du Kurdistan. Elles nous ont toutes dit leur indignation face au génocide linguistique subi par le peuple kurde colonisé.

 
La première personne kurdophone non kurde qui a eu une place de choix dans le coeur des Kurdes est Aram Tigran, un Arménien rescapé du génocide des Arméniens en 1915. Il fût adopté par les Kurdes dont il a appris la langue pour en faire des chansons plus célèbres les unes que les autres. Il y a d’autres universitaires, linguistes ou musiciens qui ont décidé de parler ou chanter en langue kurde. Parmi eux, on peut citer la musicienne française Eléonore Fourniau ou Francesco Marilungo, un Italien qui a découvert que la langue kurde était interdite alors qu’il donnait des cours d’italien dans la ville kurde d’Amed. Mais à côté de ces célébrités, vous avez aussi des personnes « anonymes » qui ont croisé des Kurdes ou ont découvert la lutte kurde et ont décidé d’apprendre la langue kurde comme une forme de soutien au peuple kurde privé de tous ses droits: linguistiques, culturels, politiques…
 
Nous avons interrogé trois femmes et un homme non-kurdes sur les raisons qui les ont poussé à apprendre le kurde et voici leurs réponses: 
 
Nous avons interrogé Carolina, Charlène, Christelle et Gautier sur les raisons qui les ont poussés à apprendre le kurde et voici leurs réponses:
 
Qu’est qui vous a poussé à apprendre le kurde?
 
Carolina : Cela faisait des années que je voulais apprendre le kurde mais je n’avais jamais eu l’opportunité. J’ai toujours admiré la détermination des Kurdes par rapport à leurs libertés et à leur autonomie, ce qui m’a toujours poussé à vouloir en apprendre plus sur leur histoire, leur culture, et bien sûr leur langue. En tant que latino-américaine, j’ai compris que la langue que je parle n’est pas vraiment ma langue maternelle, car ma langue a été effacée par des siècles de colonisation et d’assimilation. Apprendre le kurde représente donc aussi pour moi une opportunité d’éviter qu’une langue aie le même sort que la langue de mes ancêtres. J’aime beaucoup écrire et j’ai déjà écrit des nouvelles et même un roman avec des personnages kurdes et je voulais toujours avoir une idée de la langue pour mieux comprendre la culture. Ce qui m’a motivée le plus c’est d’avoir écrit ma thèse sur Sakine Cansiz, car je me suis dit que même si elle ne parlait pas vraiment le zazaki [le dialecte kurde parlé essentiellement dans la région de Dersim d’où était originaire Sakine Cansiz], c’était avant tout pour la survie de sa culture et la langue qu’elle s’était tant battue. Avec la pandémie, les cours en ligne se sont fait plus nombreux et donc j’en ai profité.
 
Christel : J’ai souhaité apprendre le kurde parce que mon mari était kurde mais est décédé il y a bientôt 2 ans. Pour ne pas rompre le lien entre ma belle-famille et mes enfants, je pense que maîtriser les bases est très important, même si je me débrouille en turc.
 
Charlène : Dans le cadre de mon travail. Je suis serveuse, j’ai une clientèle à 60% kurdes, certains ne parlent pas français. J’ai commencé par apprendre les premiers mots, bonjour, merci, bonne journée pour discuter avec eux ou tout simplement comprendre leur commande. De fil en aiguille, j’ai appris un peu plus, ayant commencé, je voulais continuer à parfaire la langue puisque j’aime bien en apprendre de nouvelles.
 
Gautier: En côtoyant et en lisant que les Kurdes étaient assimilés. J’ai décidé d’apprendre par moi même la langue et donc la culture par conséquent.
 
Comment vos sentiments et votre vision du kurde ont-ils changé pendant ou après l’avoir appris? Qu’est-ce que le kurde vous a apporté?
 
Carolina : Mes sentiments et ma vision du kurde n’ont pas vraiment beaucoup changé. Je continue de considérer le kurde comme une très belle langue, même si l’apprendre n’est pas nécessairement facile. Je pense que le kurde m’a apporté une manière différente de voir la culture, et de comprendre les différentes phases de la cause kurde.
 
Christel : J’ai toujours fait un genre de blocage vis-à-vis du kurde alors que je parle plusieurs langues. Je la trouvais hyper difficile d’accès et surtout j’avais cherché des cours sans succès (j’habite en province). Grâce aux cours du Zoom, j’ai réussi à me sentir petit à petit plus à l’aise mais je trouve toujours que c’est une langue complexe. Les cours sur les liens entre le kurde et d’autres langues m’ont aidée à replacer cette langue dans un autre contexte, à m’en sentir un peu plus proche. A vrai dire, l’apprentissage du kurde est une sorte de thérapie pour moi, de faire le deuil de mon mari et grâce aux cours, j’ai 3 nouvelles amies en Suisse, Turquie et France. On a continué d’apprendre ensemble, en prenant notre temps.
 
Charlène : Je trouve que c’est une belle langue, et à part entière, complètement différente du turc comme certains peuvent penser par exemple. Cette langue m’a apporté une connaissance de la culture notamment.
 
Gautier : A lutter et à comprendre l’assimilation et la colonisation turque. A comprendre que la langue maternelle est importante pour les droits Humains et pour les minorités ethniques qui luttent pour l’existence.
 
Après avoir appris le kurde, y avait-il eu une différence dans vos relations avec vos amis kurdes et votre vision des Kurdes?
 
Carolina : La plupart de mes amis kurdes ne parlent pas leur langue maternelle, ou bien ils comprennent mais ne peuvent pas répondre. C’était compliqué par rapport à la pratique, et j’en ai même des amis qui m’ont dit que mon kurmanci était mieux que le leur. Des fois, en rigolant, je leur mets la pression et leur dit que si une Colombienne peut apprendre le kurde ils n’ont pas d’excuse pour ne pas apprendre leur langue maternelle. Mais c’est sûr que ça aide à comprendre comment l’oppression de l’État turc sur la population kurde peut influencer leurs motivations pour apprendre.
 
Christel : Parler un peu la langue me permet de me sentir plus proche de ma belle-famille et de mon mari de manière posthume. Cela me permet également de commencer à mieux comprendre les chansons kurdes que j’écoute depuis des années!
 
Charlène : J’ai des amis kurdes et ils adorent quand j’essaye de parler kurde, ils m’encouragent. Les Kurdes veulent juste être reconnus en tant que peuple et avoir une place et un pays à eux, ce qui est légitime (…). Pourquoi ne leur donne-t-on pas leurs terres, ça me révolte.
 
Gautier : Beaucoup de Kurdes ne connaissent pas leur langue et/ou ne s’y intéressent pas. Oui cela motive à changer les comportements et à donner l’exemple vivant que c’est possible, de protéger un patrimoine mondial qui est une langue de la Mésopotamie, berceau de l’humanité.
 
Inviteriez-vous les gens à apprendre le kurde, en tenant compte des pressions politiques étatiques sur le kurde?
 
Carolina : Bien sûr! Je crois que c’est la meilleure manière de soutenir pas seulement une population mais aussi un idéal, anticoloniale, qui protège l’identité et la culture d’une nation qui était là bien avant les Turcs. C’est important de ne pas laisser mourir la langue kurde.
 
Christel : Oui, j’inviterais les gens à apprendre le kurde mais pas que pour des raisons politiques car je pense qu’il faut vraiment s’intéresser à une culture pour apprendre une langue. Mais, j’avoue que je suis fière d’apprendre une langue qui n’est « politiquement pas correcte »! Aucune langue ne devrait être interdite, où que ce soit!
 
Charlène : Aujourd’hui, trop d’enfants kurdes n’apprennent pas leur langue maternelle et ne parlent que turc. De générations en générations, elle risque de se perdre, ce serait tellement dommage alors que depuis des décennies, les Kurdes se battent pour garder leurs origines.
 
Gautier : Dans le sens inverse, si on ne le fait pas, qui le fera ? C’est une question de patrimoine internationale. La perdre, c’est faire mourir l’humanité. La Différence c’est la richesse des peuples. Il faut protéger notre bien commun et donc apprendre les langues.

Christelle Aslan avec son défunt mari et leurs deux enfants