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Il y a 84 ans débutait le génocide de Dersim visant les Kurdes alévis

TURQUIE / BAKUR – Ce 4 mai, marque le 84e anniversaire du début du génocide de Dersim. Entre 1937 et 1938, l’État turc a massacré entre 70 000 et 90 000 Kurdes alévis dans la région de Dersim. Ceux qui ont survécu au massacre ont été chassés pour dépeupler Dersim de ses habitants kurdes alévis, tandis que l’Etat turc rebaptisait Dersim en « Tunceli » (Main de bronze) du nom de l’opération militaire de cette époque.

84 années se sont écoulées depuis le début du massacre de Dersim, et pourtant la Turquie n’est pas disposée à reconnaître ce génocide, comme beaucoup d’autres génocides kurdes. Les responsables de la mort de dizaines de milliers de civils n’ont jamais été jugés ni mis en lumière. Les familles brisées ne pourront jamais découvrir leur passé. Des milliers de personnes n’ont toujours pas reçu de nouvelles de leurs familles et amis proches. On ne sait pas où se trouvent les enfants kurdes enlevés par le gouvernement turc à ce moment-là. Beaucoup d’autres pays du monde qui ont vécu des expériences similaires et ont commis un génocide contre leur peuple ont reconnu l’injustice et le chagrin qu’ils ont causés et se sont excusés. Cependant, la Turquie continue de résister et d’utiliser la stratégie de « ça n’existe pas » avec le génocide kurde comme elle l’a fait avec le génocide arménien.
C’est le sociologue Ismail Beşikçi qui a commencé à faire la lumière sur l’un des « génocides oubliés » de la Turquie. En 1990, il a publié un livre en Turquie qui, par son titre même, accusait le régime unipartite turc des années 1930 d’avoir commis un génocide dans la région kurde de Dersim. Le livre a été immédiatement interdit et n’a pas généré de débat sur son auteur. Comme le rappelle l’auteur et universitaire Martin Van Bruinessen : « Beşikçi fut le premier, et pendant longtemps, le seul intellectuel turc à critiquer publiquement l’idéologie et les politiques officielles de la Turquie concernant les Kurdes, à commencer par son étude de 1969 sur les conditions socio-économiques et toute une série d’œuvres de plus en plus polémiques. » Ismail Beşikçi a payé un lourd tribut pour son courage moral et intellectuel ; tous ses livres ont été interdits, et il a passé plus de dix ans en prison pour les avoir écrits.
Comme Van Bruinessen l’a écrit lui-même en étudiant le génocide de Dersim, « Dersim est un district inaccessible de hautes montagnes enneigées, de vallées étroites et de profonds ravins dans le centre de la Turquie orientale, habité par un grand nombre de petites tribus vivant de l’élevage, de l’horticulture et de la cueillette de produits forestier. Leur nombre total était estimé, au milieu des années 1930, entre 65 000 et 70 000. »
Dersim était une partie culturellement distincte du Kurdistan, en partie en raison de facteurs écologiques et géographiques, en partie à cause d’une combinaison de particularités linguistiques et religieuses. Certaines des tribus parlaient le kurde proprement dit, mais la plupart parlaient le dialecte zazakî. Tous étaient membres de la croyance hétérodoxe alévie, ce qui les séparait socialement des Kurdes sunnites vivant à l’est et au sud (parmi lesquels il y avait à la fois des Kurdes parlant le zazakî et des Kurdes parlant le kurmancî).
Dersim était, au milieu des années 1930, la dernière partie de la Turquie qui n’avait pas été placée sous le contrôle du gouvernement central. Les tribus de Dersim n’avaient jamais été soumises par aucun gouvernement précédent ; la seule loi qu’ils reconnaissaient était la loi tribale traditionnelle. Les chefs tribaux et les chefs religieux exerçaient une grande autorité sur les roturiers, qu’ils exploitaient souvent économiquement. Ils ne s’opposaient pas au gouvernement en tant que tel, tant qu’il n’intervenait pas trop dans leurs affaires. En fait, de nombreux chefs renforçaient leur position en établissant des relations étroites avec les militaires et les policiers affectés dans la région. Il y avait une tradition de refus de payer des impôts – mais il y avait peu de choses qui pouvaient être taxées, car la région était désespérément pauvre. Les jeunes hommes évitaient le service militaire quand ils le pouvaient, mais en 1935, une proportion considérable d’entre eux ont en fait servi dans l’armée turque.
La campagne militaire contre Dersim a été montée en réponse à un incident relativement mineur, et il semblerait que l’armée ait attendu un prétexte direct pour punir les tribus. Un jour de mars 1937, un pont stratégique en bois a été incendié et des lignes téléphoniques coupées. Seyyit Riza et les tribus associées ont été suspectés. L’armée peut avoir cru que c’était le début de la rébellion attendue. Une source turque mentionne qu’il y avait à la même époque un autre incident mineur ailleurs au Kurdistan et suggère une coordination entre les nationalistes kurdes.
Les premières troupes, envoyées pour arrêter les suspects, ont été stoppées par des hommes armés. Les confrontations ont rapidement dégénéré. Lorsque les tribus refusèrent de livrer leurs chefs, une grande campagne fut lancée. Les opérations militaires pour soumettre la région ont duré tout au long de l’été 1937. En septembre, Seyid Riza et ses plus proches associés se sont rendus, mais le printemps suivant, les opérations ont été reprises avec encore plus de force. Elles ont été d’une violence et d’une brutalité sans précédent.
Le nombre de personnes massacrées variait entre 12 000, selon les chiffres officiels, et 70 à 90 000 selon les habitants de Dersim. Plus de 10 000 personnes ont été déportées.
En 2008, le Parlement européen a organisé une conférence sur le génocide de Dersim. Et le comité de la conférence « Dersim 38 » s’est adressé à la Cour pénale internationale.
Des initiatives personnelles ont également été prises par des victimes du génocide de Dersim. Par exemple, Efo Bozkurt, qui a perdu toute sa famille dans le massacre, a déposé une plainte en justice pour «crimes contre l’humanité» en 2010, mais sa plainte a été rejetée.
Le procureur général d’Hozat a décidé d’abandonner les procédures le 18 février 2011. Il a été déclaré que « le droit pénal turc en vigueur au moment des incidents qui se seraient produits à Dersim en 1938 n’incluait pas le génocide et les crimes contre l’humanité imputés par la plaignante » . Il a en outre été dit dans la décision que les prétendus cas de décès devaient être qualifiés d’ « homicides » et relevaient donc du délai de prescription.
Dans les années 2010, un journal turc pro-gouvernemental Yeni Şafak a publié un document de renseignement top secret révélant que Mustafa Kemal (Atatürk) avait rencontré le leader de Dersim Seyit Riza la veille de son exécution, disant à Riza qu’il serait épargné s’il «demandait pardon». Seyit Riza a refusé et a été pendu avec 6 de ses camarades tôt le lendemain matin. Le document prouve que les condamnations à mort ont été décidées à l’avance et les potences préparées. Le document mentionne que Mustafa Kemal a dit à Seyit Riza que les habitants de Dersim sont des « Turcs du Khorasan » et que les corps de Seyit Riza et de ses amis ont été brûlés après avoir été exposés en public.
Des documents révèlent que l’exécution de Seyit Riza et de six autres personnes après les massacres de Dersim a été menée en toute connaissance de cause par Mustafa Kemal. Le journal a déjà publié des documents affirmant : « Atatürk a été empoisonné par [le Premier ministre] Ismet Inönü. » Selon le document, Seyit Riza a été emmené voir Mustafa Kemal la veille de son exécution et a refusé de demander pardon.
À la mi-avril 2015, des fouilles ont commencé à Dersim sur un site où 24 personnes, dont des femmes et des enfants, auraient été assassinées lors des massacres de 1938. Des restes humains, dont 8 crânes, ont été retrouvés hier le premier jour de fouilles dans un fosse commune dans le quartier Hozat de Dersim, où 24 personnes de deux familles ont été brûlées vives en 1938. Les exhumations, effectuées en présence du procureur, d’experts et de membres des familles, ont été les premières à avoir lieu en masse tombe à Dersim, 77 ans après le massacre.
 

ANF