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Les leçons du génocide yézidi d’août 2014

SHENGAL – En août 2014, les Yézidis ont subi un génocide des mains de l’Etats islamique. Un génocide qu’ils qualifient de « 74e ferman (décret) » car ils ont été persécutés tout au long de leur histoire, mais les plus importants des massacres des Yézidis ont été commis par les Ottomans à partir du seizième siècle.
 
Les décrets ottomans visant à effacer la culture des Kurdes yézidis
 
Les massacres commis contre les Yézidis par les Ottomans :
. le décret sultan ottoman Soliman le Magnifique en 1570,
. le décret Ali Pacha  en 1607,
. le décret Ahmad Pacha en 1630,
. le décret de Shamsi Pacha en 1650,
. le décret Mustafa Pacha en 1655,
. le décret Kaplan Pacha en 1674,
. les décrets des gouverneurs de Mossoul (Hassan Pacha al-Jalili) en 1701 et 1723, de Mossoul (Muhammad Amin Pacha al-Jalili) en 1766, de Soliman en 1776, de Mossoul (Muhammad Amin Pacha al-Jalili) en 1793, de Bagdad (Sulayman Pacha al-Kabir) en 1791, d’Ali Pacha en 1803, de Qabad Beik Amir Behdinan avec le gouverneur de Mossoul Muhammad Pacha al-Jalili en 1805, de Numan Pacha al-Jalili en 1807, de Numan Pacha al-Jalili bin Sulaiman Pacha al-Jalili en 1808,
. le décret du Maire de Sinjar, Haj Ibrahim Beik en l’an 1917,
. le massacre de Khalaf en 2007.
 
Le dernier massacre des Yézidis
 
Le 3 août 2014, les mercenaires de l’Etat islamique (EI / DAECH / ISIS) ont attaqué la région de Şengal, à partir des villages du sud-est de Jabal Şengal.
 
Şengal est une région à majorité yézidie, habité par plus de 400 000 Kurdes yézidis, ainsi que par des minorités kurde shabak, turkmène et arabe. Shengal est situé au Başûr (Kurdistan du Sud), à l’ouest du gouvernorat de la Ninive.
 
En 2014, il y avait plus de 18.000 combattants peshmergas déployés à Shengal par le gouvernement de la région autonome kurde d’Irak, mais ces forces ont quitté leurs positions avant l’attaque de DAECH, sur ordre du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) dirigé par la famille Barzanî, laissant les Yézidis sans défense, face aux gangs de l’EI.
 
De nombreux observateurs ont décrit l’abandon de la région par le PDK comme coïncidant avec plusieurs réunions entre les services de renseignements du Kurdistan et l’État turc dans le cadre d’une coopération secrète entre les deux partis, pour éliminer les Yézidis.
 
Les efforts des habitants de la région pour se défendre face aux mercenaires n’ont pas été couronnés de succès, car les volontaires ont fini par battre en retraite, après épuisement des munitions, et des dizaines d’entre eux ont été tués lors des bombardements intenses par un grand nombre de mercenaires.
 
La négligence de la communauté internationale et du gouvernement régional du Kurdistan ont incité les forces kurdes du Rojava (YPG/YPJ) et le PKK à intervenir. Ces forces ont réussi à assurer un passage sûr entre le mont Sincar, à Şengal, et le Rojava, sauvant la vie à plus de 10.000 personnes.
 
L’attaque de l’EI a tué 2 213 Yézidis, déplacé plus de 390 000 personnes vers le le Başûr et le Rojava, détruit 68 sanctuaires religieux. Les terroristes de l’EI ont enlevé 6 417 enfants et femmes. Les femmes ont été réduites en esclavage sexuel et les enfants utilisés comme soldats entre l’Irak et la Syrie, selon le Conseil de l’Administration autonome de Şengal.
 
« L’État islamique a cherché à détruire le groupe religieux yézidi comprenant 400.000 personnes, par le meurtre, l’esclavage sexuel et d’autres crimes », ont déclaré les enquêteurs de l’ONU dans un rapport publié le 16 décembre 2016, ajoutant que le génocide yézidi se poursuit.
 
Dans ce même rapport, les Nations Unies ont appelé la communauté internationale à agir pour sauver des milliers de Yézidis y compris des femmes de l’emprise de DAECH en Syrie et en Irak, et ont reconnu qu’ils avaient commis un génocide contre les Yézidis.

Les habitants de la région ont rapidement engagé la lutte armée, et se sont organisés en factions, début de la formation des unités de protection de Şengal le 4 août de la même année afin de soutenir les forces YPG/YPJ pour la défense de Şengal.
 
En raison des grands sacrifices faits par les forces impliquées dans les combats, la libération totale de la province Şengal a été annoncée le 13 novembre 2015 après 14 mois de résistance et de combat.
 
Le coprésident de l’organe exécutif du Conseil d’administration autonome de Şengal, Firas Harbo, déclare : « Épargner les Yézidis d’extermination en 2014 a été due à deux choses : premièrement, le fait de commencer à résister, à empêcher et à dissuader l’attaque barbare, et deuxièmement, le processus de commencer à organiser la communauté yézidie (…) ».
 
Les forces militaires yézidies : Unités de résistance de Şengal
 
Le 4 août 2014, on a annoncé la formation des forces militaires yézidis (les Unités de résistance Şengal – YBŞ), dont la mission était initialement de défendre la région contre les mercenaires de DAECH, de soutenir les forces participant à la libération de la province (…) et de se transformer en un système intégré de partis au sein de l’armée nationale irakienne.

Aujourd’hui, Les unités de résistance Sengal sont organisées comme une force militaire nationale irakienne sur le sol irakien, et leurs tâches, selon son système interne, sont de « défendre la communauté yézidie, sa terre, ses valeurs et son idéologie contre toute attaque interne ou externe ».
 
Les Unités de résistance Sengal fonctionnent sur le principe de la liberté des femmes et d’une société démocratique, et dépendent de la société politico-morale, de l’unité nationale kurde, et en tant que force militaire accomplissant son devoir défensif, et respecte toute croyance, culture, langue et nationalisme, et défend et enracine la coexistence entre les peuples.

Au cours des 6 dernières années, elles ont joué un rôle important dans les opérations militaires contre les mercenaires de DAECH, aux côtés de l’armée irakienne, ont assuré la stabilité dans ses zones de déploiement, et  limité le retour de DAECH dans les zones libérées, en coordination avec l’armée irakienne dans la région.
 
Elles ont contribué au retour de plus de 170 000 personnes déplacées et réfugiés dans la région, à la libération de plus de 3 430 personnes enlevées, à leur retour dans leurs familles grâce à leur participation et à leur coordination avec les unités de protection des du peuple (YPG) et les unités de protection des femmes (YPJ) au Rojava, lors des combats lancés contre DAECH en Syrie.
 
Administration autonome
 
Dans un effort des Yézidis de Şengal pour gérer leurs affaires et administrer la région après la libération, ils ont annoncé le lendemain de la libération, le 14 novembre 2015, la formation de l’Assemblée constituante des Yézidis de Şengal, qui deviendra plus tard le Conseil d’administration autonome de Şengal.
 
Sur l’importance de former le conseil, la co-présidente de l’Administration autonome de Şengal, Reham Hajo a déclaré : « Après le dernier décret, nous sommes arrivés à la conviction que si nous ne nous gérons pas, ne nous servons pas et ne nous protégeons pas, personne ne nous servira et ne nous défendra contre un autre, étant donné ce que nous avons vu en abandonnant tout le monde à notre sujet lors de l’attaque de la province. » 
 
Elle a souligné qu’il s’agit d’une tentative et d’un effort pour limiter un processus d’abandon et a déclaré : « La formation de ce conseil est devenue la réponse au massacre et aux génocides dont le peuple yézidi a été victime à Şengal, et pour limiter ce à quoi les Yazidis pourraient être confrontés à l’avenir. Pour la première fois, les résidents de Şengal ont pu se gérer eux-mêmes, alors que la région était auparavant gérée par des parties extérieures à la province. Cette administration a permis aujourd’hui aux habitants de la région de se gérer eux-mêmes, sans dépendre de personne à l’extérieur et a montré que les habitants de Şengal s’organisent aujourd’hui eux-mêmes, et en même temps résistent aux attaques auxquelles ils sont exposés ». 
 
Le Conseil a facilité pendant 6 années consécutives le retour de plus de 173.000 personnes déplacées de la région, et a fourni les besoins les plus importants de la communauté yézidie dans la province de Şengal afin d’exercer sa vie normale sur son sol, de construire des relations équilibrées avec le voisinage,  en coordination avec le gouvernement central irakien.
 
Mi-juin dernier, on a assisté à un retour progressif des familles déplacées dans les camps du Kurdistan Başûr, après la fin des opérations de retour des camps du Rojava et après la stabilisation de la situation dans la région.
Le processus d’autogestion du peuple yézidi par le biais des conseils locaux et des institutions civiles, son indépendance pour défendre la région, et sa vigilance quant aux dangers auxquels les Yézidis pourraient être confrontés à l’avenir dans Şengal, ne semblent pas correspondre aux intérêts de certains partis locaux du pays et des pays régionaux voisins.
 
Depuis 2014, Şengal a subi d’autres attaques militaires de la part de la Turquie, dont la première a eu lieu en avril 2017. Lors de la plus importante de ces opérations, Mam Zeki Shingali (İsmail Özden), membre du Parti des travailleurs du Kurdistan ( PKK), célèbre pour le rôle de premier plan qu’il a joué dans la résistance au génocide des Yazidis par l’EI, été assassiné le 15 août 2018 lors d’une frappe aérienne de la Turquie. Le 15 juin de cette année, 6 combattants des unités de protection de Şengal ont été assassinés lors d’une autre attaque aérienne turque contre Shengal.
 
Şengal a également été exposé à de nombreuses tentatives du PDK d’étendre son contrôle sur la province à travers ce qu’ils appellent « Peshmerga Roj », et certaines des factions militaires affiliées au PDK, ont attaqué plusieurs points des unités de résistance Asayish Izidkhan et Şengal dans le district de Khanasour le 3 mars 2017.
 
Sur ce à quoi la région est exposée, la co-présidente du Conseil d’administration autonome de Şengal, Reham Hajo a indiqué que l’administration autonome de Şengal est soumise à de nombreuses difficultés et obstacles, et aux attaques des ennemis qui travaillent par divers moyens pour vider le contenu de l’organisation de Şengal, et contrecarrer ses institutions créées pour réaliser les ambitions de la Turquie en tête, du parti démocratique du Kurdistan et des partis connexes.
 
Elle a noté que parmi les difficultés et les obstacles il y a également les ruses de la part de l’étranger contre la communauté yézidie de Şengal, qui ne ménage pas ses efforts pour contrecarrer le projet suivi à Şengal, par le biais de certaines personnes ayant des âmes faibles dans la région, et par une guerre spéciale visant à ternir de ce projet, à mettre des obstacles au développement du projet dans la région, et à miner les institutions et les gains qui ont été réalisés.
 
Et sur la base de tout ce qui a été raconté, les Yézidis devraient contourner leur religion et se tenir à l’écart des partis qui tentent de démanteler ce que la communauté Yézidie a construit grâce aux sacrifices consentis par ce peuple mais aussi grâce à ses intellectuels et ses politiciens, et appeller à unifier leur vision, et trouver un point commun d’accord pour forcer le gouvernement irakien à reconnaître ce génocide, à limiter les différentes attaques dont la province est victime de la part des partis internes et régionaux, et à obtenir la reconnaissance de Şengal comme province décentralisée liée au gouvernement fédéral de Bagdad.