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Sainte-Sophie, le 24 juillet, le traité de Lausanne et les Kurdes…

Ce vendredi 24 juillet, le Président turc, Erdogan a assisté à la première prière musulmane dans la basilique Sainte-Sophie transformée en mosquée, à Istanbul. Alors que certains voient dans cet acte un pied de nez d’Erdogan à l’Occident et ses tentatives de se faire passer pour le leader du monde musulman, les Kurdes y voit tout autre chose. En effet, le 24 juillet 1923, il y a 97 ans, on signait le traité de Lausanne qui a acté la mort d’un Etat kurde, pourtant prévu dans le traité de Sèvres signé trois ans plutôt.

Il y a presqu’un siècle, on assistait à la chute de l’empire ottoman. Cette chute a permis la naissance de nombreuses nations dans les années et décennies suivants : Arménie, Irak, Syrie… Seul les Kurdes, un peuple de dizaines de millions de personnes, ont été privés d’avoir un Etat sur les terres où ils vivaient depuis des millénaires.

Cela fait donc près de 100 ans que les Kurdes privés de leur droit à l’autodétermination en tant que peuple, pourtant prévu dans le charte des Nations Unis, sont à la merci des 4 Etats colonialistes qui occupent le Kurdistan et qui ont essayé toute sorte de barbaries pour en finir avec les Kurdes, soit en les exterminant physiquement, soit en les assimilant de force et surtout, en interdisant leur langue, leur culture qui a été pillée par leurs colonisateurs.

On ne compte plus le nombre de massacres visant les Kurdes depuis le XXème siècle. En effet, dès la signature du traité de Lausanne privant les Kurdes d’un Etat, les leaders kurdes ont mené de nombreuses révoltes dans les régions kurdes occupées par la Turquie (Dersim, Koçgiri, Zilan…). Elles ont toutes été écrasées dans le sang. A chaque révolte, des dizaines de milliers de civils kurdes ont été massacrés, d’autres déportés du Kurdistan… En Iran et en Irak également on a assisté aux massacres des Kurdes, dont le génocide d’Anfal commis en 1988 par le dictateur irakien Saddam Hussein et la campagne génocidaire menée par l’ayatollah Khomeini dans les régions kurdes d’Iran après l’instauration de la République islamique d’Iran en 1979. (Les colonisateurs des Kurdes ne s’en prennent pas aux Kurdes uniquement à cause de leur origine ethnique, ils les massacrent également à cause de leurs croyances qui ne sont pas toujours celles soutenues par le pouvoir en place. En Turquie, les Kurdes alévis ou Yézidis ont été persécutés aussi à cause de leurs confessions non sunnites. En Iran, les Kurdes, à majorité sunnites, sont persécutés également en tant que minorité sunnite par le régime chiite iranien. En Irak et en Syrie également, les Kurdes sunnites sont une minorité religieuse face à la population à majorité chiite…)

Seuls les Kurdes du Bashur (Kurdistan « irakien ») ont obtenu une autonomie régionale après la défaite de l’Irak dans la guerre du Golfe, en 1991. Mais après la référendum d’indépendance – demandée par le Président kurde Massoud Barzanî – le 25 septembre 2017, les forces armées irakiennes ont envahi de nombreuses régions kurdes, dont Kirkouk, chassant de centaines de milliers de Kurdes de leurs terres. Depuis, la région vit dans l’incertitude quand à son avenir. D’autant plus qu’on assiste à une présence toujours plus nombreuses de soldats turcs, qui combattent soit disant le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), dont le QG se trouve dans le montagne de Qandil, au Kurdistan du Sud. Certains Kurdes affirment que le régime irakien va envoyer son armée au Kurdistan du Sud pour mettre fin à l’autonomie kurde, au prétexte de chasser l’armée d’occupation turque qu’il n’a jamais empêcher d’entrer dans le nord du pays…

Les gains durement acquis par les Kurdes syriens après une lutte héroïque menée contre le groupe Etat islamique (EI) sont aujourd’hui menacés par la Turquie et ses mercenaires islamistes qui ont envahie le canton kurde d’Afrin en 2018 et la région de Serê Kaniyê en octobre 2019.

En Turquie, les gains politiques du parti « pro-kurde », HDP obtenus depuis les élections de 2015 ont été balayés par une vague d’arrestations de politiciens et d’élus et la destructions de nombreuses villes kurdes qui avaient déclaré l’autonomie-locale.

En Iran, les quelques millions de Kurdes du pays sont persécutés en tant que minorité ethnique et religieuse. Ils sont condamnés à la pauvreté par le régime iranien qui pille par ailleurs leur ressources naturelles. Les militants kurdes sont sévèrement punis par des peines de prisons à vie ou des peines de mort. Pour rappel, la moitié des prisonniers politiques en Iran sont des Kurdes et en 2018, les Kurdes représentaient 28 % des personnes exécutées en Iran, alors qu’ils ne constituent qu’environs 10 % de la population.

Loin de se décourager par un siècle de massacres, de déportations et de politiques d’assimilation forcée, les Kurdes continuent à lutter pour vivre librement sur leurs terres avec les autres peuples de la région, sans avoir forcément un Etat kurde. C’est du moins ce que les Kurdes du Rojava, du Rojhilat et du Bakur affirment.

Pour revenir à Erdogan et le traité de Lausanne, on se demande où Erdogan priera le 24 juin 2023 pour le centenaire du traité de Lausanne ? Va-t-il retourner à Sainte-Sophie ou voudra-t-il aller à Jérusalem ? Ou sera-t-il « remercié » par son propre peuple entre temps à cause de ses dérives autoritaires et la pauvreté galopante dans laquelle s’enfonce le pays depuis de nombreuses années?