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La protection des femmes en Turquie: explosion du cœur de la famille ?

La Turquie a adhéré à la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, qui vise à protéger les femmes contre la violence. Les forces conservatrices du pays demandent cependant le retrait immédiat de la Turquie, affirmant que la famille traditionnelle est en danger.
 
Par Pelin Unker et Daniel Derya Bellut
 
Les excès de violence à l’égard des femmes ne sont pas rares en Turquie. En 2019 en particulier, les meurtres cruels de femmes comme celui de Ceren Ozdemir, 20 ans, étudiante en art.
 
Malgré ces chiffres choquants, la population turque conservatrice semble avoir peu d’intérêt à combattre la violence. Cela est particulièrement évident dans le débat actuel sur la convention dite d’Istanbul. La Convention du Conseil de l’Europe de 2014 vise à réduire la violence à l’égard des femmes, en particulier la violence domestique, et à renforcer l’égalité des sexes. La Turquie a été le premier pays à signer le traité et le faire inscrire dans la loi en tant que « loi pour la prévention de la violence à l’égard des femmes et la protection de la famille ».
 
La Convention d’Istanbul…
 
Cependant, les forces religieuses particulièrement orthodoxes craignent que le traité ne mette en danger les traditions et les coutumes turques, ce qui aurait pour conséquence de torpiller publiquement l’accord. Ebru Asilturk, représentante des femmes du parti conservateur islamique Saadet, a fait entendre sa voix dans l’opposition. Dans un article publié par le journal conservateur « Milli », elle a décrit l’accord comme « l’explosion du cœur de la famille ». Le contrat met en danger « l’intégrité financière et morale de la famille ». Le traité entre en collision avec l’article 41 de la constitution, qui établit légalement la « protection de l’unité de la famille ». La résiliation du traité est « la seule solution », a conclu Asilturk.
 

 

Une déclaration à la force explosive : pendant des jours, un éventuel retrait de la Convention d’Istanbul a dominé l’arène publique en Turquie. Sur les médias sociaux, opposants et partisans se battent pour la souveraineté de l’interprétation. La polémique est en plein essor sur Twitter. Dans une caricature particulièrement populaire, la Convention d’Istanbul est assimilée à la conquête de Constantinople en 1453. Cette fois, cependant, le conquérant est représenté comme l’Oncle Sam, et la convention comme une tentative d’infiltration de la Turquie par l’Occident.

La famille comme « construction inébranlable »

Canan Arin, fondatrice d’une association pour la protection des femmes, ne comprend pas pourquoi la Convention d’Istanbul devrait mettre en danger l’intégrité de la famille. « Qu’est-ce que cela signifie, la famille est-elle sacrée ? La famille est-elle une construction inébranlable où la femme est écrasée comme une serpillière tous les jours, utilisée comme une machine à accoucher (…) et comme un moyen de gratification sexuelle ? » Arin souligne que l’accord n’est là que pour protéger les femmes contre la violence. Elle ne comprend pas en quoi cela pourrait être un problème.

Canan Kalsin est présidente de la Commission pour l’égalité des genres au Parlement turc. La politicienne souligne que certains critiques tentent intentionnellement de présenter la Convention d’Istanbul sous un mauvais jour. « Elle vise à protéger les victimes de la violence. Malheureusement, il y a ceux qui ne veulent pas l’accepter. La population doit être davantage sensibilisée à la question » a-t-elle déclaré. « Nous avons toujours essayé d’expliquer la pertinence de la Convention d’Istanbul et nous continuerons à le faire », a affirmé la politicienne membre de l’AKP.

Absence de mise en œuvre

Les activistes des droits des femmes critiquent le fait que la mise en œuvre de la convention a également été déficiente. Bien que les pays signataires se soient engagés à créer des conditions-cadres, les normes juridiques de la Convention d’Istanbul ne sont pas appliquées dans la pratique. Les services d’aide et de protection prévus pour les femmes n’ont pas non plus été mis en œuvre. La violence et la discrimination à l’égard des femmes ne peuvent toutefois être évitées que si le pouvoir judiciaire et les forces de l’ordre sont également prêts à mettre en œuvre la convention, déclare Canan Gullu, présidente de l’organisation d’aide aux femmes Kadin Dernekleri Federasyonu. Elle estime que le manque de mise en œuvre est également lié à la politique du parti AKP. « Il faut voir les choses dans leur ensemble : si vous appliquiez la convention dans la pratique, il y aurait une résistance dans les rangs du parti au pouvoir », ajoute-t-elle.

Certains membres de l’AKP acceptent la Convention d’Istanbul. Mais jusqu’à présent, il n’y a pas de volonté politique de combattre la violence contre les femmes sur le long terme : lorsque quelques 2 000 femmes se sont rassemblées à Istanbul le 25 novembre 2019 pour marquer la Journée internationale contre la violence à l’égard des femmes et ont protesté contre le féminicide, entre autres, la police a dispersé le rassemblement avec des gaz lacrymogènes et des balles en plastique.

Une proposition du HDP, parti de gauche « pro-kurde », visant à créer une commission parlementaire pour enquêter sur la violence contre les femmes a été rejetée par le parti au pouvoir et le MHP, parti ultra-nationaliste, en novembre dernier.

Article publié en anglais ici