Texte écrit par Giran Ozcan, le représentant du Parti démocratique des peuples (HDP) aux États-Unis :
Tant que la Turquie sera en guerre avec le PKK, cette guerre ne sera pas confinée aux frontières de la Turquie. C’est une situation qui menace la stabilité et la sécurité des partenaires et alliés américains en Syrie et en Irak.
Cette semaine, le conseiller américain à la Sécurité nationale, John Bolton, a déclaré que les militaires américains ne quitteraient pas la Syrie tant qu’un accord n’aurait pas été conclu en Turquie pour protéger les Kurdes syriens. À un moment où la politique américaine dans cette région change de jour en jour, la véracité de sa déclaration est incertaine – mais le président turc Erdogan l’a considérée comme une déclaration de guerre, refusant de rencontrer Bolton et menaçant que les forces turques puissent pénétrer dans la Syrie « dès la fin de la réunion. »
Qu’une simple offre de protection pour les forces qui ont formé les alliés les plus efficaces des États-Unis contre l’Etat islamique suscite une telle réponse montre à quel point les deux pays ont divergé, même si les responsables turcs considèrent le retrait promis comme une étape positive. Cela met également en lumière une réalité qui dérange: Erdogan n’intervient en Syrie que pour attaquer le gouvernement autonome kurde et consolider le soutien interne [en Turquie].
Erdogan affirme que son combat en Syrie ne concerne pas le peuple kurde, mais le «terrorisme» – une affirmation que les Kurdes en Turquie connaissent trop bien. La guerre contre le terrorisme menée par le gouvernement AKP a toujours été une guerre contre la participation politique kurde démocratique, laissant des dizaines d’élus emprisonnés, des milliers d’électeurs privés de leurs droits et des millions d’hommes, de femmes et d’enfants ayant peur de parler publiquement leur langue maternelle par peur des violences. Entre-temps, ce même gouvernement a fermé les yeux sur les groupes terroristes qui menacent la Turquie, la Syrie et le monde.
Mon parti, le HDP, a été confronté à ce double standard. Dix de nos députés élus, dont l’ancien co-président du HDP, Selahattin Demirtaş, sont actuellement incarcérés pour des accusations fabriquées, accusés de terrorisme pour des déclarations soutenant les négociations de paix entre la Turquie et le PKK qui ont eu lieu entre 2013 et 2015. L’attaque la plus dévastatrice de l’Etat islamique dans l’histoire turque, a ciblé un rassemblement de la paix de 2015 auquel nous avons participé. Cette tragédie a eu lieu un an avant l’intervention officielle des forces turques contre l’Etat islamique à Al-Bab et à Jarablus, lorsque les combattants islamistes utilisaient toujours le pays [Turquie] comme «base arrière» pour leurs opérations contre le régime syrien.
La menace d’intervention d’Erdogan dans le nord-est de la Syrie serait une répétition de ce schéma: des attaques contre les institutions pluralistes et démocratiques de la région, aux dépens de la lutte mondiale contre les groupes terroristes qui nous menacent tous. Un tel résultat sera désastreux pour la Syrie, la Turquie ou la communauté internationale dans son ensemble.
Traiter la paix en Turquie et la paix en Syrie comme des initiatives séparées, comme cela a été la politique américaine, condamnera les deux processus à l’échec. Tant que la Turquie sera en guerre avec le PKK, cette guerre ne sera pas confinée à ses frontières – une situation qui menace la stabilité et la sécurité des partenaires et des alliés des États-Unis en Syrie et en Irak. La dernière série de négociations de paix a été soutenue par 81% de la population turque et a abouti à un cessez-le-feu de deux ans – au cours duquel les troupes turques ont même pu mener à bien une opération conjointe avec le même YPG qu’Erdogan cherche maintenant à éradiquer.
Les États-Unis ont des options pour empêcher la menace d’intervention d’Erdogan – et pour œuvrer en faveur d’un modèle plus durable des relations américano-turques. Pour ce faire, ils doivent cesser de formuler leurs politiques par des déclarations et définir une stratégie claire pour la Turquie et pour la Syrie, qui protège la démocratie et soutient les initiatives de paix prises localement. Cette stratégie doit reconnaître que les deux conflits – le combat des Turcs contre les Kurdes en Turquie et en Syrie – sont liés et que l’un ne peut être résolu sans l’autre. Ils doivent également reconnaître les forces démocratiques en Turquie qui se sont opposées à la politique étrangère déstabilisante d’Erdogan et ont appelé à la paix à grands frais.
Malgré les avantages manifestes du cessez-le-feu de deux ans entre le PKK et le gouvernement turc – pour les Turcs comme pour les Kurdes – ce processus a échoué en partie car aucune tierce partie n’a investi dans son succès. Les responsables américains ont toujours un poids considérable sur leurs alliés turcs et les dirigeants du PKK ont lancé plusieurs appels à la médiation américaine. Aucun autre pays n’est aussi bien placé que les États-Unis pour investir dans la paix – et les gains pour la stabilité régionale et la crédibilité internationale bénéficieraient aux États-Unis.
Pour ce faire, les États-Unis doivent soutenir les citoyens turcs qui ont toujours revendiqué cette exigence, malgré une répression importante les visant. La pression américaine a déjà libéré des prisonniers politiques du monde entier. Son soutien aux élus, démis de leurs fonctions et incarcérés pour avoir servi leurs électeurs pourrait largement aider le gouvernement de l’AKP à montrer que le monde est déterminé à soutenir la paix et à s’opposer à la répression. Un gouvernement turc plus pluraliste et démocratique est un meilleur voisin et un meilleur allié, ce que les pouvoirs régionaux et internationaux pourraient facilement soutenir.
À l’heure actuelle, les États-Unis ont le choix entre prolonger deux guerres ou y mettre fin. Dans l’intérêt de la démocratie et de la paix, le Moyen-Orient et le monde leur conseillent de choisir judicieusement.
Traduit de l’anglais par Kurdistan au féminin
Photo : Dilbirin Remo