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« En Turquie, il y a des milliers de Demirtas en prison »

Maître Esra Erin s’est adressée aux députés de la Gauche Unitaire européenne (GUE-NGL) lors de la réunion du groupe politique au Parlement européen le 5 décembre 2018.

Me Esra Erin : « Je ne suis que l’une des avocats de Selahattin Demirtas parmi d’autres. Nous avons constitué une véritable armée de 1500 avocats volontaires pour le défendre.

Je suis en outre chargée des relations publiques et des affaires médiatiques de Demirtas.

Après avoir résumé la situation juridique et donné les dernières précisions relatives à sa situation, j’expliquerai qu’en Turquie, il y a en réalité des milliers de Demirtas en prison.

Comme on le sait, Selahattin Demirtas a été arrêté à son domicile dans la nuit du 4 novembre 2016 et placé en garde à vue.

Il a ensuite été mis en détention, accusé d’avoir prononcé des discours durant son mandat garantissant pourtant l’irresponsabilité parlementaire. Il a ensuite été envoyé en exil intérieur vers la prison de haute sécurité d’Edirne située à 1500 km de sa famille.

Dans la pratique de l’application de la peine en Turquie, nous sommes souvent confrontés à une procédure d’éloignement qui condamne le détenu à vivre loin de sa famille. Cette mesure est un mécanisme appliqué sans exception dans les affaires politiques et vise essentiellement à user moralement le prisonnier.

Comme vous le savez, il y a une double violation, d’abord concernant la détention de Selahattin Demirtas, celle de l’article 5 alinéa 3 de la CEDH (arrêt du 20 novembre 2018) garantissant la liberté et la sécurité de la personne et deuxièmement, concernant son rôle de député et de co-président d’un parti d’opposition, celle de l’article 3 du Protocole additionnel n°1 relatif au droit à des élections libres. Mais cette double violation ne se limite pas à ses deux sujets. Elle vise aussi les électeurs qu’il a représentés lors du référendum constitutionnel et du scrutin présidentiel. Sa privation de liberté l’a empêché de participer aux activités de la Grande Assemblée Nationale de Turquie (TBMM).

Enfin, tenant compte de la situation politique générale qui prévaut en Turquie, la Cour (européenne des droits de l’homme, NDT) a établi que la détention de Demirtas et la restriction de ses droits a pour raison première la volonté du pouvoir d’étouffer le pluralisme et réduire les libertés relatives au débat politique et que par conséquent, les menaces ne visent pas uniquement les droits et libertés de Demirtas mais tout le système démocratique. Elle a conclu à une violation de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l’homme et a ordonné la libération immédiate de Demirtas.

Malgré cette décision, le président de ce pays a déclaré : «Les décisions de la CEDH ne nous contraignent aucunement. Nous ferons tout ce qu’il faut pour la prospérité de ce pays.»

Et nous avons malheureusement appris hier qu’une instance supérieure du tribunal qui traitait l’affaire des propos tenus par Selahattin Demirtas alors couvert par l’irresponsabilité parlementaire s’est prononcée de manière expéditive de sorte que sa détention provisoire soit commuée en condamnation définitive.

Sa peine de prison de 4 ans et 8 mois a ainsi été confirmée. Douze autres dossiers sont en suspens pour lesquels un total de près de 150 ans de prison sont requis.

L’arrêt de la CEDH prévoyait la libération immédiate (de Selahattin Demirtas) endéans les 15 jours mais le dossier en appel a été traité de manière prioritaire alors que celui-ci n’était pas encore au programme du calendrier judiciaire.

La confirmation en appel d’une telle condamnation illustre de manière cinglante le mépris du président de la République envers l’arrêt de la CEDH exprimée à travers la phrase « nous ferons le nécessaire ». Pour une juriste comme moi, cette décision me fait honte.

Telle est la situation de Selahattin Demirtas. Mais nous constatons comme je l’ai précisé plus haut, dans l’application de l’état d’urgence décrété au lendemain de la tentative de coup d’état du 15 juillet que le gouvernement tente de venir à bout de l’opposition avec des méthodes judiciaires et mène des opérations violentes contre la démocratie en Turquie créant ainsi un véritable « régime d’emprisonnement » (ou l’emprisonnement est la norme NDT).
D’après les chiffres qui nous sont parvenus, entre le 16 juillet 2016 et le 20 mars 2018, le nombre de personnes placées en détention est de 228.137. »
 

Esra Erin a été invitée par Marie-Christine Vergiat à s’exprimer devant les députés de la GUE/NGL le 5 décembre dernier.

Via eurocitoyenne.fr