AccueilKurdistanBakurHommage à Musa Anter

Hommage à Musa Anter

«Si ma langue maternelle secoue les fondations de votre Etat, cela signifie probablement que vous avez construit votre Etat sur mes terres.» Musa Anter, journaliste kurde persécuté pendant des décennies, a été tué par des hommes de l’Etat turc le 20 septembre 1992. Cela fait 26 ans que ce crime, comme des dizaines de milliers d’autres crimes dont sont victimes les Kurdes en Turquie, reste impuni.
 

Musa Anter, alias Ape Musa (littéralement «oncle Musa» en kurde), était un écrivain, journaliste et intellectuel kurde important qui a été assassiné par le JITEM* turc en septembre 1992.

«Musa Anter, explique Me Jacoby, est un écrivain et un journaliste kurde de grande renommée qui ne peut absolument pas passer pour un extrémiste. Il était à Diyarbakir pour assister au Festival des trois cultures. On est venu le chercher à son hôtel sous prétexte d’un rendez-vous avec les acheteurs d’un terrain qu’il possédait dans la région et qu’il désirait vendre. Un ami, journaliste lui aussi, l’accompagnait. On les a emmenés en voiture dans le nord de la ville où ils ont été abattus. Musa Anter est mort et son ami, Orhan Miroglu, a été très grièvement blessé. Trois journalistes du journal local, «Diyarbakir aujourd’hui», alertés par téléphone par la police, se sont dirigés vers le lieu du crime. Ils ont croisé une ambulance, dont le chauffeur leur a conseillé de faire demi-tour, puis une voiture dont ils ont relevé le numéro et qui les a fait stopper. Il y avait à bord trois hommes en civil armés jusqu’aux dents. Ces hommes les ont braqués, puis deux d’entre eux sont monté dans leur voiture et les ont contraints, sous la menace de leurs armes, à suivre l’autre véhicule. Ils ont ainsi parcouru plus de 70 kilomètres en franchissant de multiples barrages de police qui laissaient passer les voitures sans problème. Les trois journalistes ont été tabassés et interrogés sans relâche; puis après avoir pris des consignes par talkie-walkie, leurs bourreaux les ont abandonnés sur le bord d’un chemin. Ils ont eu la vie sauve parce que le rédacteur en chef de leur journal est un ami très proche du super-préfet de la région.»

 
Car les trois braqueurs étaient évidemment des flics et la voiture, vérification faite grâce au numéro minéralogique, appartenait à la police. Il est clair que si les journalistes avaient travaillé pour le journal «Ozgur Gundem», comme Musa Anter et la plupart de leurs confrères assassinés, ils n’auraient pas eu le loisir de venir raconter leur histoire. Ils l’ont d’ailleurs fait, précise Me Jacoby, contre l’avis de leur rédacteur en chef, qui s’est contenté de publier le lendemain un appel aux autorités militaires pour qu’elles protègent ses journalistes. «Ce qui était le plus poignant, dit-elle, c’est que ces hommes, comme les autres témoins qui sont venus nous parler, nous disaient en partant qu’ils n’étaient pas sûrs d’être encore en vie le lendemain. Même les journalistes étrangers n’osent pas rester plus de quelques heures dans la région de peur d’un mauvais coup. Le stade de la torture et des arrestations arbitraires est largement dépassé. On en est à celui des escadrons de la mort.»
 

Dans l’Humanité datant du septembre 1992.

*JİTEM : Organisation de renseignement de gendarmerie turque – Jandarma İstihbarat ve Terörle Mücadele ou Jandarma İstihbarat Teşkilatı (JİTEM). Actif fin dans les années 1980.