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Selahattin Demirtas : « Alors que l’AKP s’effondre »

TURQUIE – L’ancien co-président d’HDP, Selahattin Demirtaş, a écrit un article sur le processus électoral du 24 juin et l’effondrement de l’AKP, le parti au pouvoir en Turquie, depuis la prison d’Edirne où il est tenu en otage. Demirtas est candidat pour la présidence turque lors des élections du 24 juin prochain.

Voici l’article de Demirtas :

L’arène politique est secouée par divers mouvements tactiques à l’approche des élections anticipées du 24 juin. Le seuil de 50% apporté par l’AKP lui-même et la loi sur les alliances semble être devenu un cauchemar pour le bloc fasciste de l’AKP-MHP.

 
Si l’opposition parvient à s’entendre sur un arrangement de principe, nous pourrions assister à la fin «tragique» de l’AKP. Même si la chute de l’AKP ne signifie pas que la démocratie la remplacera automatiquement, il pourrait y avoir de nouveaux motifs de lutte pour la démocratie et il pourrait y avoir des sauts vers les libertés avec des mouvements corrects des forces de la démocratie.
 
Alors que l’AKP et ses dirigeants approchent de la fin de leur vie, ils continuent à faire de plus grandes erreurs. L’AKP a, en essayant de tordre la main que le peuple kurde lui a offert pour la paix, plutôt que de l’embrasser, [préparé] le début de la fin pour l’AKP. Le tournant décisif fut le déni et le rejet de l’Accord de Dolmabahçe. Ce qui a suivi n’est une nouvelle pour personne.
 
Je regarde avec étonnement comment certains continuent d’écrire que le chef de l’AKP est un génie politique et a porté sa ligne politique de victoire en victoire avec les mouvements intelligents ultimes. La ligne islamiste politique qui s’est développée après 1940, principalement basée en Egypte, a obtenu sa victoire la plus concrète en 2002 en Turquie lorsque l’AKP a accédé au pouvoir. Quelle était la nature exacte de la victoire de la ligne politique de l’Islam, visant à faire de l’Islam un sujet dans la vie sociale et publique à nouveau après 300 ans d’Islam, méprisé et opprimé face au développement capitaliste, réalisé en la personne de l’AKP, je me le demande. En regardant avec un objectif, on peut voir que même l’Islam culturel s’est détérioré et a dégénéré en son temps, sans parler de la construction de l’Islam politique.
 
Actuellement, l’AKP et ses dirigeants sont considérés dans la communauté islamique comme « les hommes qui ont vendu la cause ». On sait depuis longtemps qu’un leadership qui permet le profit, le vol, la corruption, l’oppression, l’injustice et l’effondrement moral de leur pouvoir personnel ne peut pas créer un leadership pour un nouveau système social.
 
Ainsi, toutes les victoires électorales de l’AKP se sont transformées en une victoire de Pirsus: elles ont continué à perdre « la cause » alors qu’elles continuaient à gagner le pouvoir. C’est une défaite très tragique pour les islamistes. Le leader de l’AKP a récemment déclaré lors d’une réunion avec son organisation de jeunesse, admettant la défaite :  » Nous sommes au pouvoir depuis 15 ans, mais nous n’avons pas l’hégémonie culturelle. »
 
Malheur aux islamistes politiques qui ont investi de si longues décennies dans le leader de l’AKP. Cette page a tournée pour le moment. Regardons ce que nous pouvons faire nous-mêmes.
 
Juste parce que l’AKP et les islamistes politiques ont connu une profonde défaite idéologique, allons-nous laisser les peuples musulmans seuls et abandonnés face à la modernité capitaliste ? Ce ne serait pas acceptable moralement, historiquement ou politiquement. La perspective de l’Islam démocratique soulignée par M. Öcalan à maintes reprises devrait à nouveau être inspectée avec sérieux et mise en pratique.
 
Alors que la modernité capitaliste attaque toutes les valeurs sociétales, les groupes socialistes et de gauche restent silencieux face aux attaques contre les valeurs, le mode de vie, la culture et la dignité des peuples musulmans en raison du sentiment anti-politique islamiste.
 
Ceux qui devraient le plus embrasser la liberté de croyance sont les gauchistes. Une gauche qui ne respecte pas les valeurs d’un peuple pour lequel elle lutte, et qui ne prend pas la responsabilité de la protéger contre les attaques, ne peut pas être libertaire.
 
Ce à quoi l’AKP et d’autres tendances fascistes de droite s’appuient le plus, c’est la vulnérabilité et la faiblesse de la gauche à cet égard. Maintenant, alors que l’AKP s’effondre, il est temps de traiter la question d’un point de vue libertaire plutôt que de laisser la zone au fascisme de droite sous le titre de croyance et de vie sociale.
 
Les travaux électoraux offrent une opportunité significative de rendre ce cours libertaire visible et de le mettre en pratique. Dans le cas contraire, même si la mentalité d’AKP est envoyée à la poubelle de l’histoire, une tendance de droite la remplacera très bientôt. Vu l’importance, la gravité et l’urgence de cette question, les cadres de gauche du mouvement kurde et les mouvements révolutionnaires turcs devraient descendre dans la rue et montrer en pratique qu’ils ne sont pas loin d’embrasser les libertés fondamentales de la lutte des classes.
 
Cela devrait être fait en mettant fin au fait que la religion le bâton du gouvernement et en ouvrant un espace de liberté pour les individus sans tomber dans l’erreur d’orientation vers la droite, et sans poursuivre l’objectif de diriger et de façonner l’Islam.
 
Aucun mouvement de gauche qui n’a pas son mot à dire et une action sur cette question en Turquie, au Kurdistan et au Moyen-Orient n’a de chance de popularisation et de succès. Comme les élections offrent de nouvelles opportunités à bien des égards, cette question ne doit pas être contournée.
 
Je transmets mes salutations les plus sincères, mon amour et mes vœux de réussite à tous nos cadres, à notre peuple et à nos amis.
 
Selahattin Demirtaş
 
Prison d’Edirne