SYRIE / ROJAVA – A l’occasion du premier anniversaire de la prise du pouvoir en Syrie par l’islamiste al-Sharaa (Jolani), l’agence kurde ANHA rappelle que les femmes syriennes vivent dans l’insécurité totale tandis que leurs droits sont bafoués et qu’elles sont mises au ban de la société. Mais la résistance féminine s’organise, comme on l’a vue dans la région druze de Soueïda récemment.
Après la prise du pouvoir par al-Shara (leader du groupe Hayat Tahrir al-Cham, HTC ou HTS) il y a un an, la Syrie est entrée dans une phase de transition tumultueuse, rapidement marquée par le chaos et une escalade de la violence. Dans ce contexte, les femmes se sont retrouvées au cœur du conflit, leurs corps étant parfois instrumentalisés comme moyens de pression et de négociation dans les nouveaux rapports de force.
Depuis le changement de pouvoir du 8 décembre, la Syrie a connu une augmentation significative des meurtres, des enlèvements, des violences domestiques et sociales, ainsi que des attaques contre les femmes dans les zones de conflits sectaires et politiques.
Des centaines de femmes, dont des mineures, ont déjà été tuées, et des dizaines d’autres sont toujours portées disparues dans des circonstances mystérieuses. Parallèlement, la participation des femmes à la vie publique et politique a nettement diminué, sous l’effet de politiques officielles qui restreignent leurs libertés et les cantonnent à une sphère symbolique, loin de tout pouvoir de décision.
Ce rapport vise à mettre en lumière les conditions difficiles auxquelles sont confrontées les femmes dans les zones sous le contrôle du gouvernement de transition, en recensant le nombre de meurtres et d’enlèvements, les lieux de criminalité et les dimensions de la violence sociale et politique, en plus d’analyser le statut des femmes dans les institutions officielles et leur participation à la prise de décision, dans un environnement de transition dangereux qui n’offre pas une protection adéquate de leurs droits.
Femmes syriennes entre meurtre et disparition… Chiffres et images tragiques
Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de transition en Syrie, 650 femmes ont été tuées, dont 29 filles, dans des crimes aux causes variées, allant des explosions dues aux restes de la guerre et aux tirs aléatoires, aux assassinats ciblés à caractère vengeur ou sectaire, en plus des meurtres résultant de violences domestiques et sociales.
Et les crimes contre les femmes étaient concentrés dans les villes sous le contrôle du gouvernement de transition, telles qu’Alep, Damas, Homs, Hama, la campagne de Damas, Daraa, Tartous, Quneitra, Lattaquié, Soueïda et une partie de Deir ez-Zor sous son contrôle.
Meurtre
Alep : 31 femmes, dont 2 filles. Damas : 14 femmes, dont une fille. Homs : 34 femmes, dont 8 filles. Hama : 36 femmes, dont 3 filles. Daraa : 23 femmes, dont 5 filles. Tartous : 48 femmes, dont 5 jeunes filles, ont été exécutées sur place. Lattaquié : 16 femmes. Deir ez-Zor : 28 femmes, dont deux enfants. En Soueïda, 34 femmes ont été tuées, dont deux enfants. Dans la campagne de Damas, 29 femmes ont été tuées, dont un enfant.
Outre les 127 femmes exécutées sur le terrain par des groupes armés affiliés au ministère de l’Intérieur du gouvernement de transition, selon des documents de l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
Lors des événements survenus sur la côte, le Réseau syrien pour les droits de l’homme a recensé le meurtre de 100 femmes, dont des enfants et des jeunes filles, et lors des événements de Sweida, de 130 femmes, dont des jeunes filles.
Enlèvement et disparition
Depuis février 2025, des informations font état d’une vague d’enlèvements de femmes alaouites dans des zones sensibles de conflit sectaire, comme Homs et sa campagne, puis la campagne de Hama et la côte syrienne. Ces actes sont motivés par des considérations sectaires et des intérêts politiques, les femmes étant instrumentalisées à des fins d’extorsion et de domination. Ces opérations se sont intensifiées après les massacres sanglants qui ont touché les Alaouites sur la côte syrienne début mars de l’année dernière et se poursuivent encore aujourd’hui.
En juillet de l’année dernière, une nouvelle vague d’enlèvements a débuté avec le kidnapping de femmes druzes suite à une attaque menée par les forces de l’autorité de transition et leurs groupes affiliés à Swedia. Depuis, le sort de ces femmes, dont le nombre s’élève à une centaine, demeure inconnu.
Selon Amnesty International et la plateforme « Halte aux enlèvements de femmes syriennes », au moins 36 femmes et jeunes filles alaouites, âgées de 3 à 40 ans, ont été enlevées par des inconnus à Lattaquié, Tartous, Homs et Hama depuis février 2025.
Parmi ces cas, huit enlèvements ont été documentés en plein jour, impliquant cinq femmes et trois filles de moins de dix-huit ans, alors que les forces de sécurité n’ont pas mené de véritables enquêtes ni déterminé les lieux de détention.
Dans le sud de la Syrie, des sources locales à Soueïda font état de la disparition de 65 femmes depuis le début de l’année. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a également recensé la disparition ou l’enlèvement de 97 personnes, dont des femmes, depuis janvier, tout en soulignant la difficulté à confirmer ces chiffres avec précision faute d’informations.
Exclusion des femmes des véritables espaces de prise de décision
Depuis l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités en Syrie et l’entrée dans une phase de transition tumultueuse, le pays a connu un climat de chaos et d’escalade de la violence.
Dans ce contexte, les espoirs des Syriens de construire un État fondé sur le droit et la justice étaient grands, mais les femmes se sont retrouvées au cœur du conflit, où leurs corps étaient parfois utilisés comme outils de pression et de négociation dans les nouveaux rapports de force.
Cette phase a été marquée par une nette marginalisation du mouvement féministe, avec le rejet des revendications les plus élémentaires des femmes et le refus d’adopter des concepts tels que la démocratie ou les accords internationaux sur les droits des femmes. Des restrictions sociales strictes ont été imposées, comme le port du hijab ou du niqab, et la ségrégation des sexes dans les universités et les transports publics.
Alors que les femmes syriennes ont perdu d’importantes fonctions de direction, notamment le poste de vice-présidente, plusieurs sièges ministériels et des postes à responsabilité au sein de l’Assemblée populaire et des administrations publiques, il est devenu rare qu’une femme occupe le poste de directrice générale ou de vice-ministre, en l’absence d’un soutien institutionnel et législatif suffisant pour garantir leur participation effective à la vie publique.
Les données du Bureau central des statistiques indiquent que le nombre de femmes en Syrie est estimé à environ 11,88 millions pour l’année 2024. Cependant, la représentation féminine reste limitée et timide, certaines femmes ayant obtenu des sièges par le biais de ce que l’on appelle le « Bureau des affaires féminines », tandis que d’autres militantes continuent de réclamer discrètement une protection contre la violence et les enlèvements.
Malgré les appels à la mise en place de quotas de femmes pour garantir une représentation équitable, la réalité des stéréotypes sociaux et politiques liés au rôle des femmes persiste, même après des réformes systémiques. Actuellement, la seule femme ministre, Hind Qabwat, occupe le poste de ministre des Affaires sociales et du Travail, ce qui représente un taux de représentation de seulement 5 %, contre 22 ministres hommes. Or, les normes internationales préconisent une représentation d’au moins 30 % pour les femmes, ce qui souligne la faible participation des Syriennes à la vie politique et aux instances décisionnelles.

Activité des femmes
Les activités des femmes se sont limitées à des initiatives individuelles et à des dénonciations personnelles de violations, en dehors de toute coalition ou organisation générale. À Soueïda, la création du « Mouvement des femmes libres de Bashan » a été annoncée le 22 novembre dernier. Ce mouvement vise à renforcer la participation des femmes à la société, à défendre leurs droits et à les autonomiser, en accordant une attention particulière à la question des femmes enlevées et au travail communautaire.
Le « Mouvement des femmes libres de Bashan » est la première organisation de femmes à avoir été créée à Soueïda, suite aux souffrances, aux violations et aux injustices subies par les femmes au cours de la période précédente, notamment lors des événements sanglants de juillet.
Dans un geste sans précédent dans le sud de la Syrie, Soueïda a vu la création d’une armée féminine de plus de 500 femmes, destinée à renforcer les capacités d’autodéfense de la ville face à l’instabilité sécuritaire. Originaires de différentes villes et villages de Soueïda, elles ont été entraînées dans quatre zones principales : Shaqqa, Shahba, Qrayya et Malh.
La formation comprenait les bases militaires, l’autodéfense, les premiers secours et l’utilisation d’armes légères, en plus du développement de la condition physique et de la discipline personnelle. (ANHA)