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SYRIE. Les femmes sont en proie à la violence et au chaos

SYRIE – L’avocate et défenseure des droits humains, Shrouq Abu Zeidan déclare à l’agence kurde ANHA que les femmes sont en proie à la violence et au chaos à travers la Syrie.

L’avocate et militante des droits civiques Shrouq Abu Zeidan a affirmé que les femmes en Syrie demeurent le groupe le plus vulnérable face à la violence et au chaos persistants. Elle a souligné que les violations dont elles sont victimes vont des enlèvements et des meurtres à la marginalisation des instances décisionnelles. Elle a ajouté que l’absence d’un pouvoir judiciaire indépendant et l’application de lois bafouant les principes des droits humains contribuent à l’escalade de la violence à l’égard des femmes et empêchent que justice soit rendue.

Les Syrien·nes, et notamment les femmes, vivent dans un contexte de violence et de chaos où les violations des droits humains se multiplient : enlèvements, meurtres et marginalisation politique et sociale. Suite à la chute du régime précédent et au bouleversement des rapports de force, les femmes demeurent les plus vulnérables dans ce cycle de conflit, en l’absence d’un système judiciaire indépendant et de lois efficaces garantissant leur protection.

Dans ce contexte, notre agence (ANHA) a mené un entretien avec Shrouq Abu Zeidan, avocate, militante des droits civiques et directrice exécutive de l’équipe Peace Pathways en Suède. Elle a dressé un bilan de l’action du gouvernement de transition syrien et analysé la législation en vigueur ainsi que son efficacité dans la lutte contre les violences et les discriminations faites aux femmes. Cet entretien a eu lieu à l’approche de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, célébrée chaque année le 25 novembre.

Voici la transcription de l’entretien : Les régions syriennes sont le théâtre de violences croissantes et persistantes à l’encontre des femmes. Comment décririez-vous la situation générale des droits des femmes en Syrie aujourd’hui ?

Pour commencer, il est impossible d’aborder la question des droits des femmes indépendamment de celle des droits de l’ensemble de la population syrienne, compte tenu notamment de la violence persistante, de l’escalade du conflit et des nombreuses violations. Or, au vu de la situation actuelle, je crois que nous constatons toujours un recul des droits et libertés des femmes. Aucun progrès n’a été réalisé dans ce domaine. Les violations à l’encontre des femmes continuent d’être perpétrées de manière directe et systématique. De nombreux cas d’enlèvements et de meurtres de centaines de femmes ont été documentés, tant dans la région côtière qu’en Swedia. Cela confirme que la situation des droits humains en général, et celle des droits des femmes en particulier, n’ont pas progressé en Syrie, et il est peu probable qu’elle évolue si le conflit et les violations perpétrées par le gouvernement actuel persistent. Nous le constatons notamment par la faible représentation des femmes aux postes de décision, qui est quasi inexistante. Dans chaque comité, organe ou instance, on trouve parfois une ou deux femmes, voire aucune. La représentation des femmes à ces postes est loin d’être satisfaisante.

D’après vos observations, constatez-vous un changement dans la réalité des femmes après la chute du régime baasiste, ou la violence s’est-elle simplement reproduite sous de nouvelles formes ?

Le cycle de violence n’a pas changé ; il s’est au contraire manifesté sous des formes nouvelles, diverses, plus brutales et plus odieuses. Aujourd’hui, après la chute de l’ancien régime, nous assistons à une violence systématique, comme je l’ai mentionné précédemment, et à de graves violations de valeurs, de droits et de conventions, notamment le génocide perpétré contre certains groupes, ainsi que les enlèvements et les agressions de femmes lors d’attaques menées par les forces de sécurité générale et les milices al-Julani sur les régions côtières et de Swedia. Les femmes sont utilisées comme armes de guerre, soumises à diverses formes de violence et instrumentalisées pour humilier et dégrader leurs communautés.

Pourquoi les femmes constituent-elles le maillon faible du cycle des conflits, malgré l’évolution des pouvoirs en présence ?

Les femmes demeurent le maillon faible tant que le système juridique et législatif ne préserve et ne protège pas tous leurs droits, ni ne promeut le principe d’égalité pour tous. En effet, nous gouvernons au nom de la religion et de ses préceptes, au lieu de nous conformer au droit international et à la Charte des droits de l’homme. Ces derniers sont même instrumentalisés pour exercer des pressions sur les communautés et les individus.

Comment évaluez-vous l’action du gouvernement de transition concernant les crimes documentés contre les femmes ? Peut-on parler d’une véritable volonté de responsabilisation ?

On ne peut évaluer des performances qui n’existent pas. Le gouvernement continue de nier tous ses crimes, ainsi que ceux commis par ses forces affiliées ou d’autres forces sur le sol syrien, y compris les crimes contre les femmes. Même ses commissions d’enquête officielles publient des rapports niant tous les crimes systématiques et flagrants perpétrés contre les femmes. Par conséquent, je ne constate aucune réelle volonté de traduire en justice les auteurs de violations et de crimes, car le gouvernement ne s’y est jamais efforcé jusqu’à présent et, comme je l’ai dit, il nie tous les crimes commis.

Quel est l’impact de l’absence d’un pouvoir judiciaire indépendant sur l’escalade des crimes contre les femmes ?

Toutes les régions subissent encore un chaos juridique et judiciaire suite à la chute du régime et à la prise de contrôle du pouvoir judiciaire par des cheikhs, en lieu et place des anciens juges. De ce fait, le système judiciaire actuel est partial et ne garantit ni l’égalité ni la justice (lorsqu’il existe des procédures judiciaires). L’absence d’un système judiciaire et de forces de l’ordre fonctionnels contribue ainsi à l’aggravation du chaos, de la criminalité et de l’impunité des auteurs de ces actes, les encourageant à persévérer dans leurs méfaits.

Croyez-vous que les lois syriennes, dans leur forme actuelle, soient capables de protéger les femmes contre la violence et la discrimination ?

Les lois actuelles ne permettent pas d’atteindre cet objectif car elles ne garantissent pas l’égalité des sexes et ne couvrent pas toutes les formes d’agressions et de crimes commis contre les femmes. De plus, elles n’ont pas été modifiées, alors que nous œuvrons et plaidons pour leur modification depuis de nombreuses années. Par conséquent, ces lois ne sont pas conformes au droit international des droits humains et n’intègrent pas les traités internationaux ni les résolutions du Conseil de sécurité relatifs aux femmes, à la paix et à la sécurité. Elles ne peuvent protéger les femmes contre la discrimination et la violence. (ANHA)