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Hommage Cihan Bilgin, journaliste kurde tuée par la Turquie

SYRIE / ROJAVA – Hier, les journalistes kurdes Nazim Daştan et Cihan Bilgin ont été tués par une frappe de drone turc alors qu’ils couvraient les attaques turco-jihadistes ciblant le Rojava. L’attaque s’est produite vers 15h20 heure locale (GMT+3), sur la route reliant le barrage de Tishrin à la ville de Sirin, dans la campagne est d’Alep. Daştan et Bilgin ont rejoint la longue caravane de journalistes kurdes tués par la Turquie pour empêcher qu’on dévoile au monde les crimes des occupants commis au Kurdistan divisés entre 4 États colonialistes.

Jihan Bilgin est la troisième femme journaliste tuée par une frappe de drone turc en 2024, après Gulistan Tara et Hêro Bahadîn tuée au Kurdistan d’Irak en août dernier.

Cihan Bilgin, journaliste kurde tuée lors d’une attaque turque près de Tichrine

Le site d’information ANHA (Hawar news) a rendu hommage à Cihan Bilgin dans l’article suivant:

On dit souvent que « chacun a une part de son nom », et notre collègue Cîhan (« monde » en kurde) a en effet gravé son nom dans l’histoire du peuple kurde, notamment dans la région du Nord et de l’Est de la Syrie, qu’elle a côtoyée de près. Il n’y a pas une ville qu’elle n’ait visitée, pas un dirigeant qu’elle n’ait interviewé, pas un commandant militaire avec lequel elle n’ait discuté. Elle est devenue une icône de la lutte pour la cause de son peuple.

îhan Muhammad Nesîn Bîlgîn a grandi dans une famille de la ville de Mêdyad dans la région de Mêrdîn au Kurdistan du Nord, à une époque où le mouvement de libération kurde atteignait son apogée dans tout le Kurdistan en 1996.

Cîhan a fait ses études primaires, secondaires et secondaires à Midyat, où elle était connue pour sa passion et son énergie. Elle a ensuite déménagé à Amed en 2013 pour étudier le droit. C’est là qu’elle a fait ses premiers pas dans la lutte du peuple kurde. En 2014, parallèlement à ses études de droit, elle s’est lancée dans le journalisme, en commençant par distribuer les journaux de la presse kurde, Özgür Gündem et Azadiya Welat.

Pour Cîhan, les trois années qu’elle a passées à distribuer des journaux ont été une forme de lutte pour la liberté et la démocratie. Ces journaux étaient très différents des médias turcs, qui ne servaient que les autorités, niaient l’existence des autres communautés et menaient une guerre médiatique intense contre le peuple kurde et ses combattants. Malgré le harcèlement sévère des autorités, notamment la fermeture d’Azadiya Welat à l’été 2016, Cîhan n’a pas baissé les bras.

En raison de la pression à laquelle elle a été confrontée et de son inspiration tirée de la révolution du 19 juillet 2012 dans le nord et l’est de la Syrie, Cîhan a déménagé au Rojava à la mi-2017 et a rejoint l’agence de presse Hawar.

Cîhan s’est distinguée par sa passion constante pour la croissance et son éthique de travail infatigable dans toutes les conditions. Elle a d’abord travaillé comme journaliste dans la région de Qamishlo, connue comme le centre politique des Kurdes du nord et de l’est de la Syrie. Elle a rapidement développé ses compétences, comprenant que le journalisme exigeait la construction d’un vaste réseau de contacts. Elle a travaillé sans relâche pour établir des liens entre les diverses communautés de la région, les Kurdes, les Arabes, les Syriaques, ainsi qu’avec des personnalités éminentes, des personnalités nationales, des partis politiques et des entités organisationnelles, tout en élargissant son réseau à travers le Kurdistan.

Son travail consistait principalement à mettre en lumière le système de torture et d’extermination imposé au leader kurde Abdullah Öcalan et les politiques pratiquées contre lui et le peuple kurde. Elle a également suivi de près les développements militaires et politiques.

Cîhan a participé à la campagne de libération de la ville de Raqqa de l’EI, bastion et capitale autoproclamée du groupe. Elle a déclaré un jour : « Ma participation à la campagne vise à mettre en lumière la lutte des Forces démocratiques syriennes et des Unités de protection des femmes pour libérer les femmes yézidies, vendues sur les marchés aux esclaves, et pour libérer le peuple de l’oppression de l’EI. »

Lors de sa couverture de la campagne de libération de Raqqa, Cîhan a attiré l’attention du monde entier sur la lutte extraordinaire des Forces démocratiques syriennes (FDS) et des Unités de protection des femmes (YPJ). Elle a mis en avant leurs valeurs humaines, en particulier lors de la libération des femmes de la tyrannie de l’EI. Elle estimait que la libération de chaque femme était un pas vers la construction d’une société démocratique fondée sur la liberté des femmes.

Cîhan était l’une des femmes journalistes les plus engagées dans la philosophie de la libération des femmes et de la nation démocratique. Elle considérait toute attaque contre une femme dans le monde comme une attaque contre toutes les femmes et a produit de nombreux reportages sur les crimes commis contre les femmes dans la région, au Kurdistan et dans le monde.

Ses progrès notables au sein de l’agence ANHA l’ont amenée à rejoindre le département des rapports spéciaux, qui exige des recherches et des enquêtes minutieuses. En peu de temps, elle a excellé dans ce département, produisant des dizaines de rapports et de dossiers sur les politiques coloniales de la Turquie contre les Kurdes, le traitement du leader Abdullah Öcalan et les subtilités de ces politiques. Elle s’est également concentrée sur les luttes des femmes et les politiques d’occupation de la Turquie contre les Kurdes.

Grâce à son travail, Cîhan a pu rencontrer la plupart des politiciens kurdes du Kurdistan et nouer des liens avec les mouvements féministes et démocratiques du monde entier. Elle a mené de nombreuses interviews, veillant à ce que la question kurde et le Kurdistan soient inscrits à l’ordre du jour de leurs programmes.

Connue pour son dévouement à suivre tous les développements et événements, Cîhan a documenté l’invasion de Girê Spî et Serê Kaniyê par la Turquie le 9 octobre 2019. Elle a exposé les massacres brutaux commis par la Turquie contre la population locale et a continué à produire des rapports mettant en évidence ces crimes.

Elle a également pris sur elle de couvrir les opérations menées par les forces de sécurité intérieure, les Forces démocratiques syriennes et les Unités de protection des femmes contre les cellules de l’EI dans la région, notamment dans le camp d’Al-Hol. Son objectif était de faire la lumière sur la brutalité de ces cellules qui cherchaient à déstabiliser le nord et l’est de la Syrie.

Cîhan aimait partager les histoires des habitants de la région. Elle avait un côté profondément émotif, notamment lorsqu’elle était témoin des tragédies vécues par le peuple kurde. Le 6 décembre, elle s’est rendue à Tabqa pour documenter les souffrances des personnes déplacées de force d’Afrin et de Shahba suite aux attaques turques du 29 novembre.

Suite à l’intensification des attaques turques contre Manbij, le pont de Qereqozaqê et le barrage de Tishrin au sud de Kobané, elle a cherché à mettre en lumière la résistance des combattants du Conseil militaire de Manbij et les luttes des femmes dans les rangs des Unités de protection des femmes. Sa dernière interview a été avec un commandant de première ligne, Roj Engîzek, dans la campagne de Kobané.

Cîhan est restée attachée à son travail jusqu’au bout. Le 19 décembre, à 15h20, alors qu’ils revenaient du barrage de Tishrin aux côtés de son collègue Nazim Dashatan, ils ont été visés par une frappe de drone turc sur la route Tishrin-Serrin, où tous deux ont atteint le martyre. Ils ont suivi les traces de pionniers des médias libres comme Mazlûm Dogan, Xelîl Dag, Gubetellî Ersûz, Mistefa Mihemed, Rizgar Deniz, Dilîşan Îbiş, Hogir Mohammed, Saad Ahmed et Issam Abdullah.

Tout au long de sa carrière au sein de l’agence ANHA, Cîhan Bîlgîn a incarné la résilience et la fierté. Elle considérait Gurbet Eli Ersöz, la fondatrice du média féminin kurde, comme son modèle et le feu journaliste Seyîd Evran comme sa source d’inspiration.

Cîhan, avec son beau sourire, a laissé derrière elle un immense héritage pour le journalisme kurde. Elle a tenu bon avec un dévouement et un engagement sans égal.

Comme le dit le dicton, « chacun a sa part de nom », et le nom de Cîhan reste gravé dans l’histoire de la région. Elle a visité chaque ville et y a laissé son empreinte, interviewé d’innombrables dirigeants et dialogué avec chaque commandant militaire qu’elle a rencontré.

Quelques mots de Cîhan Bîlgîn :

Ce qui m’a permis de persévérer dans mon travail, c’est de savoir que nous ne sommes pas seuls. Tout un peuple nous soutient, avec ses espoirs et ses rêves. Ces personnes sont confrontées à l’injustice et à l’oppression, et notre devoir premier est de mettre en lumière leurs luttes. C’est une mission honorable et fière de mettre en lumière leur juste cause.

Au cours de mon travail dans le nord et l’est de la Syrie, j’ai rencontré des gens incroyables. La terre du Rojava est très précieuse pour moi. On y trouve des gens que je connaissais de près, des gens dont on ne pouvait presque pas croiser le regard, et nous les avons enterrés dans cette terre. Des camarades comme Dilşan, Rizgar, Saad et bien d’autres.

C’est un grand honneur de travailler aux côtés de ces grands hommes. Mais surtout, nous avons fait la promesse à nos camarades de ne jamais abandonner leur chemin. Nous avons fait un vœu à Seyîd et au camarade Kuli.

Chers collègues, nous devons reconnaître les réalités sur le terrain, comprendre les politiques imposées au Kurdistan, documenter ce qui se passe et le partager avec le public mondial.

Nous devons dénoncer les crimes commis contre notre peuple et révéler au monde l’hypocrisie des colonisateurs qui occupent notre terre.