Aujourd’hui, la justice turque a abandonné l’affaire du meurtre de l’écrivain kurde Musa Anter par le JITEM turc en invoquant le délai de prescription afin de garder dans l’ombre tout un système qui était derrière des milliers d’enlèvements et d’exécutions dans les régions kurdes pendant les années 1990.
Reporters sans frontières (RSF) a exhorté les autorités judiciaires turques « à rendre justice dans l’affaire Anter, indépendamment de toute influence politique. »
Voici le communiqué de RSF:
La Turquie est sur le point d’offrir l’impunité aux auteurs du meurtre du journaliste Musa Anter. Lors de la dernière audience le 15 septembre, la cour a ajourné l’affaire au 21 septembre, soit exactement un jour après l’expiration du délai de prescription. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à agir contre les auteurs de ce crime odieux et souligne que le climat de la liberté de la presse en Turquie pâtirait encore davantage d’un dépassement du délai de prescription dans cette affaire.
“L’ajournement de l’affaire Musa Anter au 21 septembre, soit 24 heures après l’expiration du délai de prescription, est source d’une vive inquiétude. Alors que nous marquons le 30e anniversaire de ce crime odieux, un signal clair doit être envoyé : l’impunité ne sera pas tolérée pour les violences envers les journalistes. Nous appelons les autorités turques à agir immédiatement pour que les auteurs du meurtre de ce journaliste rendent des comptes, et pour considérer cette affaire comme un crime contre l’humanité, afin de supprimer le délai de prescription et de permettre à la justice d’être rendue, même à ce stade tardif. » Rebecca Vincent, Directrice des opérations et des campagnes de RSF
Dans l’affaire du célèbre intellectuel kurde et chroniqueur du journal Özgür Gündem, Musa Anter, abattu à Diyarbakır le 20 septembre 1992, le système judiciaire turc est sur le point d’offrir l’impunité aux auteurs d’un crime odieux – après 30 ans d’injustice. Alors que le délai de prescription devait être atteint le 20 septembre, la 6e Haute Cour pénale d’Ankara s’est abstenue de prendre toute décision lors de la dernière audience le 15 septembre, et a ajourné l’affaire au 21 septembre – un jour après l’expiration du délai de prescription.
Une justice sous influence politique
Dans le cas du meurtre de Musa Anter, le précédent délai de prescription avait déjà été contourné en 2012. Après 20 ans d’inaction, les autorités avaient sauvé l’affaire au dernier moment. Un geste envers le mouvement politique kurde au début des pourparlers de paix historiques avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Toutefois, le processus judiciaire s’était interrompu à l’arrêt des négociations de paix, en 2015.
Dans le procès en cours des 18 accusés, la cour reporte constamment la décision en raison de l’absence des déclarations d’Abdülkadir Aygan, un double agent ayant fui en Suède, et de Mahmut Yıldırım, ancien membre de l’Organisation de renseignement nationale, dont le sort est inconnu depuis 1996. En outre, l’ancien auxiliaire Hamit Yıldırım, le seul suspect à avoir été arrêté en 2012, a bénéficié d’une libération conditionnelle en juin 2017.
Bien que l’État turc ait reconnu son implication dans le meurtre de Musa Anter et exprimé des regrets en 1998, il est actuellement peu probable que justice soit rendue. Cette affaire est une indication concrète que le processus judiciaire en Turquie est sous influence politique, si l’on en juge à la fois par le calendrier des développements de l’enquête et par les retards.
RSF exhorte le système judiciaire turc à rendre justice dans l’affaire Anter, indépendamment de toute influence politique. En Turquie, où près de 40 journalistes ont été tués ou ont disparu depuis les années 1990, l’impunité pour les crimes contre les professionnels des médias reste d’une actualité inquiétante.
Une complète impunité entoure toujours quelque 20 meurtres commis dans le sud-est de l’Anatolie entre 1990 et 1996. Dans d’autres cas, les collaborateurs, les exécutants ou les donneurs d’ordre de ces crimes n’ont jamais été amenés devant un juge.
Un second choc en un an
L’application du délai de prescription dans l’affaire Anter constituerait la seconde décision choquante de la justice turque pour le meurtre d’un journaliste après la clôture, en avril, de la procédure turque dans l’affaire de l’assassinat du chroniqueur saoudien Jamal Khashoggi.
Le 7 avril, la 11e haute cour pénale d’Istanbul a décidé de transférer l’affaire Khashoggi en Arabie saoudite, d’où sont originaires les meurtriers présumés. Avant la décision finale, les avocats de la fiancée de Jamal Khashoggi, Hatice Cengiz, avaient demandé en vain à la cour d’attendre la décision du tribunal administratif sur l’approbation par le ministère de la Justice du transfert de l’affaire à Riyad. Mais la Turquie avait immédiatement clos le dossier Khashoggi.
La Turquie occupe le 149e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.