SYRIE / ROJAVA – Un récent article du New York Times blanchit le nettoyage ethnique, le déplacement et les crimes visant les femmes dans la région d’Afrin et qui ont apporté la misère à ce qui était autrefois une région prospère à majorité kurde, dans le nord de la Syrie. L’article du Times a été publié pour la première fois en ligne sous le titre « L’armée turque a envahi la Syrie », avant de subir deux changements de titre et de faire la une de l’édition imprimée sous le titre « Une zone de sécurité qui ne peut pas protéger de la misère ». Violant les principes de base de l’éthique journalistique – des principes qui incluent l’interview de personnes à l’issue d’une invasion de zone de guerre – l’article se lit comme un communiqué de presse du régime turc du président Recep Tayyip Erdogan, ignorant les énormes souffrances endurées par les milliers d’habitants originaires d’Afrin du fait de l’occupation menée par la Turquie.
Avant l’invasion turque de janvier 2018, Afrin faisait partie de la zone plus large, dirigée par les Kurdes, connue sous le nom du Rojava ou, plus officiellement, de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES), dont les combattants ont été nos meilleurs alliés dans la défaite de DAECH. L’AANES, une région d’environ 5 millions d’habitants, est une démocratie pluraliste qui consacre les droits de toutes les minorités ethniques et a été particulièrement efficace dans la promotion des droits des femmes. Des pratiques comme le mariage forcé, la polygamie, le mariage d’enfants et les crimes d’honneur sont interdites. Les lois prévoient des conseils autonomes de femmes et l’inclusion d’au moins 40 % de femmes dans chaque organe législatif, ainsi que des coprésidentes à tous les postes administratifs.
L’invasion d’Afrin par la Turquie en janvier 2018 a provoqué la fuite de quelque 180 000 personnes, principalement des Kurdes, dont la plupart vivent maintenant dans des camps de personnes déplacées dans d’autres régions de la Syrie. Aujourd’hui, comme l’a documenté Amnesty International sur ceux qui sont restés : « Les résidents d’Afrin subissent un large éventail de violations, principalement aux mains des groupes armés syriens qui ont été équipés et armés par la Turquie (y compris) des détentions arbitraires, des disparitions forcées, et des confiscations de biens et des pillages sur lesquels les forces armées turques ont fermé les yeux ». La destruction intentionnelle de sites religieux et architecturaux kurdes et yézidis, les changements démographiques forcés, y compris la réinstallation à Afrin de familles arabes d’autres régions de Syrie, et l’utilisation obligatoire de la langue turque, même dans les écoles, ont été largement documentés et signalent l’intention de la Turquie d’annexer la région de façon permanente.
Les violations les plus flagrantes commises par la Turquie ont été perpétrées à l’encontre des femmes. La Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie décrit la guerre menée par la Turquie contre les femmes à Afrin comme créant « un climat de peur omniprésent qui les a en fait confinées dans leurs foyers ». Le rapport de 25 pages ajoute : « Les femmes et les jeunes filles ont également été détenues par des combattants de l’armée nationale syrienne [soutenue par la Turquie] et ont été victimes de viols et de violences sexuelles – causant de graves préjudices physiques et psychologiques. » Pour humilier et démoraliser la population, les milices soutenues par la Turquie se sont livrées à des pratiques telles que forcer les hommes détenus à assister au viol collectif d’une mineure, note le rapport, qui qualifie cette pratique de « torture ». Les chercheurs sur les droits des femmes ont documenté qu’en 2020 seulement, 88 femmes et filles dont l’identité est connue ont été kidnappées par des groupes armés soutenus par la Turquie, soit un incident tous les quatre jours environ. Parmi elles, six filles mineures dont cinq étaient toujours portées disparues au 1er janvier 2021.
L’invasion turque d’Afrin a été une catastrophe humanitaire. Aucune propagande du régime autoritaire du président turc Recep Tayyip Erdogan ne peut effacer les preuves sur le terrain des grotesques violations des droits de l’homme perpétrées par la Turquie, et il est honteux que New York Times ait ainsi complètement manqué la vraie histoire.
L’AANES a longtemps cherché à obtenir une reconnaissance politique et une autonomie à l’intérieur des frontières de la Syrie. Si les États-Unis défendent réellement les droits de l’homme – et en particulier les droits des femmes – il est temps que l’administration Biden exige le retrait des forces turques de cette région, accorde à l’AANES une reconnaissance politique et fasse pression pour que l’AANES ait un siège à la table des négociations sur l’avenir de la Syrie.
Par Debbie Bookchin, journaliste et autrice de longue date, membre du comité directeur d’ « Emergency Committee for Rojava ». Elle était au Rojava en mars et avril 2019.