TURQUIE / KURDISTAN – À partir d’archives, de témoins oculaires et de sources juridiques, le documentaire « Hey Hawar » montre comment les tombes des régions kurdes deviennent la cible de la violence étatique. Le film est un appel à la justice et un acte cinématographique de deuil.
Dans le cadre du programme « Mémoire et Jeunesse », le Centre pour la culture de la mémoire (Hafıza Merkezi), basé à Istanbul, a publié la bande-annonce du documentaire « Hey Hawar ». Le film met en lumière la destruction systématique des tombes kurdes, à travers le destin de Süleyman Aksu, l’un des 33 jeunes militants tués lors de l’attentat de l’État islamique à Pirsûs (Suruç en turc).
Le documentaire relie la vie d’Aksu, professeur d’anglais né en 1990 à Gever (Yüksekova), aux profanations répétées de sa tombe. Aksu est décédé le 20 juillet 2015 dans un attentat suicide au Centre culturel Amara à Urfa / Suruç alors qu’il se rendait à Kobanê avec un groupe de jeunes pour distribuer des jouets aux enfants. Il a été enterré dans sa ville natale, mais sa tombe a depuis été endommagée ou détruite à sept reprises.
Plus de 120 attaques ciblées contre des cimetières kurdes
Le film documente non seulement le cas spécifique d’Aksu, mais le replace dans un contexte plus large : selon les recherches, entre septembre 2015 et avril 2020, au moins 122 attaques ont été perpétrées contre des cimetières dans les provinces kurdes de Turquie. Lors de ces attaques, 1 644 tombes ont été entièrement détruites et 2 926 autres endommagées.
Témoignages, documents et voix
Le réalisateur Caner Dara a consacré plusieurs années à des recherches approfondies en archives et sur le terrain pour « Hey Hawar ». Le documentaire comprend des entretiens avec des membres de l’ÖHD (Association des avocats pour la liberté) et de MEBYA-DER, une organisation qui soutient les personnes ayant perdu des proches lors de la lutte de libération kurde. Il intègre également des images de cimetières détruits et des dossiers judiciaires, dont une plainte pénale d’avril 2019 pour « atteinte à la mémoire des défunts » et « profanation de sites religieux » liée aux attaques contre la tombe d’Aksu. À ce jour, aucune action en justice n’a été engagée.
La mémoire comme résistance
Le titre du film, « Hey Hawar », est tiré d’un poème du poète et écrivain kurde Arjen Arî, décédé en 2012. En kurde, l’expression signifie « appel à l’aide » ou « lamentation ». Le film cherche à rendre cette lamentation audible, comme expression du deuil individuel, mais aussi comme mémoire collective et résistance à l’oubli.
Une attaque contre l’espace, la mémoire et la dignité
Le documentaire interprète la destruction des tombes kurdes non seulement comme un acte de vandalisme, mais aussi comme une atteinte délibérée à la mémoire culturelle et au droit au deuil. « Hey Hawar » attire l’attention sur une réalité rarement visible au public : la destruction des lieux de repos final comme une continuation de la violence politique, tant dans la mort que dans la vie. ANF