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Réflexion sur le centenaire du traité de Lausanne: la lutte kurde et la résilience inébranlable

Le Traité de Lausanne, signé il y a un siècle, est souvent analysé à travers le prisme de la géopolitique et de son impact sur les frontières et les dynamiques de pouvoir régionales. Maintenant, il est crucial de changer de perspective et de reconnaître l’immense souffrance humaine qui a résulté de cet accord historique.

Le Traité de Lausanne, signé le 24 juillet 1923, revêt une immense importance historique en tant que traité qui a mis fin à la Première Guerre mondiale et dissous l’Empire ottoman. Cependant, les effets du traité sur les Kurdes apatrides sont souvent négligés. Pour les Kurdes, Lausanne est une injustice historique pleine d’émotion et de tragédie. En remplaçant le traité de Sèvres de 1920 qui avait promis la création d’un État kurde au Moyen-Orient, le traité de Lausanne porte un coup fatal aux aspirations des Kurdes à l’autodétermination.

Le tracé de nouvelles frontières et la consolidation du pouvoir par les États régionaux à la suite du traité ont laissé la population kurde fragmentée entre l’Irak, Iran, Turquie et Syrie. Ce déni de statut d’État a enraciné la lutte kurde pour la reconnaissance et l’autonomie, déclenchant une série d’événements tragiques et horribles qui auront un impact profond sur la vie de millions de Kurdes pour les décennies à venir.

Lors de l’examen des conséquences du traité de Lausanne, il est essentiel de dépasser la focalisation traditionnelle sur les considérations géopolitiques. Si la stabilité géopolitique est importante, elle ne doit pas éclipser les souffrances humaines endurées par des millions de Kurdes en conséquence directe du traité.

Sous les régimes d’Irak, d’Iran, de Turquie et de Syrie, les communautés kurdes ont enduré la persécution, le déplacement et l’oppression. Ces gouvernements ont mis en place des politiques discriminatoires, étouffé les droits culturels et politiques et lancé des campagnes militaires contre le peuple kurde pendant des années. Particulièrement en Irak, la population kurde a fait l’objet de persécutions, de discriminations et de violences systématiques pendant des décennies.

En 1988, les Kurdes ont même été confrontés aux horreurs du génocide aux mains de Saddam Hussein, qui a déclenché un règne de terreur contre les Kurdes irakiens, entraînant des massacres, des déplacements forcés et les infâmes attaques chimiques contre ma ville natale Halabja, tuant au moins cinq mille personnes et en blessant plus de dix mille. Miraculeusement, ma famille et moi avons survécu à ces atrocités, bien que nous ayons été témoins de la perte d’innombrables êtres chers et enduré des souffrances inimaginables, tout en jurant de garder leur mémoire vivante.

Comme beaucoup d’autres, ma famille a également vécu à plusieurs reprises la réalité déchirante du déplacement, arrachée à nos maisons et forcée de chercher la sécurité dans des terres inconnues. J’ai été réfugié quatre fois, dont trois avant l’âge de onze ans. Chaque déplacement n’a fait qu’approfondir les blessures, laissant des cicatrices qui perdurent à ce jour et impactant profondément mon identité et mon sentiment d’appartenance. Pourtant, en tant que survivants, nous avons relevé les défis de l’adaptation à de nouveaux environnements – luttant pour reconstruire nos vies à chaque déracinement tout en portant le poids des atrocités dont nous avons été témoins et en pleurant la perte d’êtres chers.

Les expériences de ma propre famille en tant que réfugiés à trois reprises et la remarquable résilience affichée face à l’adversité illustrent le mieux les conséquences profondes du traité signé par des puissances étrangères pour servir leurs propres intérêts aux dépens de millions de Kurdes.

Alors que nous réfléchissons à l’importance de ce centenaire, il est impératif que la communauté internationale reconnaisse les injustices subies par le peuple kurde et soit solidaire de notre cause. Les gouvernements et les organisations doivent travailler activement pour répondre aux griefs de la communauté kurde, promouvoir des résolutions pacifiques et soutenir les efforts de justice, de réconciliation et d’établissement d’une patrie qui respecte leurs droits et leurs aspirations. La résilience de l’esprit kurde devrait servir d’inspiration pour le monde, rappelant à tous la volonté humaine indomptable de survivre et de surmonter l’adversité.

Pour aller de l’avant, il est impératif de reconnaître le coût humain des décisions politiques afin que nous puissions développer une compréhension plus globale des événements historiques et de leurs impacts durables. En conséquence, nous devons repositionner nos perspectives et prioriser les expériences humaines. Cela implique de remettre en question les récits dominants qui se concentrent uniquement sur la géopolitique et de reconnaître plutôt l’interdépendance entre les décisions politiques et leur impact humain. De cette façon, nous ne pouvons que favoriser un plus grand sentiment d’empathie et de compréhension, et nous pouvons finalement travailler vers des solutions plus pacifiques et inclusives.

Le traité de Lausanne a jeté une ombre sur les aspirations du peuple kurde, nous privant de la place qui nous revient au sein de la communauté internationale. Les politiques oppressives ultérieures mises en œuvre par les régimes irakien, iranien, turc et syrien ont laissé une marque indélébile dans la vie de millions de Kurdes. Pourtant, notre résilience et notre détermination restent intactes.

La lutte pour la reconnaissance et l’autodétermination continue d’animer l’esprit collectif du peuple kurde. Si nous ne recevons pas le statut d’État, il est de la responsabilité de la communauté internationale de veiller au moins à ce que nos droits politiques, économiques et culturels soient accordés et protégés à l’intérieur des frontières politiques actuelles qui divisent de force les Kurdes. En tant que survivant d’un génocide, j’appelle la communauté internationale à être solidaire, à reconnaître notre histoire et à travailler ensemble pour créer un monde où le peuple kurde et toutes les communautés opprimées peuvent prospérer dans la dignité et la paix.

Par Yerevan Saeed

Yerevan Saeed est chercheur et chargé de cours à l’Université du Kurdistan à Hewler. Il a précédemment été correspondant à la Maison Blanche pour Rudaw TV et a travaillé pour des agences de presse telles que le New York Times, NPR et le Wall Street Journal.

Article original publié sur le site de Washington Institute for Near East Policy – Reflecting on the Centenary of the Treaty of Lausanne: The Kurdish Struggle and Unyielding Resilience