Alors que plusieurs provinces kurdes sont touchées par un séisme d’une magnitude de 7,8 qui a frappé le 6 février plusieurs localités kurdes de Turquie et de Syrie, la politologue Dastan Jasim revient sur les séismes de la deuxième moitié du XXe siècle qui ont touché les régions kurdes de Turquie et leur (mauvaise) gestion à motivation politique.
Le séisme de Lice en 1975
2300-5000 Kurdes ont été tués par le séisme, 75% de la ville de Lice a été complètement détruite. Comment cela pu être possible ? Forclusion, appauvrissement et défaut d’assistance.
En 1971, pour la deuxième fois en 11 ans, il y a eu un coup d’État dans l’État militaire de l’OTAN en Turquie, un coup d’État kémaliste qui a frappé les mouvements de gauche, les Kurdes et d’autres minorités avec une sévérité particulière. Les Kurdes en particulier, qui s’organisaient de plus en plus, étaient une épine dans le pied de l’État.
La politique de confinement a poussé les jeunes Kurdes marxistes à mettre en place les premiers secours (nourriture, tentes…) tandis que l’État a d’abord nié, puis a lentement envoyé de l’aide (quand il était trop tard) et s’est davantage intéressé à affirmer qu’il n’y avait pas de Kurdes là-bas.
La longue attente et l’acceptation du nombre de morts ont été suivies d’une phase au cours de laquelle l’État était soudainement très intéressé à reconstruire la ville à un endroit différent et à créer des incitations à la réinstallation. Il y avait bien sûr des raisons politiques à cela.
Alors que les génocides du Dersim et la dévastation des villages des régions d’Amed et de Botan ainsi que la marginalisation économique poussent beaucoup vers l’Occident (…), propice à l’assimilation, les petites villes comme Lice résistent obstinément et sont les cellules germinales de la résistance kurde.
Conduire les gens dans des lotissements et des milieux urbains isolés ou simplement dans la migration de travail est le meilleur moyen de contrer la structure sociale kurde plutôt agraire et étroitement liée. Cette politique a atteint son apogée dans les années 1990.
Et c’est exactement pourquoi vous pouvez voir à partir de cet exemple et de quelques autres qu’un séisme n’est souvent qu’une catastrophe naturelle dans le contexte de nombreuses catastrophes d’origine humaine et peut très facilement être transformé en un instrument de calcul politique.
Par Dastan Jasim, politologue et doctorante à l’Institut Leibniz d’études mondiales et régionales de Hambourg (GIGA). Elle fait son doctorat à la FAU Erlangen Nuremberg sur la culture politique des Kurdes en Iran, en Irak, en Syrie et en Turquie et travaille également sur les questions de politique de sécurité dans la région.