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Quand le Newroz se transforme en un champ de bataille pour les LGBT+

Le 21 mars dernier, plus d’un million de Kurdes se sont réunis à Diyarbakir (Amed) surnommée la capitale du Kurdistan du Nord, pour célébrer le Newroz, nouvel-an kurde, malgré la répression de la police turque qui a détenu même des enfants.
 
Un petit groupe de Kurdes LGBT+ étaient également présents lors de ces célébrations qui permettent aux Kurdes de revendiquer haut et fort leur désir de se libérer du colonialisme turc. Puisque les Kurdes étaient là pour exiger leurs droits de vivre libre sur leurs terres, pouvoir parler leur langue, faire vivre leur culture, porter leurs vêtements traditionnels… pourquoi les Kurdes homosexuels ne pouvaient en faire autant et venir dire « Nous sommes trans, queer, gays, lesbiennes… et acceptez-nous avec nos orientations sexuelles et identités non hétérosexuelles. » Malheureusement, ce petit groupe a été agressé d’abord par la police turque et ensuite par un groupe de Kurdes homophobes, sans que les organisateurs du Newroz prennent les mesures nécessaires pour éviter de tels actes.
 
Berfin Atli a écrit cette journée de fête qui s’est transformée en un cauchemar pour quelques personnes LGBT+ présentes au Newroz d’Amed.
 
« Il est possible de dire que le Newroz 2022 de Diyarbakir se différencie comme un champ de lutte où l’oppression contre les couleurs, les slogans et symboles culturels, la tradition littéraire orale, l’art, les chansons et surtout les femmes et les enfants, les LGBTI+ est à son apogée.
 

Le bilan du Newroz [d’Amed] est de plus de 300 détentions, l’arrestation de 150 enfants, un grand nombre d’agressions contre les LGBTI+… Alors que le Centre des Droits de l’Enfant de l’Association du Barreau de Diyarbakır continue de surveiller les processus de remise des enfants détenus à leurs familles, Il a également exprimé sa réaction dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux : « Environ 100 enfants qui voulaient célébrer le Newroz ont été détenus illégalement par la police. Dans le cadre du droit de réunion pacifique et des accusations concernant la célébration du Newroz, il est illégal de maintenir des enfants dans des conditions de détention en violation de l’interdiction des mauvais traitements. Lundi 21 mars, les célébrations, qui devaient commencer à 11 heures, ont été retardé [ à cause de la lenteur volontaire des policiers turcs aux nombreux points de contrôle ou ils procédaient à des fouilles poussées]. Les barricades installées aux points de recherche et les véhicules blindés serrant les masses, et le refus de laisser entrer les gens dans la zone étaient à un niveau qui a convaincu le public qu’il s’agissait d’une sorte de guerre psychologique. En particulier, ce qui s’est passé aux points de recherche des femmes a exaspéré de nombreuses femmes, enfants et LGBTI+.

Que s’est-il passé au point de contrôle pour femmes ?

Comme beaucoup de femmes qui sont entrées au point de recherche à 11h00, il m’a fallu 14h00 pour atteindre la zone. Les jurons, supplications, cris, slogans, tililis et parfois des dialogues bilatéraux avec la police ont été le début d’un flot croissant de colère. Comme beaucoup de femmes qui ont communiqué avec des hommes après avoir reçu du gaz lacrymogène, après 20 minutes, j’ai appris que mes amis hommes traversaient rapidement leurs points de recherche désignés et étaient soumis à une fouille plutôt superficielle. Lorsque nous avons fait part de cette situation aux femmes policières et leur avons demandé pourquoi cela se produisait aux points de fouille des femmes, la réponse que nous avons obtenue fut une menace de: « Si vous ne faites pas trois pas en arrière, nous ordonnerons une intervention ! » Face à cette menace, une mère n’a pas pu retenir ses larmes et a crié : « Vous nous traitez comme des animaux.(…) Nous avons des enfants, nous avons des bébés (…) ». Face à cela, la policière est devenue encore plus furieuse et a montré son arme. Lorsque nous avons été emmenées à l’intérieur des cabines aux rideaux bleus, la première couche de nos vêtements traditionnels [vêtements kurdes] a été enlevée et on nous a demandé d’enlever nos collants que nous portions sous les robes. Nous avons lutté pour empêcher cela. Elles ont touché chaque partie de nos corps et n’ont pas évité le contact physique. Nous nous sentions très mal. 

 

Tout le matériel que nous avions emporté avec nous, comme le pinceau à fard à joues, le rouge à lèvres, les livres, les bracelets et les colliers, a été confisqué. Il y avait des rumeurs disant que les bretelles de soutien-gorge de certaines de nos amies avaient été retirées. Notre maquillage, nos vêtements, nos chaussettes et symboles que nous dessinons sur nos visages, nos épingles à cheveux ont été criminalisées. Les motifs jaune-vert-rouge des foulards des vieilles mères ont posé problème. Zeynep Kılıç, l’une des femmes à qui les policières ont ordonné d’effacer son maquillage, a eu du mal à donner un sens à ce qu’elle a vécu : « Quand je suis arrivée au deuxième point de fouilles après avoir attendu des heures et finalement passé le premier point sans problème, il y avait trois policières dans la cabine. Pendant que l’une fouillait mon sac, l’autre a soudainement dit : ‘Tu vas te démaquiller les yeux !’ Bien sûr, alors que j’attendais des heures pour entrer dans la zone, j’ai complètement oublié le maquillage des yeux que je faisais le matin… La police voulait que j’enlève mon maquillage des yeux ‘Kesk û Sor û Zer’ [jaune-vert-rouge]. Quand j’ai dit « Non, je ne l’enlèverai pas », elle a répondu « Mais, moi, je veux que tu l’enlève ». Quand l’autre policière à côté d’elle a fait une phrase du genre « Non, ce sont des couleurs arc-en-ciel, je les aime aussi, qu’elle ne les enlève pas ». J’ai dit : ‘Il n’y a que vous qui êtes allergique aussi aux couleurs de l’arc-en-ciel !’ Je suis sortie de la cabine en criant. »

Qu’ont vécu les LGBTI+ ?

Nous avons constaté que les LGBTI+ ont été la cible de violences physiques et psychologiques cette année, tout comme au Newroz 2021. Bien que les LGBTI+ aient appelé le Parti démocratique des peuples [HDP] et la Commission de l’organisation Newroz à prendre l’initiative de créer un espace sûr pour eux et à faire une déclaration après le lynchage et les attaques au couteau, la déclaration attendue n’est venue que de l’association du barreau de Diyarbakır. Dans la déclaration faite par la Commission LGBTI+ de l’Association du Barreau, il a été déclaré que toutes sortes d’assistance juridique seront fournies : « Malheureusement, nous avons été informés que les personnes LGBTI+ sont exposées à des crimes haineux et à des discours haineux lors des célébrations du Newroz, qui sont le symbole de la paix et de la liberté. Lors des célébrations de Newroz tenues avec une grande participation et enthousiasme à Istanbul, Izmir et Diyarbakir, Nous avons appris que les personnes LGBTI+ sont exposées à des mauvais traitements à l’entrée de la zone par les forces de l’ordre et à la violence des groupes homophobes et transphobes de la zone. Nous annonçons que nous soutenons les LGBTI+ et offrons toutes sortes de soutien juridique contre les attaques qui sont devenues systématiques dans les réunions pacifiques et les marches de démonstration. »

L’artiste drag et activiste trans Babykilla, qui faisait partie de ceux qui ont été attaqués, a raconté ses expériences avec les mots suivants : « Nous avons attendu aux points de recherche de la police pendant des heures jusqu’à ce que nous atteignions la zone. Il y avait sept points de recherche jusqu’à la zone de Newroz et il y avait beaucoup de gens qui se sont lassés d’attendre et sont repartis. J’ai vécu ma première transphobie dans les points de contrôle de la police. Alors que j’attendais avec les femmes pour entrer dans la première cabine de fouille, une policière m’a remarquée, m’a demandée ma carte d’identité alors qu’on le demandait à personne d’autre, et m’a dit que je devais passer par l’autre point de contrôle à cause de mon sexe. J’ai déclaré que je serais plus à l’aise si je traversais de ce côté et que j’étais fouillée de ce côté. Mes deux camarades sont venues à la cabine avec moi, prenant soin de moi, mais un policier home a été appelé dans la cabine et il m’a fouillée.

 

Quand nous sommes finalement entrées dans la zone, tout allait bien. J’ai commencé à lâcher la tension que je ressentais au début. Les gens autour de nous dansaient des rondes avec nous, prenaient des photos, posaient des questions et essayaient de nous parler. Il y avait une atmosphère généralement positive. Cela a duré longtemps ainsi, jusqu’à ce qu’un groupe de cinq ou dix personnes nous entoure. L’un d’eux tenait un drapeau avec une photo et l’inscription « Qazi Muhammed ». Il s’est approché de nous en disant « Il n’y a rien de tel [homosexualité] chez nous (les Kurdes) » et a essayé de discuter. Deux autres personnes ont alors tenté de brûler les drapeaux [drapeaux des LGBTI+]. La personne au drapeau, qui essayait d’argumenter, leur a dit : « Ne brûlez pas, ils vont plier bagage quand même ! Mais nous n’allions pas partir. Nous allions juste changer de place. Mais quelqu’un a montré un couteau et nous avons réalisé que notre sécurité était menacée. Lorsque nous avons rassemblé nos bannières et nos drapeaux et que nous nous sommes un peu éloignées de cet endroits, ils ont essayé de se jeter sur uns de nos amis qui a réagi à ce groupe et ont tenté de le lyncher. Ils nous suivaient partout où nous allions. Je ne me sentais pas en sécurité et nous avons tous compris que ce groupe ne nous permettrait plus de rester là. Ils étaient après nous jusqu’à ce que nous quittions la zone. Nous avons dû quitter la zone car notre sécurité était menacée.

Malgré tout…

Le Newroz 2022 de Diyarbakir peut être lu à la fois comme une déclaration psychologique et culturelle et comme une déclaration de guerre d’orientation sexuelle/de genre. En plus d’interférer avec les vêtements locaux et les symboles, les couleurs et les chants d’un peuple, nous avons également rencontré la déclaration d’une attaque ouverte contre les corps des femmes/LGBTI+ et des enfants. Nous étions seuls avec de nouvelles stratégies élaborées dans l’espoir de désintégrer ce même peuple. Nous avons vécu des choses qui étaient nouvelles pour nous et pas vraiment nouvelles du tout. À ce stade, nous devons réexaminer nos expériences et nous demander : dans quelle mesure avons-nous répondu aux attentes des LGBTI+, des femmes et des enfants pour un espace sûr ? Et quelles étaient nos responsabilités concernant l’établissement de la zone de sécurité, les nombreuses personnes qui attendaient au point de contrôle et que [la police] voulait arrêter ? Pour mieux organiser/s’organiser le prochain Newroz, une analyse juste de cette année est nécessaire. N’est-ce pas là une dette que nous devons aux peuples qui, malgré tout, ne quittent pas leurs points de contrôle, s’obstinent à rapprocher les couleurs du terrain, franchissent les barricades sans perdre leur foi et leur loyauté envers les places, et préservent l’esprit de Newroz ? »

 
Version turque de l’article écrit par Berfin Atli se trouve sur Agos
 
Babykilla a également écrit un long article sous le titre de Amed Newroz’unda Bir Drag Queen (Une Drag Queen au Newroz d’Amed), pour parler en détail de ce qu’elle a subi lors de ce fameux Newroz d’Amed.