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La lutte pour justice d’Antoine Comte, avocat des familles de 3 femmes kurdes tuées à Paris

PARIS – Un des avocats des familles de Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, 3 femmes kurdes tuées à Paris le 9 janvier 2013, Antoine Comte a accordé un interview en anglais à Mark Campbell pour Medya News. Compte déclare qu’ils n’abandonneront pas leur combat jusqu’à ce que toutes les personnes impliquées dans le triple meurtre de Paris soient jugées. ( L’entretient peut être écouté ici: podcast )
 
Il y a neuf ans jour pour jour, les militantes kurdes Sakine Cansız, Fidan Doğan et Leyla Şaylemez ont été assassinées à Paris par un espion turc. Malgré les promesses des politiciens français déclarant qu’ils allaient traduire en justice les responsables de ce triple assassinat, il n’y a toujours pas eu de procès.
 
L’une de ces femmes tuées cette nuit-là était la légendaire combattante kurde de la liberté et cofondatrice du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Sakine Cansız ou Heval Sara comme on l’appelle affectueusement dans le mouvement kurde.
 
La deuxième femme était Fidan Doğan (Rojbin) qui était à l’époque une représentante diplomatique du Congrès national du Kurdistan (KNK) qui avait assisté à de nombreuses réunions diplomatiques avec de hauts responsables politiques français, y compris plusieurs réunions avec l’ancien président français, François Hollande et des ONG à Paris avant son assassinat. Elle était une actrice politique si respectée représentant les Kurdes en Europe, que le Parlement européen a observé une minute de silence après son assassinat.
 
La troisième femme était Leyla Söylemez, une jeune militante politique kurde, active politiquement au sein de la communauté kurde d’Allemagne.
 
Toutes ont été tuées dans les bureaux du Centre d’information du Kurdistan situé près de l’une des principales gares de Paris, la Gare du Nord, au 147, rue La Fayette, à Paris.
 
L’attention s’est rapidement tournée vers un Turc appelé Ömer Güney qui avait infiltré à la communauté kurde de Paris, apparemment comme un partisan de la cause kurde, réussissant même à se porter volontaire comme chauffeur pour Sakine Cansız. Cependant, peu de temps après les meurtres, il a été découvert qu’il était en réalité un Turc ultranationaliste extrême, avec des liens avec le groupe nationaliste turc d’extrême droite connu sous le nom de Loups gris en Turquie, et avait des liens directs avec la communauté du renseignement turc.
 
Il a été arrêté peu de temps après les meurtres et s’est avéré être en possession de centaines d’images de cartes de membre qu’il avait secrètement prises dans une association kurde dont il était devenu membre auparavant. Il a également été découvert qu’il s’était rendu en Turquie à de nombreuses reprises avant les assassinats.
 
Il était le principal suspect, qui avait été filmé par des caméras de vidéosurveillance entrant dans l’immeuble du 147, rue La Fayette au moment des meurtres, et de l’ADN aurait été trouvé sur lui chez une ou plusieurs des victimes.
 
Cependant, l’affaire a été classée en 2017, après le décès d’Ömer Güney à l’hôpital en décembre 2016, des suites d’une tumeur au cerveau.
 
Puis en mai 2019, après des pressions des familles des personnes tuées à Paris, et de nouvelles preuves tirées des aveux d’agents des renseignements turcs capturés par le PKK dans le nord de l’Irak, l’affaire a été rouverte.
 
Avec le temps, cependant, ce sont les médias turcs qui ont fourni à l’équipe juridique à Paris suffisamment de preuves pour lancer l’affaire, y compris une photographie du passeport d’Ömer Güney qui lui a été remise par les services secrets turcs, un enregistrement sonore divulgué d’Ömer Güney discutant de la détails opérationnels de l’assassinat avec 4 autres membres des services secrets turcs et un document signé des services secrets turcs concernant les ordres d’Ömer Güney concernant les plans d’assassinat, y compris les derniers détails sur la façon dont Güney allait s’échapper à moto.
 
A cette occasion, l’un des avocats des familles des victimes s’est confié à l’agence de presse française AFP sur la décision d’ouvrir le dossier. Il a déclaré : « C’est historique. Cela marque la fin de l’impunité pour les assassinats politiques en France ordonnés depuis l’étranger. Les fameuses tueries de Paris. »
 
Antoine Comte a commencé l’entretien en disant :
 
« Cette affaire est une affaire très importante pour moi. D’abord parce que je connaissais Fidan Dogan.
 
Et il faut se rappeler que lorsqu’elle a été assassinée à Paris dans les circonstances que vous avez rappelées, le président du Parlement européen a demandé une minute de silence. En d’autres termes, elle était très connue. Non seulement en tant que militante ou militante, mais elle était connue parce qu’elle était un intermédiaire très important entre les Kurdes et les politiques français, les politiques européens, elle était souvent au Parlement européen.
 
Et donc, lorsque le président du Parlement européen a demandé une minute de silence, je me suis honnêtement senti très mal, car aucune autorité en France n’a eu le cran de faire la même chose.
 
Or, il faut rappeler que pour des raisons historiques, généralement liées à l’après seconde guerre mondiale, à la fin de l’ère coloniale, beaucoup de gens ont été assassinés en France parce qu’ils considéraient la France comme un « pays sûr » ce qui n’était pas vrai. Et le nombre de personnes était si important. Nous avons essayé de travailler sur cette question il y a quelques années avec des amis, et chaque jour nous découvrions de plus en plus de victimes d’États meurtriers.
 
Maintenant, c’est un concept que je dois expliquer. Les crimes politiques peuvent être commis par des pays bien sûr, mais dans notre histoire, dans l’histoire de France, personne n’a jamais désigné le pays responsable de ces crimes politiques. Maintenant, j’ai personnellement été chargé d’affaires judiciaires, comme les Algériens qui ont été tués, un avocat, en 1987, parce qu’il était un intermédiaire entre l’opposition et le gouvernement algérien. J’étais aussi l’avocat des Palestiniens tués en France. Et tout le monde savait, tout le monde savait qui était responsable de ces crimes. Je veux dire, en général, bien sûr dans le cas de l’Algérien, c’était l’État algérien, dans le cas du Palestinien, c’était le renseignement israélien et dans d’autres cas aussi, cela se passe depuis des années.
 
Car il faut se rappeler qu’en 1964, Ben Barka qui était un opposant à la monarchie au Maroc a été assassiné à Paris avec le chef de la police française et des voyous, des voyous. Maintenant, l’affaire est en cours, imaginez-vous, à partir de 1964 ! Nous avons cette affaire en cours et finalement personne n’a été condamné pour l’assassinat de Ben Barka. Donc, ce qui est très différent dans ce cas, à part le fait que pour moi personnellement, j’ai été très ému par l’assassinat d’une femme que j’avais connue et avec laquelle j’avais travaillé dans de nombreux cas que nous avons eus ensemble. Juste pour vous donner une idée, il se trouve que j’ai l’habitude de couper mon téléphone portable quand je dors et ce jour précis pour une raison étrange mon téléphone portable n’était pas coupé et là j’ai reçu un coup de fil à 6h du matin, disons que Doğan avait été tué.
 
Mais le problème était que la personne qui m’a appelé ne savait pas ça, ne connaissait pas le nom, du surnom parce que tu sais, les Kurdes ont toujours des surnoms, donc son nom était quelque chose comme… [Mark : « Rojbin je pense ».] C’est ça, donc je ne savais rien de ce nom et je la connaissais sous le nom de Fidan Doğan. J’ai travaillé avec elle sur de nombreuses affaires, travaillé sur des affaires devant les tribunaux, etc… et puis j’ai dit, et c’était un tel choc, je dois l’admettre, j’ai dit : « Eh bien, ils n’ont pas tué Fidan ». (…)
 
C’est donc un cas très émouvant pour moi, un cas très émouvant à cause de cela.
 
Mais il se trouve que si les autorités françaises n’ont montré aucun courage, et généralement elles ne montrent aucun courage dans aucune de ces affaires, que ce soit dans votre pays ou dans mon pays, il se trouve que les juges ont été très déterminés. »
 
Après avoir donné beaucoup plus de détails sur le déroulement de l’affaire dans le Podcast, l’avocat français qui mène cette affaire depuis près de 10 ans a maintenant résumé en donnant un message aux familles de Sakine, Fidan et Leyla et à tous ceux qui assistent aux manifestations en Europe en ce 9e anniversaire du triple assassinat.
 
« Mon message est que nous n’arrêterons jamais l’affaire. Jusqu’à ce que nous ayons des gens qui répondent de la responsabilité des assassinats, – quel que soit leur niveau de responsabilité. Nous n’abandonnerons jamais l’affaire. Les gens n’arrêteront jamais cette affaire. Et nous n’avons aucune raison d’arrêter cette affaire car aujourd’hui dans nos différents systèmes, l’impunité ne peut être acceptée dans les crimes criminels. Dans la plupart des crimes, ils ne sont pas acceptés, mais dans les crimes criminels, ils s’en tirent parfois avec le meurtre, si je puis dire. Mais ce n’est pas acceptable. Et s’il faut montrer quelque chose aux différents gouvernements de nos différents pays, c’est qu’on n’accepte pas, ce qu’on dit en français, ‘la raison d’état’ le fait qu’on accepte pour des raisons politiques, diplomatiques, économiques, se taire! Les personnes qui ont ordonné les crimes doivent être inculpées, même si elles ne viennent jamais en France, et ils ne viendront jamais en France, si nous les trouvons bien sûr. Ils doivent éventuellement être condamnés par contumace. Ce n’est pas le problème, il faut les condamner. Et nous devons arrêter cette horrible façon d’accepter des affaires criminelles, par et pour des motifs politiques dans notre pays, sur notre sol.
 
Toutes ces trois femmes étaient légalement en Europe, certaines d’entre elles sont nées ici. Toutes avaient des papiers pour rester ici, en Europe et elles ont été assassinées ! Et non protégées. Et c’est une putain de honte ! »