PARIS – Journaliste et réalisatrice Mylène Sauloy retrouve son public avec un roman-graphique inspiré de son documentaire « La guerre des filles » (2016) mettant en scène les combattantes kurdes du Rojava en guerre contre l’État islamique.
La couverture de « Les filles du Kurdistan »
L’occasion pour nous de donner la parole à cette femme engagée qui a fait de nombreux voyages au Kurdistan pour connaitre de près la lutte du peuple kurde en général et celle des femmes kurdes en particulier.
D’où vous est venu l’idée de faire un roman-graphique inspiré de votre documentaire « La guerre des filles » qui a eu beaucoup de succès et primé de nombreuses fois?
C’est un producteur, ancien reporter, qui a eu l’idée de lancer une collection de romans graphiques écrits par des grands reporters. Il avait vu la Guerre des Filles et m’a proposé d’en faire une BD. Avec un.e dessinateur.rice bien sûr. J’ai trouvé magique l’idée que l’épopée de ces femmes libres puisse s’installer dans l’intimité des gens, être feuilletée au gré de l’humeur, persister.. parce qu’un film, on le voit, et il disparait, il n’a pas de matière. Un livre, c’est un compagnon de route, une source d’inspiration sur laquelle on revient quand on veut.. Et puis on peut y donner un visage à toutes les femmes qui, pour des raisons de sécurité, ne peuvent être filmées. C’était une manière de rendre hommage à nouveau à cette épopée. et sans doute de toucher un autre public.
Cela fait de nombreuses années que vous travaillez sur la lutte du peuple kurde en général et celle des femmes kurdes en particulier. Vous vous êtes rendue dans de nombreuses régions kurdes (Bakur, Sinjar, Bashur, Rojava). Vos derniers voyages avaient pour destination le Rojava où les femmes ont joué un rôle central dans la lutte contre DAECH mais également pour la mise en place de la révolution du Rojava. Selon vous, la place des femmes du Rojava, dans le nord de la Syrie, est-elle différente de celle des femmes dans les autres régions du Kurdistan? Si oui, à quoi cela est-il dû d’après vous?
Oui bien sûr. Mais surtout à cause de la répression et du patriarcat rance et violent qui règnent ailleurs. Le régime turc a lancé une campagne de diffamation et de répression sans précédent contre toutes les organisations kurdes. Il ne peut supporter l’idée même de démocratie et encore moins la parité dans les institutions et l’émancipation des femmes. Au nom d’un fatras dogmatique pseudo-religieux, il rêve de réduire les femmes à leur capacité de procréation. Au Bashur, elles sont soumises à un système tribal au nord et un peu moins sauvage au sud, mais les crimes d’honneur continuent, et la situation n’est pas brillante. Hero Talabani a sans doute aidé à changer l’image des femmes. Ca n’a pas suffi.. Elles continuent pourtant à se battre pour leurs droits au Bakur comme à Bashur.
La plus grande différence avec le Rojava, c’est que depuis le Contrat social de 2014 et la constitution de 2016, les droits des femmes y sont inscrits dans la loi. Et que la participation massive des femmes dans la lutte contre Daesh a changé leur image dans la société. Comme partout ailleurs, le contrat implicite entre hommes et femmes, c’est l’homme protège, la femme sert. Or si elle se défend toute seule, le contrat doit changer ! Même si le patriarcat y coule encore de beaux jours, même si on ne change pas les mentalités à coup de lois, on sent bien que les nouvelles générations grandissent dans un environnement plus respectueux des femmes, et sous une administration largement influencée par une avant-garde féminine. Il faut parier sur un changement profond des mœurs et des mentalités pour la génération à venir !
Vous aviez une fois déclaré être surprise d’entendre des femmes kurdes, lors d’un de vos voyages au Rojava, vous dire qu’elles plaignaient la condition féminine en France. Pouvez-vous nous raconter de nouveau cette anecdote ?
Ah mais ça je l’ai entendu de nombreuses fois. D’abord au Qandil, en 2003, par un jeune passé par l’ « Académie de rééducation des hommes » ! Il mettait le doigt sur la subtilité de l’oppression des femmes dans les démocraties occidentales, et sur la difficulté à s’en défaire. Puis par une femme âgée de la Malajin (Maison des femmes) de Qamishlo, qui se disait prête à venir donner des leçons d’émancipation aux femmes européennes. Puis par une internationaliste allemande, médecin, qui combat de longue date aux côtés des Kurdes et me disait recevoir plein de demandes de conseils de la part de femmes en Allemagne ! Ou encore par une amie dans un séminaire de Jineologî qui ironisait : « En Europe, les femmes se croient libres. Ici, au moins, elles se savent opprimées ! »
Vous nous avez déclaré récemment que, dès que les conditions sanitaires dues au coronavirus vous le permettront, vous partirez pour le Rojava. Pouvez-vous nous parler de votre nouveau projet au Rojava?
C’est un projet de film participatif, mêlant tournage réel et animation, sur la construction de la démocratie. A travers des ateliers d’animation, menés par un ami co-réalisateur, chacun et chacune fabriquera et animera son personnage, pour lui faire revivre les étapes de la construction d’une démocratie horizontale, égalitaire, respectueuse de l’environnement. Le rêve quoi ! Et moi je filmerai la prolongation des ateliers dans la vie réelle. Un film pour nous donner des idées ici, depuis le Rojava ! et nous apprendre à nous, ici, comment s’y prendre !
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« À travers les histoires d’abord parallèles puis croisées de trois filles, de Paris à Kobané, en Syrie, du Kurdistan de Turquie au Sinjar en Irak, Mylène Sauloy témoigne du mouvement des femmes kurdes luttant contre Daesh, héritières d’une longue tradition de résistance.
Un village en construction quelque part au nord de la Syrie. Tout autour, des ruines. Une ambiance de fourmilière : des centaines de femmes, certaines en treillis, d’autres voilées, des jeunes et des moins jeunes s’activent, portant d’énormes briques de terre, piochant, creusant, érigeant. Elles construisent un village de femmes ! Sur les ruines d’une guerre aux ingrédients religieux, impérialistes, pétroliers et post guerre froide, dans une région gangrénée par un patriarcat rance, des imams assassins, des dictateurs et théocrates de tout poil, pousse donc une société rêvée dont l’avant-garde est résolument féminine… Et qui pourrait bien nous donner des leçons de démocratie et de parité ! », écrit l’éditeur de la BD « Les filles du Kurdistan, un combat pour la liberté ».
Une combattante kurde dans « Les filles du Kurdistan »
Le dessinateur de BD, Clément Baloup a réalisé les dessins de « Les filles du Kurdistan, un combat pour la liberté » publiée aux éditions Steinkis et dont la sortie est prévue finalement le 26 août 2021. (Prix 18 euros).
Sauloy a réalisé également « La révolution par les femmes », un autre documentaire remarquable sur la lutte des femmes kurdes.