VIOLENCES SEXUELLES – En 2017 débutait le mouvement social #metoo qui avait pour but d’encourager les femmes à prendre la parole afin de parler des agressions sexuelles ou des viols dont elles ont été victimes. Depuis, le mouvement #MeToo a balayé de nombreuses régions du monde avec ses variants locaux selon les pays et les langues. Mais il y a aussi eu des régions « blanches » où personne n’a parlé de #metoo. Au Kurdistan et dans la diaspora kurde par exemple. En effet, la société kurde a réduit le mouvement #metoo aux viols et agressions sexuelles visant les femmes et enfants kurdes commis par les États colonialistes qui occupent le Kurdistan, comme si les hommes kurdes n’avaient rien à se reprocher en la matière.
Une société conservatrice fragilisée de part son statut de colonisée
La société kurde, de part son statut de colonisée, est à la merci de ses colonisateurs qui lui ont déclaré une guerre totale depuis un siècle. Ils lui ont interdit sa langue, sa culture et l’ont privé de son droit à l’autodétermination. Les Kurdes n’avaient / n’ont pas d’autres choix que de s’assimiler aux nations turque, arabe et perses qui colonisent le Kurdistan. En « réponse », la société kurde qui était déjà être assez conservatrice s’est repliée sur elle-même, pensant préserver l’essence de son identité en restant figée dans le temps, voir en régressant. Sans surprise, ce sont les femmes kurdes qui ont payé le plus lourd tribut. Elles ont été assujetties par la société patriarcale kurde selon laquelle les filles et les femmes n’existaient que pour procréer et servir les hommes. (Certes, toutes les sociétés des pays musulmans sont conservatrices et patriarcales mais chez les Kurdes, à cela s’ajoute la guerre de survie en tant que peuple et ce sont les femmes et les enfants qui en souffrent le plus.)
Les femmes engagées en masse dans les organisations armées kurdes pour en finir avec le patriarcat et le colonialisme
Dès la naissance des mouvements armées kurdes dans les années 70, les femmes kurdes ont rejoint en masse le mouvement car on les avait asservies à double titre: Elles étaient assujetties en tant que femmes et en tant que kurdes. Mais, même au sein des organisations armées ou au sein des partis politiques kurdes, les revendications des femmes n’ont pas été acceptées facilement. Leurs frères de lutte politique ou armée leur reprochaient de ne pas se préoccuper du destin du peuple kurde, mais de demander l’égalité homme/femme, etc. qui serait secondaire selon eux.
Les femmes kurdes n’ont pas baissé les bras. Elles ont créé leurs propres organisations politiques et armée. On pourrait citer les Unités des femmes libres (Yekîneyên Jinên Azad Star – YJA STAR), l’aile féminine du PKK ou encore les unités des femmes du Rojava ou de Shengal nées lors de la guerre anti-EI en Irak et en Syrie. Ainsi, on peut dire que les femmes kurdes ont plus de liberté au sein des organisations politiques et armées kurdes que leurs sœurs restées dans leurs foyers. Mais cela ne veut pas dire que tout est parfait pour ces femmes engagées.
Changer les mentalités prend plus de temps que celui nécessaire aux victoires armées
Même chez les militants de la cause kurdes, réputés être avant-gardistes, la mentalité sexiste et misogyne reste présente chez trop d’hommes, au Kurdistan comme dans la diaspora. Ils ont beau vous sortir des discours sur l’égalité homme/femme, la place centrale des femmes au sein des partis politiques ou organisations armées, au moindre problème rencontré avec des camarades femmes, ils n’hésitent pas d’user des vieilles ficelles sexistes pour sauver la face dans des situations délicates. En sachant que le problème le plus courant rencontré chez les militants kurdes concerne les relations intimes ou des harcèlements sexuels ou des cyberharcèlements des femmes militantes par leurs camarades hommes, on comprendra que le sujet devient vite délicat pour les femmes.
Les femmes payent cher le prix de la liberté
Chez les Kurdes, dès qu’on touche les sujets ayant un lien avec la sexualité, on sent la crispation, un malaise certain. Le pire, c’est quand il s’agit de cas de harcèlements sexuels / cyberharcèlements commis par des militants, activistes, journalistes… kurdes au sein de la diaspora kurde en Occident. Pour les victimes de ces agressions, il est presqu’impossible de se faire entendre. Au mieux, on met en doute leurs paroles, au pire, on les accuse d’être des menteuses ou des agents des ennemis ayant infiltré les milieux kurdes.
En tant que page/site féminin kurde, on a reçoit plusieurs témoignages de femmes kurdes victimes de harcèlements sexuels ou cyberharcèlements dont les auteurs sont en général des Kurdes, y compris des militants. Elles disent qu’elles ne sont pas soutenues par les organisations kurdes ou pire qu’on leur dit parfois qu’il ne faut pas porter l’affaire à la connaissance du public car cela salirait l’image du peuple kurde auprès de l’opinion publique occidentale. Comme si les Kurdes étaient des être parfaits, ou qu’ils devaient être parfaits pour mériter l’empathie des autres peuples ! Ou encore, que les Kurdes traversent une période sensible, alors que cela fait 100 ans qu’ils sont exterminés et qu’on ne sait pas de quoi est fait demain, ni que cela puisse consoler les victimes de ces harcèlements.
Les hommes kurdes sont comme la majorité des hommes que vous croisez dans la rue. Ils ont une mentalité sexiste et il ne suffit pas d’aller crier lors des manifestations « Jin, jîyan, azadî » (femme, vie, liberté) pour être des hommes à la hauteur des femmes et comme toutes les femmes kurdes ne vont pas prendre une arme pour se faire respecter des hommes, il est grand temps qu’elles lancent à leur tour leurs #KurdishMeToo / #balanceTonKurde après les #MeToo, #balanceTonporc, #balanceTonMec etc. qui ont déferlé sur les réseaux sociaux et ont libéré la parole des femmes victimes de violences masculines / sexistes / sexuelles.