AccueilFemmesROJAVA. L’histoire du village des femmes libres, JINWAR

ROJAVA. L’histoire du village des femmes libres, JINWAR

SYRIE / ROJAVA – Dans le sillage de la révolution du Rojava, les femmes kurdes ont créé un village réservé aux femmes qu’elles ont nommé « JINWAR ». (Le nom JINWAR vient de « Jin », en kurde: « femme », « vie », et « War »: « lieu », « place »). Le mouvement des femmes du Rojava, Kongra Star rappelle l’histoire et le contexte ayant conduit à la fondation du village JINWAR.

Il y a plusieurs milliers d’année, la révolution humaine en cours au Moyen-Orient s’accompagnait d’un développement de la pensée morale écologique. Les femmes occupaient alors une place de premier plan dans ces processus. On voyait apparaître sur les bords du Tigre et de l’Euphrate le terme de « révolution des femmes », puisqu’elles occupaient un rôle central dans la société. Chaque étape de l’histoire humaine est marquée par la participation active des femmes à la construction d’une société civilisée.
 
Cette participation féminine se caractérise par la recherche et le développement du sens donné à cette nouvelle vie sociale. Elles conçoivent des solutions alternatives à cette nouvelle vie en société et la marque de leur empreinte.

Tout au long de l’histoire, la femme kurde n’a pas pu jouir de sa liberté naturelle, que ce soit individuellement ou collectivement. Elle a grandi parmi la violence et les destructions qui ont meurtri sa patrie, le Kurdistan, depuis les temps anciens. Des centaines de milliers de Kurdes ont perdu la vie, affaiblissant à chaque fois un peu plus la structure de la société kurde. Au fil des siècles, des massacres et des politiques racistes ont été conduits par divers [États occupant le Kurdistan] pour tenter d’éradiquer l’identité nationale de la communauté kurde. Les femmes kurdes ont vu leurs droits profondément affectés, non seulement par ce qu’elles étaient kurdes, mais aussi par ce qu’elles étaient des femmes.
Cette oppression historique de la femme kurde l’a conduit à participer activement aux mouvements de libération kurdes afin de libérer non seulement les femmes, mais aussi l’ensemble du peuple kurde. C’est devenu une évidence avec la révolution du 19-Juillet en 2012, point de départ de la libération de toutes les composantes de la société (kurde, arabe, turkmène…) au Rojava/Syrie du Nord et en particulier des femmes.

Le progrès de toute société se mesure au degré de développement culturel et social des femmes et à leur contribution efficace à la construction d’une société civilisée à laquelle elles sont intégrées. Une société qui respecte les femmes et leur accorde les droits inhérents à chaque être humain, une société qui reconnaisse le rôle influent des femmes dans sa construction et son développement. Lorsqu’elle agit de la sorte, une société franchi alors une nouvelle étape vers la sensibilisation intellectuelle et culturelle.
 
Le but de la construction du village des femmes
 
Les femmes ont joué un rôle primordial dans la construction et la gestion de sociétés primitives. L’histoire a démontré, au travers des expériences sociales qui la jalonne, que le travail des femmes et leur participation à la vie collective avait une importance prépondérante dans les sociétés primitives. La mère-nourricière a été l’une des pionnières de l’agriculture.
Aujourd’hui, il s’agit de favoriser le retour à l’essence même des premières sociétés humaines où les communautés se sont construites sur des valeurs et des lois sociales, basées sur le caractère communal de toute forme de vie collective. L’ensemble des expériences historiques menées par l’être humain démontre que les femmes ont joué un rôle avant-gardiste, notamment dans le domaine agricole, essentiel au bien-être et à la survie de toutes ces premières sociétés civilisées. Menée par les femmes, la récolte des graines, des céréales, des tubercules, des fruits et des légumes permettait de nourrir quotidiennement la famille et ainsi assurer sa sécurité alimentaire et sa stabilité sociale. On appelle cette époque, où la femme occupe une place de premier ordre, « l’âge de la maternité », qui n’est pas une spécificité de la femme kurde.
Partout dans le monde où les femmes avaient un rôle principal dans la construction et la gestion de sociétés primitives et compte tenu de l’aspiration des femmes à développer leur propre vie sociale, elles se sont organisées en construisant des villages de femmes dirigées par elles-mêmes, loin du pouvoir masculin, comme ce fut le cas par exemple au Brésil ou encore en Afrique du Nord. Depuis le début des mouvements de libération kurdes, les femmes se sont appuyées sur leur pensée, leur conscience et leur courage pour mener à bien leur lutte pour leur liberté. La révolution au Rojava a rendu concrets et visibles les avancées et progrès obtenus par la femme kurde. Cette dernière a été encouragée dans son combat émancipateur par l’idéologie et la philosophie du leader kurde Abdullah Ocalan qui prônent la libération de la femme afin que celle-ci retrouve le rôle central historique qui a été le sien, notamment au sein des sociétés primitives. Nulle société ne saurait être libre si les femmes ne le sont pas.
 
Le Mouvement des Femmes au Rojava, le Kongra Star, a adopté la thèse du confédéralisme démocratique voulue par Abdullah Ocalan dans l’expérience sociale que représente la construction du village des femmes « Jinwar », qui signifie en arabe « la patrie des femmes ». Ce projet vise à construire un village modèle pour les femmes afin qu’elles puissent essayer de vivre une vie normale, loin du développement technique et nutritionnel, à l’opposé des lois positives. En prenant pour base les lois naturelles, les femmes ont la possibilité de changer des modes de vie et les concepts sociétaux qui les régissent, notamment en ce qui concerne le pouvoir des hommes.
 
La création d’une petite communauté dans laquelle les femmes et leurs enfants puissent vivre en paix et en toute tranquillité leur permet de surmonter les difficultés personnelles et collectives auxquelles elles font face. En vivant ensemble et en se soutenant, les femmes de « Jinwar » se remontent le moral et se donnent une force mutuelle, nécessaire pour combattre avec vigueur et enthousiasme les nombreux domaines de la vie où leurs droits et leurs individualités ne sont pas respectés. L’expérience sociale conduite à « Jinwar » permet aux femmes de s’organiser pour et par elles-mêmes. Elles participent à des formations et à des activités afin de pouvoir jouer pleinement le rôle qui est le leur dans la construction coopérative d’une société unifiée.
Le village de JINWAR

« Jinwar » a été bâti dans une région calme, à l’écart de la ville et de son agitation. Le terrain choisi est situé en pleine campagne, au sud de la ville de Derbasiya, au Rojava/Syrie du Nord. L’annonce du début de la construction de « Jinwar » a eu lieu le 25 novembre 2016 et les travaux devraient s’achever le 25 novembre 2018. Un comité préparatoire supervisant la construction a été formé sous la direction du Kongra Star. Celui-ci est composé par l’organe diplomatique des femmes, les familles de martyrs, la Maison des femmes, la jinéologie (science des femmes), le comité des municipalité des femmes, 4 responsables locales de la « Fondation de la femme libre » ainsi que par un groupe indépendant de boursiers internationaux.

Le comité préparatoire, en coopération avec des ingénieurs, des géographes et des pédologues qui, après une étude approfondie, ont élaboré un plan géométrique en forme de triangle pour le village. « Jinwar » contient une trentaine de maisons de plain-pied réparties de manière cohérente sur les trois côtés du villages. Par ailleurs, huit autres bâtiments dédiés aux services ont été édifiés. Les femmes ont posé la première pierre de leur village le 10 mars 2017, actant ainsi la naissance du premier village de femmes au Moyen-Orient, une expérience unique dans cette région du monde. Les hommes se sont associés aux femmes pour construire leur village avec des matériaux naturels tels que la boue, le bois, la paille et autres. Sur la route entre les villes de Darbassiya et Raas al-Ayn, au Rojava/Syrie du Nord, un panneau directionnel sur lequel est inscrit « Jinwar » marque la présence du village des femmes.

Juste à côté de la grande porte marquant l’entrée du village se trouve sur le côté droit de la route un petite construction en forme de dôme avec une pièce unique. Elle remplit le rôle de magasin où les femmes de « Jinwar » peuvent vendre leur production agricole, fondée sur le développement durable et écologique, ainsi que leurs créations artisanales. Derrière ce point de vente, situé donc à l’entrée du village, se trouve deux autres bâtiments. L’un sert à entreposer et à stocker les récoltes céréalières et autres cultures saisonnières.

Le second bâtiment abrite le four du village, traditionnellement appelé « Nanşê », indispensable à la production de pain (nan) de « Jinwar » mais également utilisé par plusieurs villages voisins. Des plats populaires y sont aussi préparés. Peu avant le village des femmes, à droite de la route y conduisant, un petit édifice a été construit où se relaie les femmes. Elles y ont pour objectif de garder le village des ingérences malveillantes tout en accueillant et renseignant les visiteurs extérieurs de « Jinwar ».

À gauche, à proximité du verger du village se trouve un dispensaire où les femmes recevront une formation sur la préparation de médicaments, issue d’herbes cultivées par elles-mêmes, afin de subvenir aux besoins de santé de « Jinwar » et des localités voisines. Les habitations individuelles ont été construites et donnent sur la grande cour centrale. Une fontaine en forme d’étoile y a été bâtie où l’on trouve une représentation d’Ishtar, déesse antique mésopotamienne de la fertilité. Chaque maison est composée d’une chambre à coucher, d’un salon, d’une cuisine, d’une salle de bain ainsi que de deux balcons, l’un sur la façade frontale et l’autre à l’arrière. En fonction du nombre de membre de chaque famille, quatre modèles de maison ont été adoptés et leurs surfaces adaptées en conséquence.

Une école a été construite au nord-ouest du village. Elle se compose de six salles d’enseignement, chacune abritée par un dôme. Les enfants y apprennent notamment leur langue maternelle ainsi que d’autres sciences. L’école a été nommée « Mère Awish » en l’honneur de cette femme, modèle de courage, d’abnégation et de patience. Les enfants sont incités à se construire une forte personnalité qui ne craint pas la défaite. Une académie pour adultes sera également terminée sous peu.
Les femmes y recevront une formation et une éducation, qui se concentreront sur les thèmes suivants :
Le vivre-ensemble entre toutes les composantes de la sociétés malgré les différences ethniques et religieuses.
L’économie naturelle est éloignée du profit matériel.
L’autodéfense.
La santé, basée sur une pratique naturelle et alternative de la médecin.
L’enseignement pour les enfants.
L’histoire.
La science de la nature.
La science de la beauté.
La démographie.
Par ailleurs, une grande piscine a été aménagée pour apprendre aux gens du village à nager toute en bénéficiant de cette retenue d’eau pour arroser les plantations.

Au centre du village, à proximité de la fontaine, se trouve un restaurant servant une cuisine populaire avec des boissons chaudes et des jus de fruits naturels. En outre, un musée sera créé pour rassembler et exposer les œuvres liées à l’histoire des femmes, qu’il s’agisse de travaux manuels, de photographies, d’objets archéologiques ou encore du patrimoine. L’élevage étant l’un des éléments fondamentaux de la vie de « Jinwar », une grange a été construite pour élever du bétail et des volaille afin de fournir au village de la viande, du lait et du fromage produits localement. L’économie du village dépend principalement de la culture des terres environnantes, où les femmes du village travaillent la terre en harmonie avec la nature. Elles labourent, sèment et récoltent le fruit de leur travail, loin du contrôle des hommes, de la cupidité et du monopole des commerçants. Plus de 400 arbres fruitiers ont été plantés (pommiers, grenadiers, abricotiers, oliviers…) dans le verger du village, appelé « Sêvê ». 

L’éclairage et l’alimentation en électricité du village dépendent de sources d’énergie alternatives, notamment les panneaux solaires, pour minimiser l’impact écologique du village et ne pas polluer l’environnement.
 
La vie sociale dans le village
 
 
Toute femme a le droit de trouver en elle-même le désir et la capacité de mener une vie normale dans une petite société qui croit en la coexistence de toutes les religions, sectes et nationalités. Toutes peuvent venir vivre dans ce village qui leur ait consacré, à condition de respecter les lois sociales stipulées dans le règlement intérieur de « Jinwar », établies par les femmes du village elles-mêmes.

Les fondements des relations dans le village seront basés sur un retour à l’histoire ancienne des femmes. La pensée créatives et novatrice dans l’éducation des enfants est essentielle afin de construire une nouvelle génération d’individus ayant intégré l’égalité entre les hommes et les femmes, confiants en eux-mêmes et en leur capacité à créer une nouvelle vie qui restaurera leur identité véritable dans une vie simple et tranquille, libérée de l’autoritarisme, de l’égoïsme, du mensonge et de la modernité capitaliste, Ce sera un village rempli d’amour et de compassion où la coopération primera pour aspirer une nouvelle vie. « Jinwar » sera en mesure de ramener les femmes du Rojava à sa longue et grande histoire brillante, un projet que personne au Moyen-Orient n’a jamais mis en œuvre et qui deviendra un exemple pour toutes les femmes du monde.

Ce village servira de modèle pour la diffusion de l’amour et de la paix dans le monde tout en consolidant la coopération participative, base de la société naturelle. À l’avenir, un projet de village de femmes sera planifié dans tous les districts du Rojava, au nord de la Syrie.
Centre des relations diplomatiques du Kongra Star Rojava / Syrie du Nord
Qamishlo
12 févirer 2018