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Le président de la CEDH, Robert Spano, appelé à démissionner

La visite de complaisance du président de la CEDH, Robert Spano, en Turquie a scandalisé les défenseurs des droits humains et les Kurdes de Turquie tant son attitude était indigne d’un représentant d’une institution de défense des droits humains.
 
« Vous avez choisi de voir ce que vous vouliez voir, pas ceux qui cherchent la justice, pas ceux qui cherchent les droits de leurs enfants. Vous avez choisi de ne pas entendre la voix de la justice qui nous est murmurée depuis les cimetières et les prisons de ce pays. Au lieu de cela, vous avez choisi d’être « honorés » par un État qui viole systématiquement les droits humains et l’État de droit, des crimes souvent condamnés par la CEDH. Vous avez porté atteinte non seulement à votre honneur, mais aussi à celui de la cour que vous représentez (…). Je pense que cette tache sur la CEDH ne peut être effacée que par votre démission. »
 
La journaliste kurde Nurcan Baysal a écrit une lettre ouverte à Robert Spano pour lui rappeler, avec des exemples à l’appui, que sa visite était un soutien au régime autocrate turc et lui demander de démissionner de la présidence de la CEDH:
 
« Cher Monsieur Spano,
 
Votre visite en Turquie la semaine dernière a profondément déçu ceux qui luttent pour les droits humains, la démocratie, l’égalité et l’État de droit. Votre visite dans mon pays, où l’État de droit a été bafoué et où des centaines de milliers de personnes sont illégalement emprisonnées, aurait pu être tout à fait différente. Avec votre visite, vous auriez pu donner des moyens d’action aux personnes et aux institutions qui luttent pour les droits humains, la démocratie, l’égalité, la liberté et l’indépendance judiciaire, et renouveler leur foi dans la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui est devenue un mécanisme de secours pour des milliers de personnes face à l’illégalité dans ce pays. Cependant, au mépris des principes de la cour que vous dirigez, l’une des cours des droits de l’Homme les plus précieuses au monde, vous avez choisi une autre voie.
 
L’université d’Istanbul, où vous avez reçu votre doctorat honorifique lors de votre visite, a licencié illégalement près de 192 universitaires par décret. L’Académie de justice (Adalet Akademisi), où vous avez prononcé un discours, n’a pas pris la parole lorsque 4 260 juges et procureurs ont été licenciés au cours des quatre dernières années, et n’a pas lutté pour leurs droits lorsque des milliers d’entre eux ont été jetés en prison. La Cour constitutionnelle et la Cour suprême que vous avez visitées ont un bilan médiocre en matière de droits de l’Homme et d’État de droit ces dernières années. Enfin, le gouverneur de la province méridionale de Mardin que vous avez visitée a été nommé par le gouvernement en remplacement d’Ahmet Türk [maire élu sous l’étiquette du parti HDP], qui a été élu démocratiquement avec plus de 200 000 voix.
 
Cher Monsieur Spano,
 
La Turquie est dans une obscurité terrible, avec des centaines de personnes qui attendent la justice depuis de nombreuses années. Lorsque vous avez visité mon pays, vous auriez dû écouter les personnes et les institutions qui luttent pour les droits humains, ainsi que les organisations non gouvernementales. Cependant, lorsque vous rencontrez des représentants de l’État et du parti au pouvoir [AKP] mais que vous décidez de ne pas vous réunir avec les personnes qui ont été victimes des pratiques de l’État et du gouvernement, vous jetez une grande ombre sur votre impartialité et celle de la CEDH.
 
Cher Monsieur Spano,
 
Le système judiciaire et l’État de droit a été détruit dans mon pays depuis longtemps. Des centaines de milliers de personnes, hommes politiques, défenseurs des droits humains, journalistes et écrivains sont en prison. Pour quelle raison ? Parce qu’ils sont opposés au gouvernement, parce qu’ils veulent la paix, parce qu’ils veulent la liberté, parce qu’ils pensent différemment de ceux qui sont au pouvoir, parce qu’ils écrivent, parce qu’ils disent « des enfants meurent », parfois parce qu’ils portent un foulard jaune-rouge-vert symbolisant la culture kurde, parfois parce qu’ils chantent une chanson kurde. Leurs cas – y compris le mien – seront un jour soumis à la CEDH. Comment allez-vous juger ces affaires contre le gouvernement turc ? En tant que défenseur des droits humains et journaliste, comment puis-je avoir confiance en votre impartialité lorsque ma propre affaire sera portée devant la CEDH, M. Spano ?
 
Mon cher ami Osman Kavala, un philanthrope et militant turc des droits humains, est injustement emprisonné depuis 1 044 jours malgré la décision de la CEDH de le libérer. Pensez-y, Monsieur Spano, votre arrivée aurait pu apporter de l’espoir à nos amis qui comptent les jours et les heures dans une cellule. Votre arrivée aurait pu être une toute petite lumière d’espoir pour Kavala, Selahattin Demirtaş, Ahmet Altan et bien d’autres. Malgré les verdicts de la CEDH demandant leur libération, Demirtaş et Kavala sont toujours derrière les barreaux, et c’est pourquoi votre visite, franchement, me met en colère. Avec votre voyage, vous avez donné une légitimité au régime oppressif de la Turquie qui ignore les décisions du tribunal que vous représentez, et vous avez sapé les principes de la CEDH.
 
Monsieur Spano, il y a un district à Mardin où vous avez rencontré le gouverneur, son nom est Nusaybin. Le dernier couvre-feu à Nusaybin a commencé le 14 mars 2016 et a duré 134 jours. Près d’une centaine de personnes sont mortes au cours de ces 134 jours, les six quartiers les plus peuplés de Nusaybin étant complètement détruits. 45 000 habitants de Nusaybin se sont retrouvés sans abri. Certains des corps n’ont jamais été retrouvés. Si vous alliez à Nusaybin, qui n’est qu’à une demi-heure de Mardin, M. Spano, vous verriez des pierres tombales numérotées dans le cimetière. Elles appartiennent à ceux dont l’identité n’a pas pu être déterminée en raison d’un manque d’intégrité corporelle qui les rend méconnaissables. Même après cinq ans de conflit, vous verriez des parents cherchant un morceau, un os de leurs enfants.
 
Mais vous avez choisi de voir ce que vous vouliez voir, pas ceux qui cherchent la justice, pas ceux qui cherchent les droits de leurs enfants. Vous avez choisi de ne pas entendre la voix de la justice qui nous est murmurée depuis les cimetières et les prisons de ce pays. Au lieu de cela, vous avez choisi d’être « honorés » par un État qui viole systématiquement les droits humains et l’État de droit, des crimes souvent condamnés par la CEDH. Vous avez porté atteinte non seulement à votre honneur, mais aussi à celui de la cour que vous représentez, qui a soutenu la mise au jour de nombreuses fosses communes et de nombreux meurtres non élucidés dans ce pays et qui est un espoir pour les citoyens en quête de justice depuis les années 1990.
 
Je pense que cette tache sur la CEDH ne peut être effacée que par votre démission. »