SYRIE / ROJAVA – Sheyba Abroush, une femme de cinquante ans, raconte la perte de son mari et de son fils aîné dans l’un des crimes de guerre les plus horribles commis par DAECH contre les Kurdes de Kobanê, au nord-est de la Syrie, une ville qui a connu pendant des décennies la marginalisation, l’oppression culturelle et la tyrannie en payant le prix de l’identité kurde pour être témoin d’une guerre qui a laissé de profondes blessures dans la mémoire de ses habitants.
Portant quelques bougies, accompagnée d’un de ses fils, Sheyba se dirige vers le cimetière des martyrs laissés dans le massacre commis à l’ouest de la ville. Ses yeux se posent sur les dizaines de tombes dont les propriétaires ont vécu des événements tragiques et ont perdu la vie à la suite de cet horrible massacre, alors que leurs photos, leurs noms et la date de leur mort y ont été inscrits.
Avec 12 véhicules, les terroristes de ISIS/DAECH, portant l’uniforme des Unités de Protection du Peuple (YPG), sont entrés dans les quartiers de la ville de Kobanê et dans le village de Barkh Batan au sud, à l’aube du 25 juin 2015 pour une « opération de représailles » après avoir perdu l’une des batailles les plus féroces de la guerre syrienne qui s’est déroulée dans la ville, grâce à la résistance historique des Unités de protection du peuple (YPG) et des femmes (YPJ) contre les factions de l’Armée libre et des Forces Peshmerga avec le soutien aérien de la Coalition internationale. Ils ont tué 253 civils dans le village de Berxbotan.
À 3 heures de l’aube du 7ème jour du Ramadan, le 25 juin 2015, dans le quartier du Martyr Serhed, ou quartier dit al-Jamarek (des douanes), au nord de la ville, à des dizaines de mètres de la frontière turque, Sheyba se réveille aux sons des tirs intermittents qui résonnent dans certains quartiers de la ville, et qui rapidement emplissent la ville.
« J’ai vu une des femmes à cinq heures du matin, qui appelait pour dire que DAECH était entré dans la ville, et tuait les habitants. La rue où nous vivions est devenue un chaos. Soudain, nous avons vu l’un des véhicules entrer dans la rue. C’était une voiture piégée ; un mercenaire de DAECH la conduisait et nous a parlé en arabe. Il nous a demandé de le guider jusqu’au poste frontière, où il allait se faire exploser. Nous avons eu peur, et à ce moment-là, il a menacé de se faire sauter parmi nous. Nous étions une cinquantaine de personnes autour de lui. Nous avons indiqué le point de passage et quelques instants plus tard, l’attentat à la bombe a secoué les quartiers de la ville et un groupe de DAECH est entré en territoire turc ».
Des tireurs d’élite de DAECH ont escaladé de hauts bâtiments tandis que d’autres se sont répandus dans les rues et les ruelles et ont ouvert le feu sur tout le monde ; enfants, femmes et personnes âgées.
A 28 kilomètres au sud de la ville, les habitants du village de Barkh Batan ont résisté aux dizaines de mercenaires entrés dans le village en même temps. Le nombre de victimes est choquant ; les villageois considèrent que la raison du choix de DAECH pour ce village est le grand rôle joué par les habitants pendant la guerre contre DAECH.
Abdullah Kawi (60 ans), le mari de Sheyba a pris son arme, accompagné de son fils Anwar (30 ans) et est allé dans la rue pour affronter « les plus dangereux mercenaires dans la guerre de rue », et où des centaines de jeunes hommes et d’hommes ont pris les armes pour résister au danger qui s’est abattu sur la ville.
Elle ajoute : « Nous avons vu des combattants des YPG entrer dans la rue. Nous étions heureux de nous sentir à l’abri de toute attaque de DAECH. Les membres de DAECH portait les uniformes des YPG puis ils nous ont tiré dessus. Nous avons réussi à nous échapper, mais mon cousin est tombé à terre et a été tué immédiatement. Je ne savais pas où aller avec mes 6 enfants et mon mari. Nous sommes entrés dans la maison et toutes les portes étaient ouvertes. Ils ont tiré vers nous, mais nous n’avons pas été blessés ».
Sheyba est sortie au bout de 10 minutes seulement pour voir son mari étendu sur le sol à côté de son fils Anwar, marié un an plus tôt, « une rafale de balles s’est déversée sur eux » déclare Sheyba, « C’était horrible, les rues se sont transformées en mares de sang. Je me suis souvenue du massacre de Halabja, des cadavres ici et d’autres là-bas, ce fut un grand choc pour nous ».
Après 3 jours de combats continus, les YPG/YPJ ont réussi à tuer 85 mercenaires qui se terraient dans des écoles, sur les toits des maisons, et dans et autour du village de Barkh Batan.
Lors d’une déclaration du Conseil exécutif du canton de Kobanê le 21 juillet 2015, la commission d’enquête a révélé que 253 civils avaient perdu la vie dans le massacre, dont 27 civils du village de Barkh Batan, en plus des 273 blessés par les balles des mercenaires.
Pour leur part, les YPG/YPJ ont publié les noms de 30 combattants de leurs unités et des Forces de sécurité intérieure tombés lors des opérations de nettoyage de la ville et de la campagne par les mercenaires, qui ont duré 3 jours consécutifs.
Sheyba et ses cinq enfants restants, ainsi que des milliers d’habitants du canton commémorent chaque année les martyrs du massacre en allumant des bougies sur leurs tombes.