TURQUIE / BAKUR – En Turquie, si vous êtes journalistes mais que vous ne répétez pas le discours officiel du pouvoir, n’espérez pas pouvoir vous faire entendre. En effet, les principaux organismes étatiques de contrôle des médias travaillent dur pour rappeler aux journalistes impertinents, qu’en Turquie, on ne peut s’exprimer librement, sans parler d’innombrables journalistes (surtout des Kurdes) jetés en prison pour avoir exercé leur métier d’informer.
Reporters sans frontières (RSF) vient de dénoncer la pression accrue des organismes turques de régulation des médias sur la presse indépendante et les voix critiques :
Les pressions des principaux organismes étatiques de contrôle des médias s’accentuent sur les journalistes jugés « récalcitrants ». Alors que 85% des médias nationaux sont aux mains d’hommes d’affaires proches du pouvoir et suivent déjà la ligne officielle de la présidence, la presse indépendante évolue de plus en plus dans un climat où la moindre critique et l’information indépendante passent pour de la trahison et de l’anti-patriotisme.
Début mai, le Haut conseil de l’audiovisuel (RTÜK) de Turquie, composé majoritairement de représentants de la coalition AKP-MHP au pouvoir, a sanctionné la chaîne Halk TV (Peuple) pour avoir diffusé une interview de la responsable du principal parti d’opposition à Istanbul qui estimait que le pays devait “s’attendre à un changement de gouvernement, voire à un changement de régime ». Le conseil a considéré que ces propos constituaient « une incitation au coup d’Etat ». L’émission incriminée a été interdite pendant cinq jours, et Halk TV a été condamné à payer une amende équivalant à 5% de ses recettes publicitaires mensuelles.
Cet incident n’est que le dernier d’un longue liste : ces derniers mois, les chaînes FoxTV, Télé1 et HaberTürkTV ont elles aussi été sanctionnées par le RTÜK après avoir diffusé des propos critiques à l’égard du pouvoir.
De son côté, un autre organe de régulation sous contrôle de la présidence Erdogan, le Conseil des annonces de Presse (Basın İlan Kurumu – BİK), a infligé à différents journaux critiques du pouvoir, notamment Evrensel (Universel) et BirGün (Quotidien), une interdiction de publication d’annonces institutionnelles pour « manquement à l’éthique », privant ainsi les médias concernés de revenus publicitaires, indispensables à leur survie économique. BirGün a été interdit d’annonces pendant 42 jours en raison d’articles parus entre août et octobre 2019, critiquant les violences commises par les forces de police lors de manifestations.
« Alors que la crise financière empire à cause de la pandémie du covid-19 et que le gouvernement semble donner des signes de faiblesse, nous assistons à une répression croissante de l’information, qui vise à instaurer un monopole du discours officiel, déplore le représentant de RSF en Turquie, Erol Onderoglu. Sans démocratisation ni indépendance du système de régulation des médias, cette vague de répression risque d’anéantir le pluralisme journalistique, déjà fragile en Turquie ».
Des juges aux ordres
Le gouvernement exerce par ailleurs un contrôle direct sur les activités de nombreux juges, qui censurent des dizaines d’articles publiés sur Internet sans fournir de motif. A la mi-février, un juge d’Istanbul a ainsi ordonné le blocage de 232 articles publiés par des journaux en ligne et des sites d’information dont Cumhuriyet, Bianet, Diken, BirGün, Artı Gerçek, Gazete Duvar, T24, Odatv, Sputnik Türkiye, Evrensel, Halk TV, Tele1, Gerçek Gündem. Les articles mentionnaient l’achat par le ministre des Finances, Berat Albayrak – qui n’est autre que le gendre du président Erdogan – d’un terrain en Thrace orientale (nord-ouest du pays), sur lequel le gouvernement projette de creuser un canal reliant la mer Noire à la mer de Marmara.
Le chantage à la carte de presse
Une autre forme de pression s’exerce aussi par le truchement de la Direction des communications de la présidence (Cumhurbaşkanlık İletişim Başkanlığı), chargée de l’attribution des cartes de presse. Selon le site d’information Bianet, 27 journalistes turcs ont vu leur carte de presse annulées au cours des premiers mois de l’année. De même, près de 150 correspondants de médias internationaux attendent toujours d’obtenir ou de renouveler leurs cartes de presse. Privés de ce précieux sésame, plusieurs journalistes allemands, britanniques, suédois, français et américains rencontrent des difficultés à travailler sur le terrain et se retrouvent sous la menace constante de contrôles policiers ou administratifs.
RSF s’est associée aux démarches de l’Association des Médias Étrangers (FMA-tr) de Turquie pour que les cartes de presse leur soient fournies sans délai.
La Turquie occupe la 154e position sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF.