AccueilKurdistanBakurLe mouvement féministe kurde, d'hier à nos jours

Le mouvement féministe kurde, d’hier à nos jours

Le jeune blogueur Olivier Goulet a compilé la chronologie du mouvement des femmes kurdes dans les quatre parties du Kurdistan en se servant des travaux de nombreux journalistes et écrivains. Un travail malheureusement incomplet car il a oublié de citer Sakine Cansiz, co-fondatrice du PKK et l’icone féminine du mouvement de libération kurde. Une autre grande absente est Zarife Xatun, la première femme combattante kurde qui a pris les armes lors de la révolte de Koçgiri entre 1920 et 1921 contre l’empire ottoman, pour la création d’un État autonome kurde.
 
Olivier Goulet a dédié son article à la mémoire d’Havrin Khalaf ( 1984-2019), féministe kurde tuée par la Turquie le 12 octobre 2019, lors de l’invasion de Serê Kaniyê :
 

Les premiers mouvements féministes

Il y a eu dans l’histoire des kurdes, plusieurs grandes femmes qui ont fait l’histoire. Si vous voulez des exemples, le site officiel du Kurdistan irakien a fait une liste de 9 femmes importantes : http://austria.gov.krd/en/frauentag/. On ne peut pas considérer ces femmes comme le début du mouvement féministe car ce ne sont que quelques femmes et non un mouvement de masse.

Un des premiers mouvements féministes est apparu durant la République de Mahabad. Dans le texte de Shahrzad Mojab, dans un mouvement nationaliste, l’oppression des femmes kurdes commence à être exprimée via des poèmes. La femme kurde est vue comme la mère de la nation kurde. Les femmes devaient avoir le même niveau d’éducation que les hommes et même il avait mention de femme combattante dans l’armée. Les femmes auront leur propre parti, Parti des femmes. La République n’a pas durée dans le temps, ce qui fait que son mouvement féministe [n’a pas survécu à la chute de la République]. (Goulet ne s’est pas assez renseigné sur le mouvement féministe kurde au Rojhilat où, dans les années 1970, il avait un rôle important et, après la révolution islamique, il s’est renforcé d’avantage.)

Le PKK et les femmes

Le premier mouvement féministe kurde qui a résisté dans le temps est lié au PKK. Le PKK est une organisation terroriste pour la Turquie et l’Europe qui lutte pour la libération des kurdes. Leur chef, Abdullah Öcalan sera à l’origine de « la jinéologie », la science des femmes. Ses écrits sur les femmes seront importants d’où l’influence de sa philosophie au Rojava.

L’origine de la question des femmes dans le PKK

Dans le texte de Mélanie Dubuy 2015, à la date de la création du PKK en 1978, les femmes n’ont pas été une priorité. Mais vers 1983, l’intérêt pour les femmes commence à émerger dans le PKK. La théorie serait que les kurdes ont été matriarcales mais que l’oppression des Turcs a détruit la place de la femme kurde. Le peuple kurde ne pouvait se libérer si la femme kurde était toujours oppressée. Alors, le PKK va commencer à connaître des femmes combattantes et des femmes chefs. Les femmes avaient de lourdes responsabilités, elles devaient être des soldats, des mères patriotes et avoir un comportement exemplaire. Les femmes combattant avec le PKK doivent dédier leur vie à la cause kurde, mettre ainsi toute vie personnelle en pause.

Dans le texte de Olivier Grojean, 2013, les femmes mortes pour le PKK sont passées de 1% en 1987 à 40% en 2013. L’augmentation des femmes combattantes a lieu en 1990. Si vers 1983, les premiers intérêts pour les femmes apparaissent pour le PKK, il faudra attendre vers les années 1987 pour que les textes sur les femmes soient écrits et 1992 pour voir les premières publications féministes. Ces textes vont se nommer les Çözümlemeler, ils vont tenter de déconstruire la femme kurde et expliquer que l’oppression est liée aux colonialistes Turcs. Le but du PKK sera de libérer la femme kurde. Le PKK sépare les femmes des hommes afin qu’elles puissent se libérer entres elles. Les tâches entre les femmes et les hommes sont séparées de façon égalitaire. Par ailleurs, il y a un code de pudeur très strict dans la guérilla kurde. Les femmes ne peuvent pas être en présence d’un homme pour dormir par exemple, ni montrer des parties de leur corps aux hommes, être pied nu ou jambe nue devant eux.

La théorie féministe de la jinéologie

Dans le livre d’Abdullah Öcalan, libérer la vie : sur la révolution de la femme, la femme avait une place importante dans la période du néolithique, elle était la source de la vie et le centre intérêt de la société. Le changement vers le patriarcal va débuter lorsque les hommes vont commencer à s’invertir la famille et développer l’idée des charmants. C’est la première rupture sexuelle. Les charmants vont développer que les religions anciennes sont liées à l’homme et que le pouvoir de la société était lié à la violence et à la chasse. L’homme va imposer son pouvoir par la violence. Dans la soif du pouvoir de l’homme, celui-ci va réduire la femme en esclavage, celles-ci deviendront donc un objet pour les ambitions des hommes. Les hommes, une fois le pouvoir de la femme tassé, vont imposer le modèle de domination : la guerre et le pliage. Les hommes vont créer des états, qui plus tard vont devenir les états nations et une économie de pillage et d’esclavage, qui est le capitalisme. Les états seront dominés par des dynasties, donc les familles seront liées à l’Homme. Avec les états nations et le capitalisme, les hommes ont tous les outils pour dominer autrui et par la violence et la soumission les femmes. L’État permet de contrôler les populations, utiliser la violence et de légitimer le capitalisme. Le capitalisme permet la domination et le pillage des hommes. Pour Abdullah Öcalan, afin de libérer la femme, il faut mettre fin au capitalisme et à l’État nation car ces deux ont été créés par les hommes pour dominer les autres genres.

Les mouvements féministes actuelles

Syrie

Le féminisme du Rojava est directement lié aux théories du PKK. Dans le texte de Anja Flach, 2020, les femmes sont encouragées à prendre des décisions elles-mêmes. Le mouvement de femme au Rojava a commencé en 2005 avec le Rojavayê Kurdistanê Yekîtiya Star, sa structure est divisée en trois : commune, des académies et des structures d’auto-défense. Son système politique est structuré de manière paritaire, ainsi il faut un homme et une femme pour représenter chaque commune. Des lois contre la polygamie et le mariage forcé sont en vigueur. De nombreux conseils de femme ( Meclîsên Jin) sont développés dans les villes importantes pour éduquer la population aux valeurs du féminisme. Ce sont les femmes seulement qui décident dans ces conseils. Celles-ci s’occupent aussi des femmes victimes de violences conjugales ou d’autres problèmes que les femmes pourraient subir et vouloir en parler. Ces maisons sont très ouvertes pour toutes sortes de demandes liées aux femmes. Il y a aussi des académies de femmes pour comprendre l’oppression de la femme et faire en sorte que celle-ci puisse développer ses propres outils afin de créer une société libre. Ces académies essaient de trouver de nouvelles alternatives pour sortir du standard du patriarcat.

Pour les groupes d’auto-défense, le YPJ est un bataillon de femme, crée en 2013, ce groupe suit l’idéologie de APO. Les relations sexuelles sont interdites cependant on peut se marier mais on doit sortir du groupe. Ces troupes ne reçoivent pas de salaire. Les chefs de ce groupe sont Nassrin Abdalla et Rojda Felat.

Irak

Pour le Kurdistan irakien, dans la seule région autonome officielle des kurdes, la situation des femmes est mauvaise :

Dans le texte de Chris Kutschera , écrit en 2002, les kurdes d’Irak migrent massivement vers l’Europe pour fuir la situation politique de la région. Les kurdes ont peur du retour de Saddam et n’aiment pas la stabilité politique du Kurdistan irakien, divisé en deux. Dans son texte, les femmes kurdes fuient également le pays mais pas pour la même raison. Celles-ci fuient Irak à cause des pressions des traditions et des islamistes. Les femmes divorcées ont beaucoup de difficultés à être acceptées par la société.

Dans le texte de Olivier Grojean , les femmes du coté de Barzani peuvent devenir policière mais leur rôle dans l’armée est limité. Par opposition au UKP, où les femmes ont eu un rôle militaire plus important. En 1996, 500 à 600 femmes étaient dans l’armée du UKP et avaient pour rôle de surveiller les frontières. Quand l’État islamique est apparue, certaines femmes des peshmergas UKP ont participé aux combats contre ceux-ci.

Les femmes d’Irak ont joué un rôle important malgré l’oppression. Dans le texte de Mélanie Dubuy 2015, quand la guerre entre le PDK et PUK a démarré en 1994 . Les femmes kurdes d’Irak ont fait une marche de 200 km pour but de demander la paix entre les deux partis. Les femmes vont créer des organisations comme le Yekeni Afretani Kurdistan (YAK), proche de Barzani ( parti au pouvoir) ou Yeketi Jinani Kurdistan (YJK), proche du PKK. Les groupes féministes sont utilisés par les partis au pouvoir, ce qui représente une menace pour eux et leur lutte est mise au deuxième plan. Mais les victoires des femmes kurdes en Syrie a fait en sorte que les féministes ont pu entrer leur discours dans la lutte politique de l’autodétermination des kurdes, la libération du Kurdistan Irak doit tenir compte des femmes.

Dans la politique Kurdistan Irak, 1/3 des sièges et 3 ministres sur 42 sont occupés par des femmes. Il y a un certain quota de femmes pour assurer leur présence. Les femmes députées ont beaucoup de difficultés à se faire entendre et à lutter contre le patriarcat kurde. Leur lutte porte ses fruits notamment en 2008 avec l’abolition de la polygamie et la fin de la clémence sur les crimes honneur.*

Turquie

En Turquie, le HDP (parti politique) est un parti féministe : Dans le texte de Lucie Drechselová, 2017, le HDP a fait un quota de 40% de femme dans leur parti politique et ils ont deux chefs, un homme et une femme pour respecter la parité. C’est le seul parti politique en Turquie qui fait des efforts pour avoir égalité en nombre homme et de femme. Les femmes kurdes dans le HDP subissent plusieurs risques comme la violence de l’État. La forte répression et la violence de la guerre ont poussé les femmes à aller dans le politique et à lutter contre l’injustice. Certaines femmes ont créé des associations ou on les a rejoints après que leur mari soit disparu ou arrêter. Le HDP a une variété de femme et qui viennent de tous les milieux. Les femmes du HDP organisent en elles-mêmes pour s’aider. La principal but des femmes est de dénoncer la violence de l’état contre les femmes kurdes.

Dans un article du Point 2018, les femmes en Turquie, pour retrouver leurs proches disparus durant la guerre entre le PKK et l’État Turc, ont créé en 1995 une organisation, ‘’les mères du samedi’’. Chaque semaine, des certaines de femmes manifestent à Istanbul pour demander des réponses de leurs proches disparus et se rassembler pour se souvenir d’eux. Les partis qui participent à cette marche sont le CHP et le HDP. Depuis ces dernières années, Erdogan interdit ce rassemblement, et l’accuse avoir des liens avec le PKK.

Iran

L’organisation de IKWRO est une organisation apparue en 2002 et qui crée et occupe de la situation des femmes iraniennes kurdes. Elle offre des services pour celles-ci et crée chaque année, un rapport annuel sur la situation des femmes kurdes en Iran.

Leur site : http://ikwro.org.uk/

Le parti Komala a aussi une section pour les femmes, ce groupe défends les droits des femmes par un communiquer : http://www.komalainternational.org/women

Le groupe armée le PDKI a aussi un groupe de femmes kurdes combattantes. Dans le texte de Olivier Grojean, les femmes ont participées au guérilla mais elles sont peu nombreuses. Le premier groupe à voir des femmes kurdes dans leur rang revient au Komala (1969). Ces deux partis ont dans leur base, égalité homme-femme.

Biographie

GROJEAN, Olivier. Penser l’engagement et la violence des combattantes kurdes : des femmes en armes au sein d’ordres partisans singuliers In : S’émanciper par les armes ? Sur la violence politique des femmes [en ligne]. Paris : Presses de l’Inalco, 2019 (généré le 22 mai 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/presse…> . ISBN : 9782858313266. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pressesinalco.28788.

Flach Anja, « Le communalisme au Rojava : une révolution de femmes », Mouvements, 2020/1 (n° 101), p. 153-162. DOI : 10.3917/mouv.101.0153. URL : https://www-cairn-info.proxy.bib.uottawa.ca/revue-mouvements-2020-1-page-153.htm

Andrea Fischer-Tahir , Journal of Middle East Women’s Studies Vol. 8, No. 1, Gendered Memory in the Middle East and North Africa : Cultural Norms, Social Practices, and Transnational Regimes (Winter 2012), pp. 92-114 (23 pages) : https://www-jstor-org.proxy.bib.uottawa.ca/stable/10.2979/jmiddeastwomstud.8.1.92?seq=14#metadata_info_tab_contents

Abdullah Öcalan , par la tradition et la modernité. Libérer la vie : la révolution de la femme :

http://ocalanbooks.com/downloads/liberer-la-vie-la-revolution-de-la-femme.pdf

Dubuy Mélanie, « La contribution des femmes à la revendication du peuple kurde à l’autodétermination », Civitas Europa, 2015/1 (N° 34), p. 93-110. DOI : 10.3917/civit.034.0093. URL : https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2015-1-page-93.htm

Grojean Olivier, « Théorie et construction des rapports de genre dans la guérilla kurde de Turquie », Critique internationale, 2013/3 (N° 60), p. 21-35. DOI : 10.3917/crii.060.0021. URL : https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2013-3-page-21.htm

Lucie Drechselová , La participation politique des femmes au sein du mouvement pro‑kurde en Turquie , 8 | 2017 : Les Kurdes : puissance montante au Moyen-Orient ? Dossier : Les kurdes Partie 3. Un espace en mouvement : https://journals.openedition.org/anatoli/620

Kutschera Chris, « Des femmes kurdes brisent les tabous », Confluences Méditerranée, 2002/3 (N° 42), p. 41-45. DOI : 10.3917/come.042.0041. URL : https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2002-3-page-41.htm

Shahrzad Mojab , Women and Nationalism in the Kurdish Republic of 19461 : http://sites.utoronto.ca/wwdl/publications/english/mojab_03.pdf

Le point , 2018 , Turquie : manifestation interdite pour « les mères du samedi » , consulté le 22 mai 2020 : https://www.lepoint.fr/monde/turquie-manifestation-interdite-pour-les-meres-du-samedi-01-09-2018-2247561_24.php

1 COMMENTAIRE

  1. biographie : olivier grosjean.
    La messe est dîte. Cet article terminera dans le deepweb de l’histoire avec un petit h.

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