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« Nous, les Kurdes, voulons vivre dignement sur nos terres » lettre d’un Kurde au peuple américain

ROJAVA – La lettre d’un Kurde de Kobanê au peuple américain
 
(English below)
 
 
« Salutations pour la paix et la tranquillité
Salutations pour une vie libre
Salutations à l’humanité
Salutations pour les droits humains
 
Permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Ednan Hesen et je suis un Kurde de Kobanî.
 
Mes deux sœurs et moi avons été victimes de DAECH ici. En 2013, alors que je n’avais que vingt-quatre ans, la mort a fait sa première visite à ma famille. Jabhat al-Nosra a fait exploser une bombe au Centre du Croissant-Rouge kurde, tuant mon père de soixante-sept ans, Osman Hesen. Son corps était en morceaux – c’est seulement de sa bouche que j’ai su que c’était mon père.
 
Le monde est devenu noir sous mes yeux. Ma foi en l’humanité a été brisée. J’ai vu le corps de mon père pendant un an. (…)
 
Ma sœur Shirin Hesen étudiait la littérature anglaise à l’université de Damas, mais quand notre père fut tué, elle jura de le venger. Elle a rejoint les YPJ. En septembre 2014], elle a été tuée au début de la guerre contre DAECH. DAECH l’a décapitée et a mis sa tête dans un champ dans la ville de Jarabulus. Un jour, j’ai pris le portable de Shirin et j’ai entendu un voyou de DAECH me dire : « Nous avons ta sœur, viens la voir. Après avoir vu sa tête décapitée, je désespérais à nouveau de l’humanité. La guerre contre DAECH ne faisait que commencer, mais déjà j’étais de nouveau noir.
 
Peu après, la coalition internationale est intervenue. Les armes américaines ont soutenu nos combattants. Nous nous sommes dit : « Pour la première fois dans l’histoire, les Kurdes ont un soutien, le grand État américain nous soutient. » Les attaques américaines ont sauvé ma ville natale. Oui, Kobanî a été détruit, notre maison a été réduite en ruines, mais quand DAECH a été vaincue [en janvier 2015], au moins nous avions une maison, et nous sommes revenus.
 
Et ma famille m’a dit : « Ce sera notre dernière douleur. » Mon père et ma sœur avaient été tués, mais à partir de maintenant, nous vivrions dans ce pays avec dignité. Les souvenirs de nos souffrances se sont estompés, et nous avons réussi à trouver un peu de bonheur dans notre vie.
 
Malheureusement, dans la nuit du 25 juin 2015, ma famille a une fois de plus souffert beaucoup. Certains djihadistes de DAECH sont entrés clandestinement à Kobanî et ont massacré au hasard de nombreux Kurdes, dont ma famille. Ils ont tué ma mère Maryam Hami, mon frère Ahmad Hesen et son épouse Rihan Hammu, parents de six enfants, mon frère Rodi Hesen et son épouse Perwin Hammu (qui avaient été mariés 20 jours auparavant), ma sœur Gulistan Hesen, mon oncle Mustafa Hesen, mes deux cousins et la femme de mon oncle, Gul Hami.
 
Cette nuit-là, les gangs terroristes ont massacré onze membres de ma famille.
 
Après ce massacre, je n’étais même plus à moitié humain, je n’existais plus, je suis devenu fou, aucune larme ne pouvait se former dans mes yeux. J’ai perdu toute foi. A peine humain, je ne pouvais même pas parler des meurtres, incapable de supporter le bruit d’une arme.
 
Le temps passa, et je revins lentement à la vie. J’ai décidé que je voulais vivre. En l’honneur des jeunes mariés massacrés Rodi et Perwin, j’ai ouvert la bibliothèque entièrement kurde Rodi et Perwin. Mon amie Janet (veuve de feu Murray Bookchin) est venue à Kobanî et a visité ma bibliothèque.
 
Et maintenant, l’Etat turc veut envahir Kobanî et le détruire à nouveau, déporter ou massacrer son peuple. Ma bibliothèque, qui contient les souvenirs de ma famille, est la seule chose significative dans ma vie. Si je quitte ma ville natale et ma bibliothèque, je deviendrai fou.
 
Au nom de l’humanité ! Si le monde permet aux Turcs d’attaquer Kobanî, chaque personne de conscience dans le monde aura une marque noire sur la tête. Le peuple américain et le gouvernement américain sont particulièrement responsables parce que nous avons construit nos attentes de vie sur vous.
 
Je demande au peuple américain d’agir, d’aller à la Maison-Blanche et de dire au président Donald Trump de ne pas abandonner les Kurdes. Vous devez empêcher les Turcs d’attaquer Kobanî en particulier – nous qui avons déjà été victimes de DAECH. C’est notre [victoire] sur DAECH qui a changé le cours de la guerre qui a sauvé l’humanité de son pouvoir extrémiste.
 
Peuple américain de conscience, j’espère que vous vous lèverez pour faire votre devoir humain. Nous, les Kurdes, et vos troupes, avons combattu DAECH ensemble. Nous avons versé le sang de nos jeunes sur la terre du nord de la Syrie. J’espère que vous voyez qu’il est de votre devoir d’empêcher vos fidèles alliés kurdes d’être persécutés, tués ou déportés pour rester dans des camps de réfugiés.
 
Nous, les Kurdes, voulons vivre dignement sur nos terres.
 
Salutations et amour pour la vie et l’humanité
 
Ednan Hesen
9 octobre 2019
 
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(Janet Biehl) « Yesterday, my friend Ednan Hesen in Kobani entrusted me with his letter to the American people. I held off posting it here on FB for a day as I tried to find a newspaper to pick it up. But time is short. Here is his letter. »)
 
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« A letter from a Kurd to the American people
Greetings for peace and tranquility
Greetings for a free life
Greetings for humanity
Greetings for human rights
 
Allow me to introduce myself. My name is Ednan Hesen, and I am a Kurd from Kobanî.
 
My two sisters and I were victims of ISIS there. In 2013, when I was only twenty-four, death made its first visit to my family. Jabhat al-Nusra exploded a bomb at the Kurdish Red Crescent Center, killing my sixty-seven-year-old father, Osman Hesen. His body was fragmented—it was only from his mouth that I knew it was my father.
 
The world went black before my eyes. My faith in humanity was shattered. I kept seeing my father’s body for a year. My mentality was bleak.
 
My sister Shirin Hesen had been studying English literature at Damascus University, but when our father was martyred, she swore to avenge him. She joined the YPJ. [In September 2014], she was martyred early in the war against ISIS. ISIS beheaded her and put her head in a field in the town of Jarabulus. One day I picked up Shirin’s cell phone and heard an ISIS thug say to me,  »We have your sister, come see her. » After viewing her decapitated head, once again I despaired of humanity. The war against ISIS had only just begun, but already I was black again.
 
Soon afterward the international coalition intervened. American weapons supported our fighters. We thought, “For the first time in history, the Kurds have support, the great state of America is supporting us.” The American attacks saved my hometown. Yes, Kobanî was destroyed, our home was reduced to rubble, but when ISIS was defeated [in January 2015], at least we had a home, and we returned.
 
And my family said, “This will be our last pain.” My father and my sister had been martyred, but from now on we would live in this country with dignity. Memories of our suffering receded, and we managed to find some happiness in our lives.
 
Unfortunately, on the night of June 25, 2015, my family once again experienced great pain. Some ISIS jihadists covertly entered Kobanî and randomly slaughtered many Kurds, including my family. They killed my mother Maryam Hami; my brother Ahmad Hesen and his wife Rihan Hammu, parents of six children; my brother Rodi Hesen and his wife Perwin Hammu (who had been married 20 days earlier); my sister Gulistan Hesen; my uncle Mustafa Hesen; my two cousins; and my uncle’s wife, Gul Hami.
 
In that one night, the terrorist gangs butchered eleven people in my family.
 
After this massacre, I was no longer even half human, I no longer existed, I went out of my mind, no tears could form in my eyes. I lost all faith. Barely human, I was unable even to talk about the murders, unable to endure the sound of a weapon.
 
Time passed, and I slowly came back to life. I decided I wanted to live. In honor of the slaughtered newlyweds Rodi and Perwin, I opened the all-Kurdish Rodi and Perwin Library. My friend Janet (widow of the late Murray Bookchin) came to Kobanî and visited my library.
 
And now the Turkish state wants to invade Kobanî and destroy it once again, to deport or slaughter its people. My library, which contains my family’s memories, is the only meaningful thing in my life. If I leave my hometown and my library, I will go mad.
 
In the name of humanity! If the world allows the Turks to attack Kobanî, every person of conscience in the world will have a black mark on their heads. The American people and the American government are especially responsible because we have built our life expectations on you.
 
I call on the American people to take action, to go to the White House and tell President Donald Trump not to abandon the Kurds. You must prevent the Turks from attacking Kobanî in particular—we who have already been victims of ISIS. It was our defeat of ISIS that changed the course of the war that saved humanity from its extremist power.
 
American people of conscience, I hope you will rise to do your human duty. We Kurds and your troops fought ISIS together. We shed the blood of our young people on the land of Northern Syria. I hope you see that it is your duty to prevent your loyal Kurdish allies from being persecuted or killed or deported to stay in refugee camps.
 
We Kurds want to live in dignity on our land.
 
Greetings and love for life and humanity
Ednan Hesen
October 9, 2019, Kobanî