AccueilMoyen-OrientTurquieMehmet Özer : A Sivas, notre parole et notre saz ont brûlé

Mehmet Özer : A Sivas, notre parole et notre saz ont brûlé

« J’avais mon nom sur la première liste. Mais je n’étais pas mort. Parfois, la différence entre mourir et vivre est confuse. Je vivais des moments où la vie se transformait en punition. Mes bras, mes ailes étaient brisés. »

Le 2 juillet 1993, Des fanatiques islamistes ont brûlé vifs 33 écrivains, poètes, musiciens alévis dans l’hôtel Madimak, à Sivas, sous le regard complice des autorités turques. Le massacre et la persécution de la minorité alévie de la Turquie est une longue tradition héritée de l’empire ottoman qui ne semble pas être près de s’arrêter de sitôt.

 
Le poète et photographe Mehmet Özer a survécu à ce massacre qui a coûté la vie à 35 personnes, dont Metin Altıok, Behçet Aysan, Asım Bezirci, Nesimi Çimen, Muhlis Akarsu, Hasret Gültekin, Edibe Sulari…
 
A l’occasion du 26 anniversaire, Özer s’est entretenu avec le journaliste Barış Balseçer sur ce qui s’est passé à Madimak, avant et après l’incendie de l’hôtel. Il déclare que la complicité de l’Etat turc était fragrante dans le massacres des intellectuels alévis à Madimak.
 
« Il est difficile de revenir en arrière après 26 ans et de raconter un massacre. J’ai l’impression que je vis de nouveau ce jour-là. Si tu me demandes ce qu’il en reste, les résistants laissent un grand vide, une grande colère qui ne se calme pas, des promesses mais des promesses non tenues et toujours la situation dans laquelle les meurtriers sont récompensés. Tout cela me fait mal et me met en colère », a dit Mehmet Özer.
 

Alors qu’il partageait ses souvenirs du massacre de Sivas, Ozer a déclaré que l’attaque avait été organisée et planifiée à l’avance : « Ce n’est pas une colère qui s’est manifestée à ce moment-là, c’était une attaque conçue il y a des jours. Les pavés utilisées dans la construction de la rue furent déversés par des camions devant l’hôtel Madımak. Comment aurais-je pu savoir que ces pavés allaient être utilisés lors de l’attaque du lendemain ?”

Özer, qui a créé une archive importante du massacre et des jours qui ont précédé le massacre avec ses photos, a raconté au journal Yeni Özgür Politika tous les détails, même s’il y a eu des moments d’émotion lors de la discution. « Tu es aussi fort que tu t’en souviens, aussi coupable que tu l’oublies. Si tu veux gagner, ne l’oublie pas !”, a déclaré Özer avant de raconter les détails du massacre de Madimak où il a perdu des amis chers…

(…)

Que s’est-il passé à Sivas/Madimak ?
 
Le 2 juillet 1993, après la prière du vendredi, plus de 15 000 islamistes appelant à la charia et à la mort des infidèles se sont réunis autour de l’hôtel Madımak, dans la ville de Sivas, en Turquie, où étaient logés les participants du festival alévi Pir Sultan Abdal.
Les islamistes protestaient au début contre la présence dans l’hôtel de l’écrivain Aziz Nesin, qui a traduit et publié les « Versets sataniques » de Salman Rushdie et critiqué l’Islam. Mais la protestation s’est transformée en une attaque violente et finalement, les assaillants ont mis le feu à l’hôtel.
Nesin a pu être exfiltré de l’hôtel, mais on a sorti des décombres 37 corps : ceux des artistes, dont Hasret Gültekin, musicien kurde-alévi, intellectuels, simples touristes, un enfant de 12 ans, des adolescents, deux employés de l’hôtel… Les forces de sécurité ont été critiquées pour ne pas avoir arrêté la foule.
Le massacre de Sivas a visé non seulement Aziz Nesin, mais aussi la minorité alévie de la Turquie qui est la deuxième plus grande communauté religieuse en Turquie.
Plusieurs personnes ont été arrêtées à la suite de l’incendie. Au fil des ans, un certain nombre de procès ont eu lieu et des peines ont été prononcées. Pourtant, le sentiment que justice n’a pas été faite demeure chez les proches des victimes.
 
Le 28 novembre 1997, la Cour de sûreté de l’Etat a finalement condamné à mort 33 accusés pour leur rôle dans le massacre. En 2002, peu après que la Turquie eut suspendu l’application de la peine de mort, les peines ont été commuées en peines d’emprisonnement à vie.
 
De lourdes mesures de sécurité sont prises chaque année le 2 juillet alors que des milliers de personnes arrivent à Sivas pour rendre hommage aux victimes de l’hôtel Madimak.