PARIS – Dans l’article suivant daté de septembre 2025, la fondation Danielle Mitterrand annonce la naissance de la Maison des Utopies en Expérimentation (MUE) basée sur une ferme de la commune de Château sur les hauteurs de Cluny en Bourgogne. Par la même occasion, elle nous apprend que le collectif internationaliste formé autour de la
« Jineologî » (terme utilisé par les femmes kurdes pour désigner
« la science de la femmes ») ainsi d’autres organisations se partagent les lieux où on espère expérimenter le confédéralisme démocratique à l’instar du Rojava depuis la révolution de 2012.
Voici l’article
publié également sur le site de Jineolojî :
Maison des utopies en expérimentation : un lieu de jineolojî?
La MUE (Maison des Utopies en Expérimentation) c’est un lieu, un topos et une utopie concrète de commun.
La MUE c’est d’abord un endroit, une ferme, un domaine situé sur la commune de Château sur les hauteurs de Cluny en Bourgogne. La Fondation Danielle Mitterrand* a finalisé l’achat de la maison en décembre 2024 après plusieurs années de négociation. Le domaine est partagé entre la fondation et Terre de liens** qui met les terres à disposition de paysan·nes.
Le domaine de Saint-Laurent accueille un Groupement agricole d’exploitation (GAEC) en commun qui regroupe des exploitants familiaux sans perdre leur autonomie en agriculture biologique de 8 associé·es : chèvres, cochons, poules, vaches côtoient les humain·es dans ce vallon. Les zones de bois, de pâturages, de champs, et maraîchages fraient avec les bâtiments d’habitation et d’exploitation : étables, atelier de boulangerie paysanne, fromagerie, zone de stockage, de transformation, magasin de producteur·ices. Du lever au coucher du soleil, résonne le bruit de la ferme, des troupeaux que l’on sort de l’étable le matin, aux engins agricoles qui passent. Grappes humaines succèdent aux grappes animales. La fourmilière s’active toute la journée.
Au milieu du domaine, la bastide de trois étages, imposante, trône. Ce bâtiment a connu de nombreuses vies. C’est ici que la MUE a posé ses valises et dépose son utopie de commun ouvrant une nouvelle phase dans l’histoire de St Laurent. La fondation Danielle Mitterrand met à disposition de la MUE la bâtisse principale, et des jardins autour. Une association constituée de personnes morales et individuelles a été créé et en 2025 une dizaine de structures y participe***.
La MUE se veut un espace matériel et immatériel destiné à héberger des alternatives au néolibéralisme et au productivisme. L’idée était d’ouvrir une base arrière pour respirer, prendre du recul et un lieu d’expérimentation, de création (pour penser et essayer d’autres pratiques). Le projet est géré sous la forme d’un commun. Chaque organisation membre peut utiliser le lieu et en échange, participe au bon fonctionnement de celui-ci avec tous les autres usager·es. Chacun·e en porte la coresponsabilité. Résidences artistiques, réflexives, philosophiques, jineolojiques, rencontres, école, formations, réunions se tiennent au fil de l’année.
Tout s’y prête : les bois nourriciers au fil des saisons, la ferme, on s’extrait du temps de la modernité capitaliste pour ralentir, se retrouver ensemble, penser, s’organiser, élaborer pas à pas du commun.
Une cuisine collective, deux grandes salles communes, une bibliothèque et deux étages de dortoir et surtout les hectares autour constituent un cadre extraordinaire pour faire ensemble !
Ici, l’autogestion est le maître mot : pas de gardien·ne qui entretient le lieu ! Un principe : laisser propre à son départ, on range, on nettoie, on plie. On fait des retours au collectif pour améliorer la gestion quotidienne. C’est le modèle de la commune qui s’applique.
La dizaine de structures impliquées travaillent à construire un refuge, un espace de ressourcement et d’activités pour les collectifs militants engagés pour une transformation radicale. Cet endroit est aussi un défi car les collectifs impliqués ne se connaissaient pas pour la plupart avant le lancement du projet. Nous expérimentons l’administration commune de la MUE.
La gouvernance partagée repose sur des cercles (sortes de communes) qui réunissent des référent·es des structures adhérentes. On y discute des usages, du soin de la maison, de l’extérieur, d’économie, de coopération, de lien avec le territoire environnant. On y élabore des règles partagées. Le défi : un lieu autogéré par des collectifs sous forme d’un commun sans délégation permanente, sans salarié·e à partir d’un fonctionnement ascendant basé sur plusieurs cercles (communes) et des chantiers de travail (un par saison). Nous aspirons à nous nourrir les un·es des autres et à coévoluer ensemble.
Pourquoi la MUE peut-elle être un lieu d’expérimentation du confédéralisme démocratique un lieu jineolojîque ?
La jineolojî est la science des femmes et de la vie : elle a pour but de transformer la vie des femmes et celle de l’ensemble de la société afin de trouver des solutions aux problèmes sociaux et de construire une vie libre des dominations. Cette science propose un cadre de pensée philosophique et politique pour aller vers une société libérée de la pensée dominante capitaliste et patriarcale. Elle s’inspire de la révolution des femmes du mouvement de libération du Kurdistan. En francophonie, la jineolojî est organisée selon le principe du communalisme avec différents groupes et une coordination francophone et européenne. C’est à ce titre que la jineolojî est membre de la MUE.
Nous y organisons nos camps et nos résidences. Très concrètement, la jineolojî a deux porte-paroles (référentes) qui suivent le projet tout au long de l’année. Aujourd’hui, elles sont impliquées dans les cercles
« Prendre soin du vivant » et
« Transmettre les usages », ainsi que le cercle
« Coordination de la MUE » (reverberi).
Nous participons également aux assemblées générales et aux chantiers saisonniers. On répare, nettoie réunione, élabore. C’est dans ces temps distanciels et présentiels que le commun (la commune s’expérimente) et se fait concrètement.
La MUE est un modèle de commune, une organisation et un fonctionnement que la jineolojî encourage à faire fleurir et nourrit en retour.
Elle nous offre un lieu pour nous retrouver, mais aussi expérimenter une vie communale entre nous et avec nos enfants. C’est aussi un espace de transition, dont nous pouvons abattre les murs, un espace qui nous permet un passage entre prise de conscience individuelle, transformation de soi et un lieu où cette prise de conscience se communalise, se multiplie et nous transforme et transforme les pratiques .
A la MUE, comme au sein de la jineolojî, nous partageons des ressources, mais aussi des sentiments, du travail, des responsabilités et des décisions. La MUE nous permet de communaliser nos pratiques avec les autres membres en particulier durant les chantiers saisonniers qui sont l’occasion d’entretenir la maison, le domaine comme nos pratiques et partager nos savoirs et savoirs-faire .
A la MUE comme au sein de notre science, nous souhaitons retrouver l’harmonie avec notre environnement et surmonter l’aliénation dualiste femme-nature, humain-nature et société-nature.
Elle offre un espace de prise en compte de nos interdépendances humaines et non humaines, où la perspective de la subsistance des femmes, celle qui produit et protège la vie, peut se développer.
« La notion de subsistance exprime aussi la continuité entre la nature qui nous environne et celle qui est en nous, entre la nature et l’histoire, et le fait que dépendre du domaine de la nécessité ne doit pas être vu comme une malchance et une limitation, mais comme une bonne chose et comme la condition préalable à notre bonheur et à notre liberté. »
La subsistance, M. Mies, V. Bennholdt-Thomsen
Nous voulons en faire un lieu de production de la vie enraciné dans un ensemble vivant et interconnecté, dans un écosystème avec ses cycles et ses symbioses organiques, dans sa longue association avec la communauté humaine et sa culture, où nous sommes moins coupé·es et séparé·es des autres êtres organiques (végétaux, animaux, microbes),
Dans nos sociétés européennes où l’imaginaire idéologique de gauche radicale est dans l’impasse, le confédéralisme démocratique se présente comme une idée nouvelle, internationaliste, une proposition révolutionnaire syncrétique.
« Ce n’est ni l’idée anarchiste d’abolir entièrement l’état immédiatement, ni l’idée communiste de prendre le contrôle de l’entièreté de l’État immédiatement. Avec le temps, nous allons organiser des alternatives pour chaque partie de l’État, contrôlées par le peuple et quand elle fonctionneront, ces parties de l’État se dissoudront. »
Citation d’un responsable des YPG Cihan Kendal dans un entretien au site anglais Plan C, 19 septembre 2016
En 2005, Abdullah Öcalan, leader du PKK propose au mouvement un nouveau paradigme politique. Son inspiration provient des modèles d’organisation spontané mis en place par de nombreux villages du Kurdistan du Nord suite au manque de présence de l’état dû à une géographie particulièrement difficile, ainsi qu’au municipalisme libertaire élaboré par le penseur américain Murray Bookchin. Pour mettre fin à toutes les dominations politiques, patriarcale, ethniques, religieuses, il faut construire une société sans État, on y arrivera par l’organisation autonome de la société civile. Ce projet est pensé pour s’adapter au contexte géopolitique social et culturel du Kurdistan, il faut y renforcer les organisations civiles, locales, politiques parallèles aux institutions de l’État.
Ce projet ne s’adresse pourtant pas qu’aux sociétés du Proche Orient. Il se veut universel. Des collectifs militants s’en emparent en Europe et de nombreux internationalistes se sont rendus et se rendent encore au Kurdistan.
La jineolojî s’inscrit dans ce projet confédéraliste, construire une société démocratique et libre passe par la transformation de la mentalité capitaliste et patriarcale sur le long cours. Pour cela nous avons besoin de lieux écoles comme la MUE.
Les camps de jineolojî francophone et européen sont des temps d’expérimentation, d’application concrète du communalisme : organisation en communes, éducations, retour critique auto-critique (tekmil), morale (représentation éthique et artistique).
Pour construire une société civile autonome, nous avons besoin de lieux pour nous retrouver et nous organiser. Pour avancer, nous avons besoin d’essayer et de faire ensemble, à tâtons, mais il faut bien commencer quelque part. La MUE est une expérimentation concrète d’organisation autonome de la société civile. Chaque alternative locale est à valoriser, mais aussi à mettre en lien avec les millions d’autres alternatives qui partout dans le monde fleurissent, construire au local avec une perspective d’ouverture mondiale. Ce lieu collectif permet aussi de s’extraire du bouillonnement urbain militant pour se détacher, se retrouver et penser ensemble. A nous, vous de venir le découvrir et de se l’approprier.
Bienvenue à tous·tes !
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https://fondationdaniellemitterrand.org/
**
https://terredeliens.org/
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Attac,
Bande Passante,
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CRID, Yolka,
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Coordination eau Ile de France, B.A.BALEX, Changer de Cap,
Mouvement Utopia, Maison de la Citoyenneté Mondiale, Coordination Pas Sans Nous 38, plusieurs individus…