La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rejeté la plainte déposée pour protéger le patrimoine culturel d’Hasankeyf qui va être englouti sous les eaux du barrage Ilisu construit par la Turquie.
La décision motivée indiquait que la requête n’était pas conforme aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’il n’y avait pas de consensus ni de tendance commune à inclure la protection du patrimoine culturel universel dans ladite convention.
(La fédération européenne « Europa Nostra » pour la sauvegarde du patrimoine culturel et naturel, partenaire de l’Unesco, avait identifié Hasankeyf comme l’un des sept sites les plus menacés au monde en 2016, et publié une déclaration le 29 juin 2017 déplorant que la Turquie, membre du Conseil de l’Europe, ne respecte pas les conventions de Granada et Valetta qu’elle a pourtant ratifiées respectivement en 1989 et 1999.)
La CEDH a justifié sa décision ainsi :
« La Cour rappelle que les dispositions de la Convention ne peuvent s’interpréter et s’appliquer en dehors du contexte général dans lequel elles s’inscrivent. En dépit de son caractère particulier d’instrument de protection des droits de l’homme, la Convention est un traité international à interpréter conformément aux normes et principes du droit international public, et notamment à la lumière de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. Ainsi, la Cour n’a jamais considéré les dispositions de la Convention comme le seul cadre de référence pour l’interprétation des droits et libertés qu’elle contient. Au contraire, en vertu de l’article 31 § 3 c) de ladite Convention, l’interprétation d’un traité doit se faire en tenant compte de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties », en particulier de celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme (voir, par exemple, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 131, CEDH 2010, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 169, CEDH 2012, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, § 138, 8 novembre 2016, et Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 174, 15 mars 2018).
22. La Cour observe que la prise de conscience progressive des valeurs liées à la conservation de l’héritage culturel et à l’accès à ce dernier peut passer pour avoir abouti à un certain cadre juridique international et la présente affaire pourrait, dès lors, être considérée comme relevant d’un sujet en évolution (voir, mutatis mutandis, Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 122, CEDH 2011, Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, §§ 72-75, CEDH 2014, Magyar Helsinki Bizottság, précité, § 138, et Naït-Liman, précité, § 175).
23. Dans ce contexte, au vu des instruments internationaux et des dénominateurs communs des normes de droit international, fussent-elles non contraignantes (Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, §§ 85 et 86, CEDH 2008, et Magyar Helsinki Bizottság, précité § 124), la Cour est prête à considérer qu’il existe une communauté de vue européenne et internationale sur la nécessité de protéger le droit d’accès à l’héritage culturel. Cependant, force est de constater que cette protection vise généralement les situations et des réglementations portant sur le droit des minorités de jouir librement de leur propre culture ainsi que sur le droit des peuples autochtones de conserver, contrôler et protéger leur héritage culturel.
24. Dès lors, en l’état actuel du droit international, les droits liés à l’héritage culturel paraissent intrinsèques aux statuts spécifiques des individus qui bénéficient, en d’autres termes, à l’exercice des droits des minorités et des autochtones. À cet égard, la Cour rappelle d’ailleurs avoir déjà accordé un poids à l’identité ethnique sous l’angle des droits garantis par l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, Chapman c. Royaume‑Uni [GC], no 27238/95, §§ 76 et 93 à 96, CEDH 2001-I).
25. Par contre, elle n’observe, à ce jour, aucun « consensus européen » ni même une tendance parmi les États membres du Conseil de l’Europe qui aurait pu nécessiter une remise en cause de l’étendue des droits en question ou qui aurait autorisé que l’on inférât des dispositions de la Convention un droit individuel universel à la protection de tel ou de tel héritage culturel, comme il est revendiqué dans la présente requête.
26. Aussi déclare-t-elle la requête incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et la rejette en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de celle-ci. »