AccueilEuropeAllemagneALLEMAGNE. Bavière veut expulser une famille yézidie

ALLEMAGNE. Bavière veut expulser une famille yézidie

ALLEMAGNE – L’État de Bavière veut expulser une famille yézidie (en kurde Êzdî) réfugiée en Allemagne en 2014 suite au génocide des Yézidis perpétré par DAECH, alors même que la Rhénanie-du-Nord-Westphalie se dit prête à les accueillir.

Les autorités bavaroises menacent une nouvelle fois de séparer une famille yézidie. Cette famille a survécu au génocide perpétré par le groupe autoproclamé État islamique (EI) en 2014 et s’est réfugiée en Allemagne. Leur fils de 17 ans n’est pas autorisé à poursuivre sa scolarité à moins que ses parents ne quittent le pays « volontairement », selon les autorités.

« Si vous voulez comprendre ce que signifie la volonté de la Bavière d’expulser des personnes par tous les moyens, ce cas en est un bon exemple », a déclaré Stephan Dünnwald, porte-parole du Conseil bavarois pour les réfugiés. « Le ministre de l’Intérieur et ses services d’immigration démontrent ici qu’en matière de réfugiés, ils ne font preuve d’aucune pitié, d’aucune raison, d’aucune humanité et d’aucun respect pour la famille. La famille ne compte pour rien ; seuls ceux qui travaillent ont une chance. C’est une honte morale. »

Menace d’expulsion inattendue

La famille yézidie Psso vit en Bavière depuis qu’elle a fui son pays d’origine il y a des années. Leur fils de 17 ans, Matin, vient de se voir retirer son permis de travail, en plein apprentissage de mécanicien moto. Pour qu’il puisse terminer sa formation en Allemagne, les autorités exigent que ses parents retournent « volontairement » en Irak.

Matin Psso est actuellement en deuxième année d’apprentissage à l’atelier de réparation de vélos « Chain and Crank » à Augsbourg. À l’âge de six ans, son pays natal, l’Irak, a été envahi par Daech, qui a perpétré un génocide contre la communauté religieuse yézidie à laquelle appartient sa famille. La famille, composée de neuf personnes, a trouvé refuge en Allemagne où, après avoir terminé sa scolarité en 2024, Matin a intégré un programme d’apprentissage financé par l’Agence fédérale pour l’emploi.

Après le rejet de leur demande d’asile en 2022, les parents et Matin ont vécu en Allemagne avec un titre de séjour temporaire. En janvier 2023, le Bundestag allemand a reconnu à l’unanimité les atrocités commises par Daech contre les Yézidis comme un génocide. Néanmoins, le titre de séjour temporaire de Matin et de ses parents a expiré en septembre dernier et n’a pas été renouvelé. Le permis de travail du jeune homme de 17 ans a été révoqué et tous trois doivent être renvoyés en Irak.

Le soutien éducatif devient un échec

Comme le confirment également les Nations Unies, les Yézidis en Irak continuent de subir discrimination et exclusion. La Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la Basse-Saxe, Brême et la Thuringe ont donc parfois hésité à expulser des Yézidis vers le pays où le génocide a eu lieu. La Bavière, en revanche, a adopté une position différente : un porte-parole de l’office de l’immigration a déclaré par écrit que l’État libre ne voyait aucune raison de prolonger les permis de séjour temporaires.

Mais pourquoi les frères et sœurs de Matin, eux aussi en formation, seraient-ils autorisés à rester alors que lui, non ? C’est là que réside le problème du jeune Yézidi : il a commencé sa formation par une « année de qualification professionnelle » (AQP) d’une durée de 12 mois. Or, les formations professionnelles qualifiantes ne sont reconnues comme telles qu’après deux ans.

La famille se sent victime de chantage.

Kette und Kurbel souhaite maintenir l’emploi de Matin avec un contrat d’apprentissage classique incluant l’année de qualification d’entrée (AQE). Or, Matin ne peut signer ce contrat car, entre-temps, son permis de travail et son titre de séjour temporaire ont été révoqués. Les services d’immigration considèrent comme une concession le fait que Matin soit autorisé à poursuivre son apprentissage une fois ses parents rentrés en Irak. La famille Psso, quant à elle, se sent victime de chantage.

L’entourage de la famille, notamment les enseignants, les collègues et les entraîneurs des enfants, ainsi que des ONG comme les conseils de Munich et de Bavière pour les réfugiés, sont choqués et consternés par les décisions des autorités bavaroises de l’immigration. Afin d’empêcher l’expulsion de leur fils mineur, les parents de Matin ont même confié sa garde à son entraîneur, car il ne pourrait autrement pas rester en Allemagne sans eux. Les enfants, quant à eux, sont inflexibles : ils ne veulent ni ne peuvent abandonner leurs parents âgés, qui leur ont consacré leur vie, et les envoyer seuls en Irak.

« Quelle est cette politique, cette conception de la famille, qui aboutit à une proposition aussi exorbitante ? Pourquoi forcer les parents de six enfants, qui réussissent à s’intégrer en Allemagne, à partir pour un pays où ils ont échappé de justesse au génocide ? » s’interroge Astrid Schreiber, employée du Conseil de Munich pour les réfugiés.

Le frère aîné a déjà été expulsé.

La famille Psso est considérée comme respectable et bien intégrée. Tous les neuf membres sont des survivants du génocide de 2014, mais seuls huit d’entre eux vivent encore en Allemagne. Le frère aîné de Matin, Fath, était déjà majeur lorsqu’ils ont fui. Bien qu’il ait un emploi stable, il a été expulsé vers l’Irak en 2023, malgré les protestations de son employeur, et ainsi séparé de sa famille.

Les trois frères et sœurs de Matin qui résident encore en Bavière suivent actuellement avec succès une formation professionnelle (assistant dentaire, aide-soignant, vendeur). Ses deux aînés, qui vivent toujours en Allemagne, sont citoyens naturalisés de Rhénanie-du-Nord-Westphalie depuis plusieurs années.

L’admission en Rhénanie-du-Nord-Westphalie est-elle possible ?

Les deux enfants, naturalisés de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ont déposé des demandes auprès du ministère bavarois de l’Intérieur et du ministère des Réfugiés et de l’Intégration de Rhénanie-du-Nord-Westphalie afin d’obtenir l’autorisation de faire venir leurs parents dans leur Land d’origine. Ils ont joint à leur dossier des contrats de travail prêts à être signés par les deux parents et ont demandé la délivrance de permis de travail ainsi que l’autorisation de s’installer dans l’autre Land. Si nécessaire, les six enfants sont prêts à s’engager à subvenir aux besoins financiers de leurs parents à vie.

Apparemment, la reconnaissance d’un génocide n’implique pas une obligation de protection.

Comme l’explique Christiane Maurer, représentante de la famille Psso, dans un communiqué de presse, la résilience psychologique de toute la famille a été mise à rude épreuve. Elle détaille également l’ampleur des actions des autorités envers les survivants du génocide yézidi, actions qui, selon elle, traumatisent à nouveau la famille.

Bien que le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie ait apparemment manifesté sa volonté d’accueillir les parents, les responsables politiques et administratifs de Bavière multiplient sans cesse les obstacles bureaucratiques comme alternative à l’expulsion.

Les proches et la famille ont finalement contacté directement le ministre de l’Intérieur, Joachim Herrmann. Bien que sa réponse se fasse toujours attendre, l’Autorité centrale d’accueil de Souabe a annoncé le 24 novembre que les parents ne se verraient pas accorder de permis de travail pour la Rhénanie-du-Nord-Westphalie et que leur fils Matin ne serait pas autorisé à poursuivre sa scolarité. Depuis lors, les parents et leur plus jeune frère vivent sous la menace quotidienne d’une arrestation et d’une expulsion, ce qui signifie que la destruction de cette famille vulnérable et méritante est imminente.

Situation politique en Allemagne

Début 2023, le Bundestag allemand a reconnu le sort tragique des Yézidis comme un génocide et s’est engagé à assumer sa responsabilité particulière et à protéger les victimes. Quelques mois plus tard, le gouvernement fédéral de l’époque concluait un accord migratoire avec l’Irak, qui a depuis permis des expulsions massives.

Il semble que l’on ait omis de préciser que cette mesure s’applique à tous les ressortissants irakiens, y compris les survivants yézidis du génocide. En effet, l’identité yézidie et le statut de survivant du génocide ne sont pas officiellement reconnus et ne constituent pas une exception. Depuis, les signalements d’expulsions se multiplient.

Néanmoins, la quasi-totalité des Länder allemands s’efforcent de corriger cette erreur et de tenir leur promesse de protection des communautés religieuses. En attendant l’adoption d’une réglementation uniforme, des mesures sont prises par le biais de règlements internes, de commissions d’examen des situations difficiles ou de moratoires officiels sur les expulsions.

La raison en est manifestement un manque de volonté politique.

Lors de la Conférence des ministres de l’Intérieur, la Bavière s’oppose fermement à la mise en place d’un mécanisme de protection uniforme à l’échelle nationale. Le ministère fédéral de l’Intérieur a exigé que les expulsions de Yézidis fassent l’objet d’un examen particulièrement rigoureux au préalable. Toutefois, le sort des survivants innocents du génocide, qu’ils soient expulsés ou protégés, reste tributaire de leur lieu de résidence, de la volonté politique locale et des décisions arbitraires des autorités régionales chargées de l’immigration.

Le gouvernement fédéral se décharge de ses responsabilités sur les États, et les États se déchargent de leurs responsabilités sur le gouvernement fédéral. Il convient de souligner que toutes les parties concernées sont parfaitement conscientes de l’absence de solutions de retour sûres et de la situation précaire des Yézidis en Irak, et toutes s’engagent publiquement à les protéger. Dans ce contexte, comment expliquer des histoires comme celle de la famille Psso ? (ANF)